Connaissez-vous l'histoire de la dernière trouvaille de Dieu? C'est donc l'histoire de Dieu qui vient de sortir de son imagination une nouvelle invention : la Loi. Après la création du grand univers et de la petite terre, après l'homme et la femme à son image, Dieu s'est senti un peu désoeuvré; alors il a inventé, à temps perdu, mais de façon ingénieuse, les Dix Commandements. Et voilà Dieu qui descend sur terre sa Loi sous le bras et s'en va proposer aux peuples d'en faire l'acquisition. Il est plein d'enthousiasme, Dieu. Mais pas de chance pour Lui !
Lorsqu'il arrive chez les Assyriens, sa dernière invention en main, on lui demande : «Qu'est-ce qu'il y a dans ta Loi ?» Dieu choisit un exemple de sa Loi : «Tu ne tueras pas !» C'est moderne, c'est bien ! Mais les Assyriens rigolent et disent à Dieu de passer son chemin : «Très peu pour nous, merci bien ! Va voir ailleurs avec ta Loi.» Alors Dieu descend au pays du Nil, chez les Egyptiens : «Qu'est-ce qu'il y a dans ta Loi ?» lui demandent-ils. Dieu choisit un autre exemple de sa Loi : «Tu ne commettras pas d'adultère !» C'est nouveau, c’est révolutionnaire ! Mais les Egyptiens rigolent et disent à Dieu de passer son chemin : «Très peu pour nous, merci bien ! Va voir ailleurs avec ta Loi.»
Alors Dieu, bredouille, remonte d'Egypte et fait halte chez un petit peuple installé dans un tout petit pays. Il est triste, Dieu. Les Israélites, le voyant assis là lui posent des questions. Alors Dieu se remet à parler de sa dernière invention. Il se remet à espérer et leur propose même sa Loi. Les Israélites semblent intéressés. L'un d'eux prend la parole au nom de tous et demande : «Combien elle est, ta Loi ?» Surpris, Dieu répond : «Mais elle est gratuite !» Alors les Israélites disent : «Donne-la nous tout de suite ! Et mets-nous en même deux tables !»
Chers paroissiens, chers auditeurs, vous aurez peut-être reconnu dans cette histoire savoureuse le style des histoires juives. C'est tout plein de spiritualité, dans tous les sens du termes, d'ailleurs. La Loi n'est pas un fardeau, elle est un cadeau. La Loi ne ferme ni n'enferme ceux qui la reçoivent, mais elle ouvre des chemins nouveaux. La Loi, dans la religion juive, c'est comme l'Evangile pour nous : une force d'extraordinaire de nouveauté. Un rabbin le dit bien : «Chaque Israélite doit en devenir une lettre rayonnante, et tout le peuple d’Israël doit se transformer lui-même en un rouleau de la Tora.»
Mais pourquoi alors ce goût de vieux ? Pourquoi tant d'échecs ? La Loi n'est-elle pas condamnée à devenir lettre morte ? Quand ce n'est pas une lettre qui tue ? Ce qui compte, finalement n'est-ce pas l'esprit de la Loi ? Protéger le plus faible, aimer son prochain ? D'ailleurs n'est-ce pas pour cette raison que Dieu a choisi d'envoyer son Esprit le jour de la fête de la Loi, le jour de la fête juive, dite Fête des Semaines ? A quoi bon fêter la Loi, s'il y manque l'Esprit ? Pentecôte, en tout cas la Pentecôte du Nouveau Testament, n'est-elle pas, pour toi, Mathäus, ce dépassement historique de la vieille Loi ? Meinst du nicht, lieber Kollege, dass das Gesetz durch Pfingsten aufgehoben wird ?
Mon cher collègue Jean-Baptiste, tu es en train de vanter Pentecôte avec de grandes trompettes. Pentecôte comme un essor bouleversant et sans pareil ! Pentecôte, revitalisation par l'Esprit de Dieu qui fait toutes choses nouvelles. Certes, l'événement de Pentecôte à Jérusalem doit avoir été un bouleversement. Le récit qu'en fait le livre des Actes des Apôtres, que nous venons d'entendre, en rend un témoignage éloquent.
Mais après ? Qu'est-ce qu'il y a eu ? Qu'est-ce qui a suivi le coup d'envoi qui a donné tant d’entrain et de force aux Apôtres pour proclamer dans le monde entier la Bonne Nouvelle de Jésus Christ ? C'est l'Eglise, qui est venue ! Et puis les structures qui ont freiné l'entrain en enfermant dans des moules sclérosés ce qui avait pourtant commencé de façon si dynamique. C'est ainsi que l'Evangile de Jésus-Christ n'a cessé d'être tordu ou trahi au cours de deux mille ans d'histoire de l'Eglise. Cela, nous ne devrions pas l'oublier, en ce jour où nous rappelons avec joie et reconnaissance que l'Esprit de Dieu a pu créer jadis tant de choses nouvelles, et que même nous pouvons compter et espérer qu'il peut continuer à créer du nouveau aujourd'hui et demain .
Le prophète Jérémie, quant à lui, annonce du nouveau : un nouveau commencement de la part de Dieu : «Des jours viennent - oracle du Seigneur - où je conclurai avec la communauté d’Israël et la communauté de Juda une nouvelle alliance.» Mais Jérémie, tout en annonçant la nouvelle alliance, reste sobre. Si sobre qu'il n'annonce pas à la légère la nouveauté qui vient de Dieu. Il n'oublie pas l'histoire de son peuple, mais au contraire peint ces paroles chargées d'espérance sur la toile de fond de l'histoire réelle du peuple. Ainsi, au centre de l'annonce du salut est nommé ce qui est arrivé, à savoir que le peuple avait rompu l'alliance que Dieu avait conclue avec lui dès sa sortie d'Egypte. Et même si Jérémie ne le mentionne pas expressément, il aura eu à l'esprit le réveil religieux survenu au temps du roi Josias, un réveil qui avait misérablement échoué.
Chers paroissiens, chers auditeurs, l'histoire d'échec et de déception que Jérémie doit confesser pour son peuple, cette histoire ne s'est-elle pas répétée dans celle de notre chrétienté ?
Si nous le reconnaissons, nous pouvons, en tant que chrétiens, écouter la promesse de Jérémie, mais alors en solidarité avec Israël, le peuple de l'alliance. Malgré tout ce qui s'est passé, Dieu, dans sa fidélité, offre un nouveau commencement. La première alliance n'est pas tombée en désuétude, car Dieu la reprend au commencement. Mais pour ce faire, il choisit, pour ainsi dire, une «nouvelle méthode». Nous allons entendre maintenant quelque chose de l'essence de ce nouveau commencement, de cette nouvelle alliance. Jean-Baptiste, parle-nous donc de la méthode que Dieu choisit pour sa nouvelle alliance.
La méthode choisie par Dieu dans cette prophétie de Jérémie, c'est la méthode d'un Dieu qui recommence. Que Dieu soit un Dieu qui ne cesse de reprendre en main son oeuvre, Jérémie l'avait déjà découvert et annoncé; c'était à l'occasion d'une visite fort instructive chez un potier de la ville (ch. 18). Seulement voilà, depuis le temps, les pots se sont cassés! Et l'espérance brisée. Tout semble être alors redevenu chaotique, comme un magma de terre glaise.. C'est que le peuple est parti pour une terre étrangère. Le potier peut-il porter secours aux déportés ? Va-t-il se mettre à recoller les pots cassés ?
Non, il en fera d'autres. Il s'y prendra autrement. Le Dieu qui parle ici commence par dire la vérité : il y a eu échec ! Un échec que Jérémie a dû subir jusque dans sa vie privée. Combien d'années le prophète a-t-il dû vivre, corps et âme, comme un véritable chemin de croix ! Il y a donc eu rupture. Et c'est bon d'entendre quelqu'un parler vrai quand il y a crise. Dieu ne minimise pas la crise. Au contraire, il la nomme : l'alliance a été rompue. Ce ne sera donc jamais plus comme avant. On ne pourra pas faire «comme si…»; comme si rien ne s’était passé. Au lieu d'adopter la méthode de l'autruche, qui triche avec la réalité, Dieu prend en compte le poids du réel. Et si je lis le texte entre les lignes, il me semble même que ce Dieu-là prend sa part de responsabilité dans l'échec de l'alliance conclue avec les pères. C'est ainsi que je comprends que l'alliance nouvelle devra être différente de celle conclue jadis. Différente, non point dans son contenu, mais différente dans son ancrage. En hébreu, cette différence se dit par des mots simples, «pas comme». Pas comme cela s'est passé de génération en génération. On le sait bien, quelque chose comme une fatalité se transmet d'une génération à l'autre. Et c'est le clonage des actes violents et des histoires aussi inavouables que tragiques…
Les pères qui ont rompu l'alliance, l'ont fait à force de continuer sur le registre des fautes et des crimes. A l'inverse, le Dieu qui s'annonce vient rompre la chaîne apparemment fatale pour continuer sur le registre de l'alliance : «Je pardonne leur crime, leur faute, je n'en parle plus.» Le don de l'alliance nouvelle - le don nouveau de l'alliance - ce don va de pair avec un pardon. Un don par-dessus l'histoire qui s'est répétée comme une fatalité. Et comment ce don se donne-t-il ? Par-dedans l'histoire profonde de chacune et de chacun : «Je mettrai ma loi dans leurs entrailles et je l'écrirai dans leur coeur: je serai leur Dieu et eux, ils seront mon peuple.» (trad. Thomas Römer)
Je mettrai ma Loi dans leurs entrailles, c'est-à-dire au plus profond de leur être. Là où se vivent les émotions et les pulsions. Je l'écrirai dans leur coeur, c'est-à-dire dans leur centre, leur moi le plus profond, là où se prennent les décisions. C'est un peu comme si le doigt créateur de Dieu - ce doigt si magnifiquement représenté à la Chapelle Sixtine - devait faire encore un travail d'écriture au centre de l'être humain. Ecrire une autre tonalité. Placer des dièses, au lieu des bémols… Le Dieu de l’Alliance est un Dieu qui, par définition, reste en lien avec sa créature. C'est que nous sommes, par définition, inachevés. Mais par décision de Dieu, des jours viennent où l'alliance sera ancrée au plus profond de notre être et de nos relations. Et si c'était cela, la Pentecôte à venir ?
Mon collègue vient de développer à quel endroit la nouvelle annoncée par Jérémie agit et rayonne : «Je déposerai mes directives au fond d'eux-mêmes, les inscrivant sur leur coeur.» Notre intériorité et notre coeur, chers paroissiens et chers auditeurs, nous voici sur un terrain fort connu et fort apprécié de notre époque. Quand il est question de la foi, c'est bel et bien l'homme intérieur qui est concerné, c'est son coeur qui est touché. Mais il faut malgré tout faire attention ici. Si nous comprenons la foi en Dieu et au Christ d'une façon individuelle - comme une question de coeur - eh bien nous avons compris de travers tant le message du prophète Jérémie que le message de Pentecôte.
Il est certain que Dieu offre sa nouvelle alliance à chaque homme en particulier. C'est ainsi que dans le récit de Pentecôte, il nous est dit que la manifestation de l'Esprit s'est faite sous la forme de langues de feu sur chacun des disciples. Mais tant la nouvelle alliance que Pentecôte dépassent le cadre d'un événement individuel, strictement personnel. La nouvelle alliance annoncée par Jérémie concernait toute la maison d'Israël, donc la totalité : tous ceux et toutes celles qui expérimentent dans leur coeur le nouveau commencement offert par Dieu, tous reconnaîtront et serviront Dieu ensemble.
La Pentecôte a été un événement communautaire. Tous étaient tellement saisis par l'Esprit de Dieu, par le Saint-Esprit, qu'ils louaient Dieu d'une seule voix et partaient ensuite annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Ils étaient à tel point touchés dans leur coeur - c'est-à-dire au sens biblique du coeur - dans tout leur être qu'ils ne pouvaient pas garder pour eux leur joie et leur enthousiasme. Ce qu'ils avaient vécu dans leur coeur devait sortir et les a conduits à faire communauté; des communautés, des paroisses qui sont nées à Jérusalem, en Judée, en Galilée et, partant de ces lieux, jusqu'aux extrémités de la terre, comme en parlent les Actes des Apôtres.
Dans ces paroisses, on ne s'est pas contenté de cultiver une piété du coeur personnelle, mais on a vécu ce que l'on appellerait, de nos jours, un «christianisme pratique». Cela signifie que ces chrétiens ont vécu une ouverture cordiale et une solidarité dans le partage; ce qui s'est manifesté, dans les premières paroisses chrétiennes, au niveau de la pratique de la communauté des biens, ce sont là les conséquences de l'alliance que Dieu a renouvelée dans sa fidélité. Une alliance à laquelle nous pouvons prendre part grâce à Jésus-Christ, en lien avec nos frères et soeurs juifs. C'est pourquoi, nous voulons prier que l'Esprit de la nouvelle alliance qui s’est manifestée à Pentecôte vienne vivifier nos paroisses et nous aide à la cordialité, à la solidarité et au partage.
Amen.