Le rire des dupes

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Introduisons les textes bibliques et la prédication, par ce texte du Moyen Age qui compare l'Eglise à une ânesse. La tête c'est le Christ, les oreilles représentent les Testaments, le vieux et le nouveau. Les quatre jambes, ce sont les évangélistes. Le derrière c'est l'enfer, autour duquel bourdonne un essaim de moucherons, qui sont les mauvais paroissiens, lesquels vont aller en enfer. Mais la queue qui frétille et les fouaille - fouette - sans répit, ce sont les bons prédicateurs dont la parole vaillante les empêche de tomber dans le gouffre!
(Aaron Gourewitch, medieval popular culture)

Choisir le rire comme thème de ces trois prochains cultes radiodiffusés, c'est dire que ceux qui ne rient jamais ne sont pas sérieux. Le rire et l'humour, sous leurs différentes formes, sont des moyens de communication et d'expression. Plus, ils sont des outils de communication au service d'un message. Ne pas en tenir compte reviendrait à dire que Charlie Chaplin n'a jamais communiqué que du vide, du rire pour le rire.
L'équipe de pasteurs qui est à l'origine de ce thème du rire a voulu démontrer que rire de Dieu, ce n'est pas forcément se moquer de Dieu. Elle a souhaité montrer, en préparant cette série de cultes, que faire de l'humour au sujet du message chrétien ce n'est pas à tout prix tourner Dieu en dérision. Le rire appartient à l'homme. Il n'est dit nulle part que Dieu n'aurait créé l'homme que pour le voir pleurer. Et c'est pourquoi, à l'entrée de cette période des vacances d'été, nous avons choisi le rire comme thème de prédication.
Alors, nous vous en prions, ne faites pas comme ce bon paysan qui somnolait durant le sermon du pasteur, ronflait même doucement avec quelques-uns de ses amis. Soudain, alors que le pasteur annonçait qu'on chanterait l'amen de sa prédication au N° 56, le brave paysan cria «Quine !»
Le pasteur ne put s'empêcher de tirer la leçon suivante : «Voyez, frères et soeurs, votre grande misère. Lorsque je parle de Dieu et de l'Evangile, vous vous endormez. Mais à peine ai-je laissé monter à votre conscience le rappel du jeu, vous voilà soudain en éveil et tout ouïe.»

Le rire des dupes
Un mécanisme naturel
Les éclats de rire, on les entend au bistrot, en société autour de la table d'un repas de fête. Le rire est presque toujours déclenché par les trois lieux communs bien connus de tous, à savoir : le cul, la religion et la mort. Souvent il retentit comme un mécanisme de défense. Au départ, ces trois thèmes qui mettent en mouvement nos muscles zygomatiques ne sont pas abordés, dans la discussion, pour rire. Ils arrivent en général parce que leur contenu est très sérieux. Il touche les gens au plus profond des enjeux de leur vie.
C'est alors que les mécanismes de défense dont un, le rire, commencent à se mettre en place. Il y a comme une évidence que lors d'un dîner aux conversations mondaines, qu'avec un ballon de rouge pris au bar de la «Croix d'or» avec des copains, il suffit de rire pour être à la page, pour sauver la face. Mais voilà, c'est toujours un peu court pour un destin. Parce que, quand il s'agit de se découvrir, d'avoir une opinion sur un sujet d'actualité, de prendre position face au monde, face à Dieu, de parler d'espérance, en rire devient souvent le meilleur moyen de fuir le courage d'être, de vivre avec de telles interrogations.
C'est à ce moment que le rire part tout seul, qu'il s'érige du tac au tac comme un véritable moyen de défense, qu'il s'impose. Un éclat de rire, certes, un bon gag bien gras pourquoi pas, mais que défendent-ils, que cachent-ils en réalité ?

Le derrière du rire
Le rire a un derrière. Et souvent, c'est ce derrière de notre pensée qu'on ne veut pas voir. Pourquoi, parce qu'il soulève des questions. Il met en jeu mon existence dans ses fondements: «Vous voulez rire, je n’ai jamais parlé de cela ! et du reste, ça ne vous regarde pas.» Nous sommes là à la frontière du rire et des profonds enjeux de sa propre existence.
Si donc le rire est comme une façade, c'est que probablement aux fenêtres de son visage, ses yeux, sa bouche ou tout simplement au balcon de sa propre face, on ne veut montrer des choses importantes de sa vie, que ce qui n'engage pas trop, que ce qui est superficiel. Dit autrement, le rire cache, il n’est, selon son degré de finesse, que l'expression d'un grand vide existentiel. Il est le témoin du constat, souvent tragique, que je n'ai pas de réponse à donner au thème, à la question qui a déclenché mon rire. A ce moment, ne suis-je pas le dupe de mon propre rire ? N'y a-t-il pas à cet instant comme une peur qui s'installe quant à ma prise de conscience de la réalité qui est en jeu dans la discussion. Comme si tout à coup cette prise de conscience avait une telle densité, une aussi grande portée, un tel impact sur ma vie, dans mon existence, qu'il ne m’est plus permis d'avoir d'autres moyens pour y faire face que de rire. Pas d'autres moyens que d'éclater de rire avec les autres.
C'est donc bien le derrière du rire qui est en question dans le rire des dupes. Dans le rire comme moyen de défense, dans le rire comme mécanisme naturel qui m'empêche d'entrer en matière sur les vraies questions de la vie, comme par exemple sur celle de Dieu.

Le rire de Sara
Le rire de Sara va bien dans ce sens. Devenir enceinte n'est pas une petite affaire dans la vie d'une femme. Surtout quand à son grand âge elle n'a pas encore eu d'enfant. Et quand les trois messagers annoncent à Abraham que sa femme aura un fils, derrière lui elle se met à rire. Son rire est celui de l'incrédulité, de la dérision, du refus du miracle. En fait c'est défensif, dans la réalité de Sara ce miracle n'est pas possible on ne peut qu'en rire. C'est le rire moqueur de l'incroyante sur les possibles de Dieu, sur l'ouverture de Sara à la grâce de Dieu. En un mot, c'est le rire d'une dupe qui ne croit pas trouver son compte dans cette affaire. C'est le rire de celle qui ne sait pas ce qu’elle perd en tournant en dérision, par le rire, le message des trois hommes qui viennent visiter Abraham.
En ce sens-là, le rire de Sara est semblable au péché : Sara par son rire se coupe de Dieu. Le rire l’empêche d'entrer en relation avec Dieu, manifesté ici par les trois messagers. C'est pourquoi nous pouvons affirmer que le rire de celui, de celle qui est dupe est souvent le rire du ou de la pécheresse. Chaque fois que son propre rire cache une volonté de ne pas entrer en relation, en dialogue avec Dieu, il nous coupe par conséquent de Dieu. Et comme Dieu respecte la liberté de chacun et ne force personne, il ne peut que regretter le rire du dupe. En définitive, ce rire n'est rien d'autre que le rire de l'imbécile, du mécréant. Le rire de celui ou de celle qui ne veut pas se laisser remettre en question. Le rire de la suffisance, le rire de la mort.

Le deuxième rire de Sara

Il y a ici comme un deuxième rire de Sara. Celui qu'elle comprend après. Un rire qui, a posteriori, est porteur d'avenir. Ils auront un enfant, Isaac qui en hébreu veut justement dire «rire». La promesse de Dieu faite à Abraham d'avoir une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel devient réalité.
Le deuxième rire ou niveau du rire n'est plus celui qui me coupe de Dieu, mais au contraire celui qui me rallie à sa promesse. Donc si le rire n'est plus un moyen de défense, une occasion de duperie, il devient occasion de joie : «Dieu m’a fait rire de joie», déclare Sara. Le rire assumé n'est plus en contradiction avec ce qui derrière au niveau de la pensée, le motive. Au contraire, il en devient l'expression positive, joyeuse. Ainsi oser rire n'a plus rien à voir avec une quelconque forme d'autodéfense. Non, le rire est ce don de Dieu, capable d'exprimer ma joie de vivre, de mieux maîtriser ma distance d'avec Dieu afin de mieux l'aimer. En quelque sorte ce rire ainsi compris non seulement fait baisser mon hypertension artérielle, facilite ma digestion et remplit mon sommeil de beaux rêves, mais encore il me rappelle que Dieu l'a probablement donné à l'homme et à la femme pour qu'ils se souviennent que le rire, qu'il soit rabelaisien, noir ou jaune, anglais ou spirituel, quand il est authentique, qu'il ne cache rien, ce rire-là, on n'en meurt pas, on en vit pour l'éternité.

Amen.

Détails

Avec la participation de
et Alexandre Paris, pasteur
Orgue
Christiane Zbinden
Musique