Persuadés que l'esprit de Dieu souffle aussi dans les cultures de notre monde, nous vous invitons aujourd'hui à écouter l'Evangile résonner dans la culture gospel. Le christianisme a toujours su dire l'Evangile dans les mots, les images et les sons de son époque.
Ce matin, ouvrons-nous au souffle de Dieu qui fait vibrer nos vies à l'écoute de ces rythmes éternels. Rythmes qui font danser l'avenir comme un gospel dans la bouche d'un ange. Entrons dans le mouvement, dans ces voix d'or, ces notes blues, ce balancement qui ouvre notre cœur pour entrer en prière avec Dieu.
La musique et le chant Gospel sont une vieille histoire afro-américaine. Si je me souviens bien, on y parle beaucoup d'esclavage. Déportés d'Afrique de l'Ouest, depuis le 17e siècle, des milliers d'esclaves ont connu un sort cruel : familles dispersées, culte et musiques interdits. Dépossédés de leur identité, ils n'avaient plus que le grain de leur voix et la couleur de leur peau pour se réinventer un peuple, retrouver une âme. Leurs chants étaient ceux d'un peuple martyr. En fait, rien à voir avec ce que nous vivons aujourd'hui.
On peut se demander, en effet, ce qui nous fascine dans cette culture. Pourquoi dans de nombreuses églises, comme dans tant de concerts on aime chanter, écouter des négrospirituals et des gospels ? Quel est le lien que nous pouvons faire, avec notre époque, sans trahir l'essentiel du message de cette culture ?
L'erreur la plus sérieuse serait de trop insister sur l'arrière-plan historique et social. Car comme dans toute grande poésie le sujet traité est celui des servitudes et des espoirs de l'homme. Nous aspirons tous à la libération. Nous tous, au fond de nous-mêmes sommes, des chanteurs d'espérance.
Le problème, c'est que trop souvent la forme l'emporte sur le contenu. Nous nous laissons emporter par le rythme, le swing, le mouvement de cette culture à en oublier le sens. Est-ce que cela ne réveille pas, en nous, des émotions premières qui ont été refroidies par notre civilisation trop raisonnable ? Et cela a tellement envie de sortir, on a tellement envie de bouger qu'on ne se préoccupe plus beaucoup de savoir quel est le message. Ecoute ce " Go Down Moses " qui se chante comme une ballade, tout en nous mettant en mouvement, la soif d'espérance et de liberté d'un peuple.
Là, tu peux nous dire quel est le message ? Ca nous rappelle un épisode important de l'histoire du peuple de Dieu. Mais c'est vrai ! Est-ce qu'aujourd'hui on ne risque pas de passer à côté du sens, pour en rester à la musique. Il y a ce risque. Lié d'abord au langage que l'on ne saisit pas a priori comme celui de notre propre culture. Mais en revanche, je préfère entendre la parole de Dieu sous cette forme que celle de nos temples si souvent ennuyeuse. Il y a comme une volonté de raconter une histoire, de parler de Dieu par la poésie, un certain souffle lyrique nous touche pour mieux entrer dans le message. C'est de l'art.
Voilà, on se laisse toucher par une parole. Par une histoire racontée sous cette forme. Tu sais, il s'agit de cette célèbre histoire du peuple de Dieu qui était esclave en Egypte. La vie était devenue insupportable pour les Israélites, le peuple de Dieu, les Hébreux. Ils étaient les esclaves de pharaon dans la grande Egypte d'alors. Le goût d'argile dans la bouche, la vie devenait irrespirable. Trop de corps étendus à terre sous le fouet d'un pouvoir tyrannique. Ils attendaient avec impatience un sauveur, un messie.
Et Dieu a fait signe à Moïse en le sauvant des eaux. Cet homme s'est levé, il est monté sur la montagne du Sinaï. Et de là-haut il est descendu parler au vieux roi du peuple égyptien, au pharaon : " Let my people go - laisse aller mon peuple ". Les interventions de Moïse auprès du pharaon se sont révélées terribles. Pharaon a répliqué en augmentant le travail des Israélites. Et ça a fini très mal. Pharaon a même perdu son fils premier-né, digne héritier du trône d'Egypte. Il n'a plus tenu le coup. Il a laissé le peuple des hébreux s'en aller. Moïse, touché par Dieu, était devenu leur guide. Il allait, dès lors, conduire le peuple de Dieu hors d'Egypte.
Et voilà les chanteurs noirs se sont approprié cette histoire. Il se sont laissés toucher par son génie, la présence de Dieu. Il en ont fait quelque chose pour eux. A nous maintenant d'en faire quelque chose pour nous, de nous mettre en route. Nous identifier avec la destinée du peuple des Israélites, des noirs esclaves de l'Amérique. Nous mettre en marche, avec les autres, avec le peuple, sur des chemins de liberté. Et il faut résister à toutes les entraves, refuser de se résigner face au diktat de tant de voix pharaoniques.
On peut le dire comme ça. Mais cela nous conduit à jouer le jeu, à accepter la critique souvent difficile à entendre : celle des convenances. Il ne suffit pas d'aller au concert en robe de soirée, d'écouter des gospels bien chantés, de faire bien dans la société. Ca nous engage à lutter pour la liberté des peuples opprimés, des peuples dont la dignité est bafouée, à lutter pour une justice qui est du côté des pauvres. De nombreux prophètes de la Bible parlent dans ce sens. A n'en pas douter, les chanteurs de gospels avaient aussi cette rage de vivre dans la voix, cette rage de se faire entendre. Ecoute plutôt cet extrait du livre du prophète Amos.
Lecture : Amos 5, 21-27
De la musique, des chants, des cultes d'accord, mais attention au piège de la complaisance. Les chanteurs noirs, esclaves qui venaient d'un continent non chrétien, ne se sont jamais résignés à dire oui aux maîtres blancs. Ils avaient bien compris comme le crie le prophète Amos que leurs maîtres étaient en contradiction avec le Dieu de Jésus-Christ qu'ils confessaient.
Tu veux dire que les chrétiens d'aujourd'hui se doivent d'être interpellés par cette question ? Qu'ils, enfin que nous, avons trop tendance à nous complaire dans une enveloppe par trop formelle ? Si j'ai bien compris, le gospel défend avant tout des valeurs profondes et non superficielles.
Oui, des valeurs fondamentales telles que le droit à la vie et à une justice. Même plus, la culture Gospel défend que toute personne a droit à une espérance, à son dimanche spirituel, même s'il ne va pas à un culte.
Comment à son dimanche spirituel ? Tu veux dire que le dimanche n'est pas une histoire essentiellement de culte à l'église. Qu'on peut avoir son dimanche en voiture, à la maison en préparant son repas de midi. Au lit en prenant son p'tit déj.
C'est ça, le dimanche est une fête du cœur. J'irais même plus loin. On comprend en écoutant le message des gospels que peu importe le baptême et les sacrements dont les blancs bénéficiaient au temple, le dimanche tout particulièrement. Pour le chanteur de negro-spirituals et de gospels, comme en fait pour toute personne qui recherche une communion avec Dieu, c'est ici et maintenant que cela commence. C'est aujourd'hui et pas demain, dans un au-delà, que nous attendons le pays de nos rêves, le pays de notre espérance, le dimanche qui n'aura pas de fin. C'est cela que chantaient les esclaves à leurs maîtres. Et nous chrétiens de ce dimanche, chrétiens d'ici au temple de Bevaix et de partout sur l'antenne, de quel côté sommes-nous, sur quelle voie sommes-nous engagés ? Quelle voie ? Quand tu dis ça, je pense au gospel du train. Ce fameux gospel qui est une métaphore extraordinaire de leur condition.
Il y a quelque chose, une image extraordinaire dans ce gospel. Ce train dans lequel jamais ne montaient les esclaves, si ce n'est pour être conduits sur leur lieu de travail - là, où ils en construisaient la voie ferrée. Dans ce train, ils auraient tous voulu y monter. Parce qu’il allait dans la bonne direction, vers le pays de la terre promise. C'était pour eux le train de la liberté. Et comme par une sorte d'insulte déguisée, les blancs, ceux qui détenaient le pouvoir les encourageaient à bien chanter, pour mieux rythmer leur travail non rétribué afin qu'ils soient plus efficaces. Nous sommes ici en plein cœur de l'évangile.
Ben oui, l'important c'est de monter dans le train. Monter dans le train pour prendre une bonne direction. Non pas seulement être l'exploité qui n'en construit que la voie ! Peu importe si vous êtes maître ou esclave, patron ou ouvrier, si vous laissez votre subordonné, celui qui dépend de vous, monter dans le train du Royaume de Dieu. Car à coup sûr, si vous avez une telle attitude, votre comportement changera. Il vous arrivera même de descendre du train pour tendre la main au cheminot, partager avec lui le verre de l'amitié et le pain de la fraternité, dans l'attente de le faire monter.
Lecture de Galates : 3, 28-29 ; et 4, 7
En fait, le génie de ces familles, de ces premiers chrétiens dont parle l'apôtre Paul, de ces groupes qui au début chantaient l'Evangile n'était autre que de persévérer, de ne jamais se résigner à rester sur le bord de la voie ferrée. C'est bien cela et ils ont fini par avoir raison, par gagner, par l'emporter. Cela n'a pas empêché au racisme de continuer à se tapir dans des lieux et des groupes assez cachés. Il y a eu Martin Luther King, des progrès. On s'ouvre à la différence. Même si aujourd'hui on n'est plus raciste : on est xénophobe…
Les chanteurs de gospels n'ont jamais prétendu posséder la victoire pour toujours. Au contraire, leur plus grande victoire est de nous faire comprendre que leur combat n'a pas de couleur. Oui, et que les valeurs qu'ils ont défendues sont les mêmes que celles que tous les chrétiens du monde devraient défendre, chantant des chants subversifs pendant que les maîtres du monde croient que la religion est leur compensation. Le souffle noir continue de chanter, partout où la liberté, les droits élémentaires, la justice et l'amour sont ligotés. Mais chaque fois que nous l'entendons chanter, les flamboyants de l'aube sont au rendez-vous.
Le train s'est arrêté pour laisser tout le monde monter : " Laissez aller mon peuple ".