Le réalisateur :
Mesdames et Messieurs, bien plus qu’une institution, qu’une église reconnue ou pas qui s’interroge constamment sur sa manière de rattraper son retard, sur sa vocation et sa fonction, nous voudrions ici, avec vous, durant cette nuit de Noël interroger quelques personnages de ce grand mystère. Vous le savez, son scénario se trouve dans les évangiles de Matthieu et de Luc dans la Bible.
Je salue d’abord les sélectionneurs de ce casting de Noël, qui ont donné leur accord pour être avec nous ce soir de Longue Veille : Christmas, le célèbre metteur en scène et le théologien laïc engagé : Profanus.
Christmas :
Merci, cher réalisateur. Puis-je d’abord faire une remarque introductive ?
Le réalisateur :
Mais sans doute, cher ami.
Christmas :
Le décor est posé ici, dans le temple de Bevaix, et de quelle manière ! Comme chez vous aussi, chers auditeurs, auditrices qui nous écoutez sur les ondes. Et c’est pourquoi je vous propose tout de suite d’entendre quelqu’un qui sait dire merci. Vous, mademoiselle qui vous êtes inscrite au casting pour jouer les anges.
Premier interprète de l’ange :
Je vis une nuit lumineuse.
Comment libérer les mots
Pour te dire merci mon Dieu ?
Comment démêler mes histoires
Pour te dire que c’est la tienne qui compte ?
C’est l’heure des louanges.
Nous rêvons tous de devenir des anges.
Mes mots pour toi sont splendeurs.
Mon histoire dans la tienne perd ses peurs.
Avec tant de voix, je veux te dire merci.
Joyeux, tous ensemble, nous voici.
Le réalisateur:
J’ai l’impression que l’interprétation de l’ange est splendide, que son entrée est bonne. Cher jury, j’ai dans l’immédiat une question, au sujet du scénario. Nous avons parlé de scénarios de Luc et de Matthieu. Qu’en est-il au juste M. le metteur en scène ? Vous en choisissez un, les deux, de quoi s’agit-il précisément ?
Christmas :
Le scénario de Noël n’est en fait que dans deux des quatre évangiles qui nous parlent de la vie de Jésus dont nous fêtons, cette nuit, la naissance. Vous dire pourquoi serait un peu compliqué. Mais paradoxalement, les auteurs de ces scénarios, appelés « Evangile », doivent d’abord avoir pensé à la mort et à la résurrection de Jésus, devenu le Christ, l’oint de Dieu. Ensuite seulement, ils rédigèrent le récit de sa naissance. Ou si vous voulez, la vraie naissance du Fils de Dieu est bien celle de sa résurrection à la vie éternelle. Une naissance à la vie de Dieu qui n’entraîne pas de facto la mort, mais la vie en abondance.
Mais revenons à nos moutons. Nous nous référerons justement à l’évangile des bergers pour cette nuit de Noël. L’évangile des pauvres. Et à ce sujet, nous avons trois acteurs pour le rôle du berger. Ecoutons le premier.
Premier interprète du berger :
Je voudrais d’abord dire que les bergers, c’est une vieille histoire. Faut pas croire qu’ils sont arrivés comme ça, juste pour la naissance de Jésus. Ils ont une place importante dans l’histoire du peuple de Dieu. Dans l’histoire des patriarches, des rois d’Israël, des prophètes, dans les écrits historiques. On en parle avec des mots de moutons, de brebis, d’agneau, de pasteur. Le pasteur, c’était d’abord un berger avant d’être un beau parleur, ou comme ils disent aujourd’hui « le pasteur un interprète ». Aussi dans les livres poétiques de l’Ancien Testament on en parle beaucoup. Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien, chante le poète du livre des psaumes, au psaume 23.
Et Mesdames et Messieurs, ne dit-on pas que Jésus a pour ancêtre lointain le roi David, qui était un berger? Rappelez-vous son combat, avant qu’il soit consacré roi, contre Goliath le géant. Il n’était qu’un petit berger. De rien je ne sais pas, mais un berger comme moi. Ecoutez plutôt un extrait de ce célèbre récit :
36 C'est ainsi que j'ai, dit David, tué des lions et des ours. Eh bien, je ferai subir le même sort à ce Philistin païen, puisqu'il a insulté l'armée du Dieu vivant.
3 Le Seigneur qui m'a protégé des griffes du lion et de l'ours saura aussi me protéger des attaques de ce Philistin. « Vas-y donc, répondit Saül, et que le Seigneur soit avec toi. »
38 Saül prêta son équipement militaire à David : il lui mit son casque de bronze sur la tête et le revêtit de sa cuirasse.
39 David fixa encore l'épée de Saül par-dessus la cuirasse, puis il essaya d'avancer, mais il en fut incapable, car il n'était pas entraîné. Alors il déclara qu'il ne pouvait pas marcher avec cet équipement, par manque d'habitude, et il s'en débarrassa.
40 Il prit son bâton et alla choisir cinq pierres bien lisses au bord du torrent; il les mit dans son sac de berger, puis, la fronde à la main, il se dirigea vers Goliath. (I Sam 17, 36-40)
Le réalisateur :
Alors, le jury du casting, vous avez quelques critiques à faire au sujet de cette première interprétation du berger ?
Profanus :
Cher réalisateur, en effet. Excepté les références à votre sacro-saint livre de Dieu qui fait partie – je vous l’accorde – du patrimoine littéraire et spirituel de notre civilisation, que peut bien être un berger pour nous aujourd’hui, hommes et femmes du 21e siècle ? Et de plus dans ce contexte de Noël un peu vieillot, ringard, petit, un peu piteux, me semble-t-il insuffisant par rapport aux grandes liturgies contemporaines. Celles du sport et des grands shows. Aussi par rapport à nos problèmes d’aujourd’hui, qu’est-ce que vous nous proposez de plus en lien avec notre réalité, de plus proche de nos problèmes et de nos questions ? Qu’est-ce que votre berger, de l’époque du début de notre ère, sale, mal rasé qui sentait mauvais, sans morale, peut aujourd’hui nous dire ? Un peu de solidarité avec les nouveaux pauvres, avec le quart monde et la crise de l’agriculture !
Le réalisateur :
Bon, bon ! Eh bien écoutons la deuxième personne qui s’est inscrite à notre casting pour ce rôle de berger.
Deuxième interprète du berger :
Ce qui compte pour moi ce n’est pas tellement de chercher des groupes à stigmatiser pour leur plaquer des marques d’infamie. Les bergers d’aujourd’hui sont ni romantiques, ni non plus le symbole d’une pauvreté pandémique comme la grippe H1N1 par exemple. Encore moins les messagers d’une nouvelle éthique.
Ne seraient-ils pas plutôt ceux qui, au fond, savent bien qu’il ne faut pas renoncer, se couper, séparer radicalement l’humain du divin, l’homme de Dieu, notre modernité du christianisme ? Ne pas avoir peur d’établir une relation avec cet acte originel que représente l’adoration des bergers. Leur joie, leur louange. Leur étonnement aussi.
Mais cela pas pour y perdre son identité. Pas non plus pour devenir esclave d’une tradition, de structure institutionnelle ou constitutionnelle qui prendrait la place de l’événement.
Non, moi le berger je voudrais que tous les chefs, les directeurs/trices aussi, les présidents/tes, tous ceux qui détiennent des pouvoirs qui comme moi avec mes moutons s’occupent du bien être de leurs protégés ; que tous ceux-ci se mettent à regarder plus haut, plus loin que tous les enclos de tant de fermeture, de tant de vision bouchée par le périmètre de leurs propres idées.
Moi, le berger je voudrais, que tous les pays du monde retrouvent la paix. Que toute la création respire la verdure des arbres. Et que tous, hommes et femmes du monde avec les enfants fassent un effort pour entendre les anges. Que tous s’inclinent sur le corps de l’amour de Dieu glané dans le champ de blé du vieux Booz.
Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une Moabite,
S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.
Nous raconte Victor Hugo dans « Booz endormi » Ruth et Booz faisant eux aussi partie de la lignée de David, comme Jésus.
Tout ça non pas pour s’écraser devant Dieu, mais parce que voici Bethléem, le village de cette lignée davidique, Bethléem, la maison du pain, la demeure dont l’humanité a besoin pour manger le pain de la liberté. Ce lieu où accourt la paix vertigineuse, où flambe la brûlure de la lumière de Noël. La simplicité sans fin de la tendresse de Dieu.
Et je vous propose si vous permettez Messieurs et dames de cette nuit du casting de Noël de vous faire écoutez ce magnifique récit des bergers qui foncent à Bethléem.
Dans cette même région, il y avait des bergers qui passaient la nuit dans les champs pour garder leur troupeau. Un ange du Seigneur leur apparut et la gloire du Seigneur les entoura de lumière. Ils eurent alors très peur. Mais l'ange leur dit : « N'ayez pas peur, car je vous apporte une bonne nouvelle qui réjouira beaucoup tout le peuple : cette nuit, dans la ville de David, est né, pour vous, un Sauveur; c'est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous le fera reconnaître : vous trouverez un petit enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Tout à coup, il y eut avec l'ange une troupe nombreuse d'anges du ciel, qui louaient Dieu en disant : «Gloire à Dieu dans les cieux très hauts, et paix sur la terre pour ceux qu'il aime ! » Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : « Allons donc jusqu'à Bethléem: il faut que nous voyions ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. » Ils se dépêchèrent d'y aller et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le petit enfant couché dans la crèche. Quand ils le virent, ils racontèrent ce que l'ange leur avait dit au sujet de ce petit enfant. Tous ceux qui entendirent les bergers furent étonnés de ce qu'ils leur disaient. Quant à Marie, elle gardait tout cela dans sa mémoire et y réfléchissait profondément. Puis les bergers prirent le chemin du retour. Ils célébraient la grandeur de Dieu et le louaient pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, car tout s'était passé comme l'ange le leur avait annoncé. (Luc 2, 8 - 20 BFC)
Profanus :
Si vous permettez, Monsieur le réalisateur, ce qui m’interpelle dans ce bout de scénario de Noël que nous venons d’entendre, c’est la trouille des bergers. Ils voient un ange et « ils eurent alors très peur » L’apparition du divin les déstabilise. Certes, l’ange les rassure. Mais tout de même cette peur dont aujourd’hui tout le monde parle. Qu’en fait-on ? Si Dieu fait peur, si une grande majorité des hommes et des femmes a peur que fait-on ? J’aimerais bien entendre un casting de berger qui me rassure à ce sujet. Qui répond à cette peur moderne d’une humanité qui se croit abandonnée ?
Troisième interprète du berger :
Ben ! Il y a peur et peur. Il y a d’abord celle qu’engendre la perte de confiance. Et puis il y celle qui est moins une peur qu’une crainte de se trouver vis-à-vis de Dieu ou de son Fils. De celle-là aujourd’hui la grande majorité s’en balance. Ou parce que ce petit Jésus dans une crèche c’est bon pour les enfants ou tout simplement parce que l’homme ne veut plus se séparer de soi pour faire face à Dieu. Il se contente de se faire face à lui-même.
Et de penser qu’il peut se passer de Dieu. Et ça je vous le dis, ça ne leur fait pas peur, mais ça fait peur aux autres. À nous les bergers, les paumés, les pas trop riches, le plus grand nombre quoi. Et voilà pourquoi on perd confiance en tous ceux qui ne veulent plus de Dieu et encore moins du petit Jésus.
On cherche des signes pour la retrouver, cette confiance et on est toujours plus déçu. Alors on a décidé d’écouter l’ange quand bien même d’abord il nous a un peu foutu la trouille. Mais là au moins on a eu une réponse. « N’ayez pas peur !» Allez voir et vous m’en redonnerez des nouvelles, nous a-t-il dit. Et tous ces copains, copines se sont mis à nous rassurer, à nous apaiser avec leur voix. Je vous dis pas, même dans la nuit on a tout à coup plus eu peur. Leurs voix nous ont enchantés, le ciel s’est agrandi. On s’est incliné devant ce mystère de la création et on s’est mis en route pour aller concrétiser notre confiance là-bas à Bethléem.
Christmas :
J’entends bien cette interprétation du troisième casting de berger. Il se situe bien par rapport à l’importance du divin représenté dans ce scénario par l’ange et sa troupe. Toutefois je ne suis pas encore convaincu de ce qui ôte la peur des bergers. Qu’est-ce qui fait qu’ils n’ont plus à avoir peur ? Comment faire aujourd’hui pour que le monde retrouve confiance ? Je souhaiterais encore écouter le casting d’un ange.
Deuxième interprète de l’ange :
Eh bien moi si vous voulez bien, je ne suis que l’organe de transmission de la volonté divine, c’est-à-dire, de la volonté de Dieu. Et cette nuit, elle se résume à : allez voir celui qui naît à Bethléem. C’est lui qui vous redonnera confiance.
Allez toucher l’événement. Une autre expression pour parler d’incarnation du Fils de Dieu. La confiance n’a rien à voir avec le boursicotage des idées, avec des théories abstraites. La confiance, elle, s’embrasse. Dans la nuit mystérieuse de Noël, elle se voit. Dans la nuit souveraine de Noël la confiance s’illumine d’une présence, celle de Dieu. Eh oui que l’on peut embrasser. Qui n’a jamais embrassé un enfant entouré de sa maman et de son père ?
Oui tous auprès de lui, de Jésus le fils de Dieu qui naît à Noël, tous nous pouvons trouver réconfort et confiance. En lui toutes les autres figures tutélaires qui se réclament de cet amour de Dieu manifesté sur notre terre, sont capables de nous redonner confiance.
Car nous savons que cette force veut nous jeter vers le haut, cette force de la confiance veut nous éloigner des idoles qui nous écrasent vers le bas. Oui, c’est de cette force de confiance que nous mettons en Jésus-Christ, ressuscité à Pâques et qui naît à Bethléem que souffle notre cœur. Les mots de nos actes seront alors des témoins, des signes de cette naissance, des respirations qui nous portent, nous soulèvent et nous lient sans cesse à l’inouï de la nuit de Noël.
Le réalisateur :
Et bien chers Christmas et Profanus vos appréciations de ce casting ! Pouvons-nous aller de l’avant ?
Christmas :
Pour la mise en scène, je crois pouvoir faire quelque chose de bien avec ces acteurs. Mais je me pose tout de même la question de la scène justement. Faut-il aller dans le sens d’une scène internationale, mondiale. Imaginer une scène sur laquelle chacun, chacune, l’humanité tout entière puisse se reconnaître, entrer en scène. Là je vous l’avoue je ne suis pas encore au clair.
Profanus :
Eh bien voyez-vous, je crois qu’il ne faut pas jouer cette mise en scène trop en haut, dans les super structures. Regardez vers le haut si j’ai bien compris le deuxième ange, « une confiance capable de nous jeter vers le haut » ce sont ses termes. C’est un haut qui nous rappelle que Dieu est toujours plus loin, plus haut, encore avant les résultats de la science, avant ses investigations et suppositions. Plus haut c’est Dieu d’abord, avant tout. Par l’expression « ne pas jouer trop haut la mise en scène » je veux simplement dire que la hauteur à Noël, dans la crèche, n’est pas en bas, mais dans l’humilité. La fragilité. Dans l’esprit de pauvreté. Et que tout commence dans cet environnement ainsi qualifié.
Alors s’il vous plaît une mise en scène sur la paille d’abord. Dans les crottes de la pauvreté, de la misère ensuite. Et pour finir une mise en scène qui sort du tombeau vide. Hors de la grotte où est né Jésus. Une mise en scène qui veut faire sortir les grandes misères, partout étalées par ceux et celles qui ne les vivent pas, qu’elles sortent du noir, du froid de tant de mensonges, de morts et de corruptions.
Une mise en scène, mes amis, qui redonne au paysage, aux petits coins de terre, aux grandes étendues de la mer, aux ports comme aux estuaires, aux montagnes, comme aux plateaux, à toute la terre sa dignité de création de Dieu. Et à ceux et celles qui l’habitent de leurs beaux prénoms : à Jeanne, Arthur, Lucas, Myriam, à Abdul, Adiouma, Coleman, à Aliocha, Anastasia, à Pedro et Sophia, à Malika et Jamal, Shaozu et Yan. À tous une mise en scène qui redonne cette joie de vivre Noël. De dire Noël. D’aimer Noël. Qu’en penses-tu mon ange ?
Un des deux anges :
Oui du tombeau vide comme de la crèche il faut sortir. Venez tous que je vous emporte sans autre escorte que le feu de l’Esprit de Dieu et le battement de ses ailes. Allez tous reconnaître, sans peur, celui qui naît à Bethléem. Il est là dans les paroles de l’autre, sur son visage. Il est là avec toi dans votre avenir commun. Il est là, à fleur de confiance.
Amen !