«Que l'Eternel accorde son Esprit à tous les membres de son peuple pour qu'ils deviennent tous des prophètes!»

Cathédrale Saint-Pierre Genève (©Christophe Emery)

Écouter le culte :

C’était mieux avant, disons-nous : quand les églises étaient pleines tous les dimanches, quand les familles demandaient systématiquement le baptême pour leurs enfants et que l’inscription au catéchisme était un automatisme, quand les pasteurs étaient des hommes à la voix forte qu’on entendait toujours bien et dont l’autorité était respectée, quand l’État subventionnait l’Église, quand on ne coupait pas les cheveux en quatre pour mettre l’Écriture à la mode d’aujourd’hui.

C’était mieux avant, alors qu’aujourd’hui, l’Église est un travail quotidien, ardu et ingrat, pour continuer à transmettre l’Évangile, pour trouver des ministres et des bénévoles, pour susciter l’élan du don, pour faire entendre l’Évangile au-delà des murs de nos Églises, pour chercher une manière de vivre l’Évangile ensemble alors qu’on est si peu d’accord sur bien des sujets, pour garder l’espérance dans un monde qui semble noircir un peu plus chaque jour. Le Christ n’avait-il pourtant pas promis : « Je serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » ?

C’était mieux avant, dit le peuple d’Israël au désert : quand on était encore en Égypte et qu’on avait à manger tous les jours, quand on avait un toit au-dessus de la tête, qu’on savait où on allait dormir le soir et à quoi ressemblerait l’avenir.

C’était mieux avant, alors qu’aujourd’hui, nos jambes sont fatiguées, nos cœurs aspirent au repos, on n’en peut plus de manger la manne tous les jours, on n’en peut plus de ne pas savoir quand Dieu tiendra sa promesse et que nous pourrons construire des maisons, planter des graines, installer notre bétail, construire un temple.

Hier comme aujourd’hui, la plainte vient facilement aux lèvres, mais elle n’est pas un fondement sur lequel bâtir une communauté, que ce soit une Église ou un peuple ! Ce qui ne veut pas dire qu’il faut s’empêcher de se plaindre, à coup de volonté et de contrôle. Car la plainte dit une souffrance et une peur bien réelles, l’inconfort de vivre d’une promesse dont on peine à vivre et à faire vivre, l’impuissance devant un présent qui nous échappe et un avenir sombre.

La plainte dit aussi une aspiration profonde : elle convoque le Dieu de la vie à faire vivre, le Dieu de la lumière à chasser les ténèbres, de Dieu de la justice à surmonter le mal, le Dieu de l’amour à protéger les faibles.

On entend parfois condamner la plainte ou les murmures, et un courant de pensée présent dans la Bible le fait sans hésiter. Mais notre récit nous propose plusieurs pistes pour vivre – collectivement et individuellement – avec cette plainte, sans nous laisser écraser par elle et surtout sans la laisser nous couper de Dieu.

Première piste : exprimer cette plainte. Soit comme dans les Psaumes, en l’assumant totalement, soit dans un murmure un peu honteux comme dans les récits du désert. Dire à Dieu, c’est le premier mouvement du peuple, car Dieu écoute et honore ce que dit son peuple, même quand ce n’est pas ce qu’il espérait.

Deuxième piste : éviter d’idéaliser le passé. On oublie un peu vite que l’Église d’antan n’était pas exempte de travers et de dysfonctionnements graves, ou qu’en Égypte, on vivait sous le régime de l’esclavage et du fouet.

Troisième piste : laisser Dieu brûler ce qui doit l’être. Ce qui empêche de vivre, ce qui reste attaché à quelque chose qui n’existe plus, ce qui épuise nos forces dans la lutte contre, au lieu de les orienter vers le travail pour, ce qui nous empêche de voir les merveilles qui nous entourent et d’entendre les bénédictions du jour. Brûler alors n’est pas vengeance, mais purification et élagage. La colère, qui en hébreu, se dit d’un mot apparenté à celui qui exprime le feu, opère comme la fièvre : un mécanisme qui permet d’éliminer ce qui met en danger la santé – ici spirituelle. Le feu de la colère, c’est Dieu lui-même.

Quatrième piste : se nourrir de la manne. « Man-hou », c’est quoi en hébreu. Se nourrir donc de questions plutôt que de réponses, pour rester ouvert à l’inattendu de Dieu. Se nourrir aussi de ce qui a le goût des gâteaux à l’huile, donc de la bénédiction, pour recevoir la force d’avancer et de se tenir debout.

Cinquième piste : se responsabiliser et s’organiser pour faire bouger la situation. Ne pas agir comme si on était seul, mais chercher ensemble des manières de faire, s’encourager et se soutenir sur le chemin, regarder l’autre comme un don de Dieu.

Peut-être, en creux dans le récit d’aujourd’hui, une sixième étape est-elle à voir dans la louange, qui semble faire défaut au peuple au désert. Exercer notre cœur et notre œil à discerner ce qui est offert chaque jour : une quantité suffisante de manne, la force d’avancer, l’élan d’espérer mieux, les proches pour se soutenir. Se réjouir de tout cela et pratiquer la louange comme un combat spirituel.

Septième et dernière piste : laisser le temps au temps, devenir des humains aux longues patiences pour paraphraser une expression de Stan Rougier. Il y a tout un temps de gestation, de mûrissement. On ne rentre pas dans le royaume de Dieu en courant et en détruisant ses murs, mais en ôtant nos chaussures pour rentrer dans ce qui n’a jamais cessé d’être notre foyer et en lavant nos yeux à l’eau de l’Évangile pour découvrir que les portes en sont grandes ouvertes, qu’elles l’ont toujours été et le seront toujours, qu’un à-venir nous est offert, et que ni les malédictions du passé ni les difficultés du présent n’auront le dernier mot sur notre Église ni sur l’Évangile.

Amen

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Il y a peut-être une autre étape tout pragmatique à réaliser aussi. Depuis que le conseil vient d'être installé, je vais enfin pouvoir modifier l'annonce du répondeur des pasteurs. C'est parti !

Ok, taper sur le 1.

Après le bip, enregistrez votre annonce et finir par #.

Bip !

Bonjour et bienvenue sur le répondeur téléphonique des pasteurs Landeau et Gérard.

Pour toute récriminations sur :
la dureté des bancs
la sono mal réglée
la température glaciale aux mois d'hiver dans la cathédrale
la prédication pas au niveau de la chair de Calvin
les cantiques trop boy-scouts
les « c'était mieux avant »…

Prière de contacter un des douze – enfin pas les douze disciples ! – mais les douze nouvelles et nouveaux du bureau des plaintes… enfin, du conseil de paroisse !

Merci et au plaisir de célébrer ensemble à Saint-Pierre !

#

Voilà, c'est fait ! Je vais pouvoir un peu me reposer, tiens, pourquoi pas prendre quelques jours à Venise.

Donc merci au 70, enfin, aux douze qui s'engagent pour accompagner la vie de cette paroisse. Accompagner la vie de la paroisse, une feuille de route très large !

Pour affiner, regardons cet épisode de Tabeéra dans le livre des Nombres, qui semble instituer le gouvernement collectif du peuple d'Israël en analogie avec la gouvernance de nos Églises issues de la Réforme.

Il est toujours bon de remonter à la source. Partons de Moïse. Il faut toujours manipuler les analogies avec des pincettes.

Rassurez-vous, ni Sandrine, ni moi, nous nous prenons pour Moïse. Nous n'avons jamais séparé les eaux du Léman en deux !

Moïse aussi passe par la plainte... et sa complainte à Dieu est excessive : « Pourtant tu m'ordonnes de le prendre dans mes bras comme une nourrice prend un nouveau-né, pour le conduire dans le pays que tu as promis à ses ancêtres. »

L'image est splendide, mais Moïse n'en fait-il pas un peu trop ? Il me semble que la tâche assignée à Moïse au pied du buisson ardent est la suivante : « Tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël, avec pour seule arme un bâton et une éloquence défaillante. »

Après la libération, la mission se poursuit et Moïse guide le peuple vers la Terre promise. En guide, prophète et aussi en nourrice.

Nourrice ? Moïse considère-t-il son peuple comme un nouveau-né qu'il faut paterner, nourrir, prendre dans les bras ? Il s'ajoute un fardeau. Peut-être a-t-il besoin d'endosser ce rôle pour se sentir vraiment leader ? Pour tout contrôler ?

Cependant dans une relation, si vous prenez l'autre pour immature, alors il se comportera comme immature, avec pour conséquence un comportement parfois insupportable, toujours dans la demande et la plainte

A priori, le peuple hébreu, peuple du désert aguerri aux conditions précaires, devrait pouvoir se débrouiller seul dans le désert. Moïse s'enferme dans une posture. Il veut en faire trop et essuie l'échec.

Alors Dieu, une fois de plus, va secourir son prophète et va étendre la gouvernance du peuple à 70 hommes. La scène est splendide des 70 respectables assemblés autour de la tente, et le Seigneur donne un peu de l'Esprit. Belle image de l'Esprit partagé comme dans une imposition des mains.

Les 70 se mettent à prophétiser, un peu, mais pas longtemps. Prophétiser ne sera pas l'essence principale de leur ministère. Cela restera celle de Moïse.

L'image d'Épinal autour du tabernacle va se briser avec l'apparition du cri d'un jeune homme : Eldad et Médad sont en train de prophétiser dans le camp !

Josué le fidèle lieutenant s'affole et veux faire taire les impudents.

Moïse, enfin serein, laisse aller, et propose de redescendre vers le peuple pour poursuivre la mission. Il connaît la paix de vivre ce qu'il sait faire et se voit délester d'une charge qu'il s'était lui-même attribué.

Il y a ce matin beaucoup de chiffres symboliques : 70, 12, mais l'arithmétique biblique semble défaillante. Les deux récalcitrants Eldad et Médad issus des 70 étaient restés au camp. Ils sont, si je compte bien, 68 autour de la tente et le texte parle de 70 à redescendre. Cherchez l'erreur. Il n'y en a pas ! L'Esprit n'a que faire des mathématiques, de nos règlements et de nos conventions d'Église.

L'Esprit souffle où il veut : sur Moïse et le 70 plus deux, sur son peuple

L'Esprit souffle sur les 12 conseillers et conseillères de paroisse, sur les pasteurs, sur le consistoire et son conseil.

Mais il est aussi partout dans cette paroisse : sur les enfants et leurs familles, sur les jeunes qui préparent le baptême et le catéchisme, sur chacune et chacun de nous rassemblés ce matin dans la cathédrale.

Il souffle au travers des ondes pour rejoindre celles et ceux à l'écoute.

Amen.

L’Eglise n’appartient pas à ses ministres, elle ne repose pas non plus sur elles et sur eux. Elle repose sur le Christ et sur l’appel de Dieu à chaque membre de la communauté. C’est Dieu aussi qui suscite au sein de la communauté des vocations pour telle ou telle tâche. Et c’est ensemble, fondés en Christ, que nous sommes l’Église!

Détails

Célébration
Avec la participation de
Isabelle Savoy pour la liturgie
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique
Baptiste Berlaud à la trompette