Écouter le culte :
Ce soir, réveillon oblige, la plupart d'entre nous devrons tenir le coup jusqu'aux douze coups de minuit. Et voilà que plusieurs textes bibliques font de la veille un impératif. Est-ce bien raisonnable ? Le psalmiste n'a-t-il pas raison, qui affirme qu'il ne sert à rien de veiller, si Dieu ne le fait ? Alors quoi, qui doit veiller ? Quand et comment ? Sur quoi et sur qui ?
Ce soir n'est pas un soir comme les autres – il va falloir veiller au moins jusqu'aux douze coups de minuit, réveillon du Nouvel An oblige ! Et vous, frères et sœurs, vous qui êtes ici, sur les bancs de cette église ou au loin, sur les ondes de la radio, comment allez-vous passer cette dernière soirée de l'année ? Ce soir, nous serons une dizaine à passer la veillée de la Saint-Sylvestre chez des amis. Nous avons été invités. On se réjouit !
Mais bien souvent – je vais vous l'avouer sur les ondes et sans aucune honte – bien souvent, ma femme et moi, et quelques membres de sa famille, nous avons fait exprès de ne pas attendre les douze coups pour aller nous reposer. Ah qu'il est bon, parfois, qu'il est bon de résister à l'obligation de garder les yeux ouverts parce qu'il faudrait garder les yeux ouverts ! On savoure de ne pas veiller par convention. Après tout, ce soir n'est-il pas un soir comme les autres ?
Pourquoi donc veiller le 31 décembre et pas tous les soirs ? Le Nouvel An, c'est pas chrétien, c'est pas biblique. C'est pas chrétien, c'est pas biblique : mais l'impératif de veiller, oui ! « Prenez garde, restez éveillés... veillez donc » : parole impérative du Christ Jésus vers la fin l'Evangile de Marc. « Priez sans cesse » : parole impérative de l'apôtre Paul à la fin de sa première lettre aux Thessaloniciens. Flûte alors ! Sauf que ce ne sera pas une flûte de champagne, mais plutôt une flûte traversière en travers de ma vie bien tranquille.
Vous savez, personnellement, je suis vraiment un adepte des heures de sommeil, et même de la sieste pour redémarrer l'après-midi ; surtout qu'après l'après-midi, il y a encore bien souvent une longue soirée de travail. La « veille », à mon humble avis, ça peut aussi se comprendre par la notion du « mode veille » de nos appareils électronique : pas tout à fait éteint, mais prêt à démarrer, s'il le faut. « Prenez garde, restez éveillés... veillez donc ! » Est-ce bien raisonnable ? « Priez sans cesse ! » Est-ce bien réaliste ? Ne faut-il pas plutôt donner raison au psalmiste, lorsqu'il affirme : « Si le Seigneur ne garde la ville, la garde veille pour rien » ?
Pas la peine de se fatiguer si Dieu ne s'engage pas. Seulement voilà : si Dieu s'engage, sommes-nous pour autant dispensés de le faire ? Alors quoi : qui doit veiller ? Quand et comment ? Sur quoi et sur qui ? Quelle est donc la vigilance à laquelle nous sommes appelés ? Car on le voit bien – on ne va plus tergiverser – l'Evangile est vigilant. L'Evangile fait de nous, ses auditeurs, des veilleurs, même si Dieu est le premier à veiller. Le Seigneur veille, soit – mais vous : faites attention ! Soyez éveillés ! Veillez donc !
J'aime ces impératifs. Parce qu'ils sont entourés de l'indicatif de Dieu. Dieu veille. Dieu vient. Pas demain. Ou pas demain seulement. Mais aujourd'hui, déjà. Eh oui, frères et sœurs, la nouveauté du Nouveau Testament n'est pas d'abord dans un futur dont on attend encore et toujours qu'il vienne. Bien sûr qu'après 2017, il y aura 2018, et qu'après 2018, il y aura encore 2019, et ainsi de suite jusqu'à la fin – que cette fin soit la mienne ou celle du monde. Et nous croyons même qu'à l'horizon de notre fin personnelle comme à l'horizon de la fin du monde, il y aura quelqu'un... et que c'est le Christ.
Mais on ne va pas tourner les pages de nos agendas comme on tourne les pages d'un livre, sans en lire attentivement chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe ou chaque chapitre. Je dirais même plus : on ne va pas tourner les pages de nos agendas comme on tourne les pages d'un livre, sans en co-écrire attentivement chaque moment. Car enfin, notre histoire est à la fois celle que nous recevons dans cette vie, celle que nous recevons de Dieu et des autres. Notre histoire est encore celle que nous donnons dans cette vie, celle que nous offrons à Dieu et aux autres. Pourvu que cette histoire, nous ne la subissions pas ! Mais vous : faites attention ! soyez éveillés ! veillez donc !
J'aime ces impératifs. Parce qu'ils sont entourés de l'indicatif de Dieu. Dieu veille. Dieu vient. Pas demain ; ou pas demain seulement. Mais aujourd'hui, déjà. L'indicatif de Dieu se conjugue au présent, parce que Dieu nous fait le cadeau du présent. Seulement voilà que nous, on préfère conjuguer l'indicatif de Dieu au passé ou au futur. Et même jusque dans nos traductions de la Bible, on préfère reléguer Dieu ailleurs que dans l’ici et maintenant. Voudrait-on le tenir à distance pour qu'il ne nous dérange pas trop ?
Tenez, les traductions protestantes françaises des paroles de Jésus dans l'Evangile de Marc tombent toutes d'accord sur un indicatif de Dieu au futur. Et même la traduction œcuménique opte pour un futur : « Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. » Quand ce sera le moment ? Mais non, le verbe grec est au présent : « ... car vous ne savez pas quand c'est le moment. » Et c'est la même chose lorsque Jésus appelle, un peu plus loin, à la vigilance : « Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir. » Mais non, le verbe grec est une fois encore au présent : « Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison vient. »
Merci ! Merci à ma collègue française Marion Muller-Colard de nous avoir rendu attentifs à ce gros détail dans le texte. Et je ne résiste pas à l'envie de vous partager les conclusions que cette pasteur-écrivain en tire dans son petit livre consacré à « L' Intranquillité : ... il ne s'agit plus d'une vigilance destinée à guetter un moment à venir, mais d'une vigilance de chaque instant pour lui-même. C'est un impératif à vivre au présent et à être prêt, en tout temps, à l'imprévisible. Il ne s'agit plus de la fin des temps : il s'agit d'une vie qui ne se vit qu'instantanément, dans l'ajustement incessant à ce qui EST. » (fin de citation)
Mais vous : faites attention ! Soyez éveillés ! Veillez donc ! J'aime ces impératifs, parce qu'ils sont entourés de l'indicatif de Dieu. Dieu veille. Dieu vient. Pas demain. Ou pas demain seulement. Mais aujourd'hui, déjà. L'indicatif de Dieu se conjugue au présent. Parce que Dieu nous fait le cadeau du présent. Il y a une urgence à vivre chaque jour comme un recommencement ou carrément comme un commencement. A ce propos, j'ai été très impressionné par ce moment où, dans une interview, la chanteuse française Barbara parle de son métier comme d'un métier merveilleux où se refait chaque seconde : « ce métier merveilleux, vois-tu, c'est de refaire chaque seconde ». Pas étonnant, je trouve, quand on sait que Barbara dit être entrée en chanson comme on entre en religion.
Et nous, frères et sœurs, sommes-nous entrés en religion ? Sommes-nous entrés dans cette relation au Christ qui nous appelle à veiller ? Sommes-nous entrés en lien si intense avec la vie, avec cette vie, que chaque seconde vaut la peine d'être habitée ou chantée ? Quel est notre chant dans cette vie ? Oh je ne parle pas de ces beaux cantiques que nous entonnons à l'église, ni même de cette émouvante musique d'une messe de Haydn quand on a la chance d'y joindre sa voix. Quel est notre chant – c'est une image – quel est notre chant lorsque nous parlons ou écrivons, lorsque nous travaillons ou voyageons, lorsque nous aimons ou que nous souffrons ? Notre chant : c'est le chantier permanent !
Mais vous : faites attention ! Soyez éveillés ! Veillez donc ! J'aime ces impératifs. Parce qu'ils sont entourés de l'indicatif de Dieu. Dieu veille. Dieu vient. Pas demain. Ou pas demain seulement. Et puis j'aime – même s'il me fait terriblement peur – j'aime encore cet autre impératif de l'apôtre Paul qui va jusqu'à ordonner ceci : « Priez sans cesse ! » Prier sans relâche ? Est-ce possible ? On se souvient du récit d'un pèlerin russe. Taraudé par les mots « sans cesse », notre chercheur ira de ville en village, et de monastère en ermitage pour trouver enfin le starets qui lui apprendra la « prière de Jésus ». C'est la prière que je vous ai proposée tout à l'heure.
La « prière de Jésus », appelée aussi « prière du cœur » est greffée sur la respiration – « Seigneur Jésus-Christ » à l’inspir et « Ayez pitié de moi » à l’expir. Cette manière de prier fera du pèlerin russe un croyant qui prie comme il respire. On pourrait donc lui dédier la jolie phrase de Saint Augustin : « Le poisson nage, l’oiseau vole, l’homme prie ». Je dirais même plus : « l’homme resprie ! » Puissions-nous, nous aussi, prier comme nous respirons, lorsque nous œuvrons comme lorsque nous dormons.
Prier au présent, prier à chaque instant, ce serait beau, ce serait bien. « Priez sans cesse ! » Possible ? Impossible ? Les deux, mon général ! Seul, je dirais, que c'est impossible. Si l’Ecriture me disait : « Prie sans cesse ! » je devrais honnêtement avouer un échec permanent. Même si l’horizon de ma vie terrestre doit être de prier toujours davantage, même si ma vie doit pouvoir devenir, à force de prier, une prière vivante dans tout ce que je fais, je devrai déclarer forfait.
En revanche, c’est possible, si l’impératif est entendu au pluriel : « Priez sans cesse ! » Savoir que quelqu’un prie quand je travaille. Savoir que des fidèles sont à l’église quand je n’y suis pas. Savoir que des monastères prient sans cesse pour le monde et à sa place. Prendre conscience qu’il y a toujours quelqu’un qui prie – Dieu merci ! – et que je suis, que je le veuille ou non, je suis partie prenante de ce « monastère invisible ».
Mais il me restera toujours à progresser en approfondissant la joie que rien ni personne ne pourra m’enlever : la joie de joindre, plus souvent encore, ma propre prière à celles et ceux qui prient comme ils respirent. La joie de faire mon propre retour au Christ dans la régularité de l’Esprit.
Amen