Voici mon serviteur…
Plusieurs personnes se tiennent sur la scène : après l'exil, en Palestine, dans la phase de reconstruction du peuple, de sa capitale, de son temple.
Des enchantements : on a retrouvé la terre d'Israël et des désenchantements : ce ne sera plus comme avant, aux temps glorieux du roi David, lorsque le royaume des douze tribus était à son apogée ou alors dans le désert, avec Moïse, quand le peuple était comme suspendu entre les souvenirs de nourriture, sans la liberté, et la réalité d'un présent libre, sans trop de nourriture, mais avec une puissante espérance à l'horizon.
Ainsi en va-t-il de l'histoire des peuples : autrefois c'était le bon temps, le présent n'est pas facile, et quel sera l'avenir ?
Aujourd'hui, pour les Suisses et les Occidentaux en général, une sorte de désespoir pratique rampe autour de nous ; pratique, parce que l'on produit, l'on consomme, l'on se soigne, l'on se divertit, on lutte et on agit, on pratique le ski d'altitude et la natation dans les mers du sud.
Désespoir, parce que la plupart des médias écrivent la chronique d'une guerre annoncée et parce que le commun des mortels accepte comme un fait inévitable le réchauffement de la planète avec son cortège de catastrophes annoncées ou l'inégale répartition des richesses dans un chaos politique, économique et écologique grandissant.
Ah ! Si nous pouvions retrouver des espaces nouveaux et l'ardeur des pionniers du Far West ou la foi des moines déchiffreurs des Vle et Vlle siècles !
Le désespoir pratique était-il le lot de ces Hébreux rapatriés sur leur terre, aux Vle et Ve siècle avant Jésus-Christ ?
La seconde moitié du livre d'Esaïe est tournée vers la tendresse de Dieu, l'espérance d'une belle vie, riche, pleine et partagée avec le monde entier : nous savons presque par cœur les antiques paroles : "Le loup et l'agneau brouteront ensemble, le lion comme le bœuf mangera du fourrage… les hommes bâtiront des maisons et ils les habiteront… il n'y aura plus de nourrisson emporté en quelques jours ni de vieillards qui n'accomplissent ses jours."
Ces textes nous habitent, ils fondent notre idée du bonheur : santé, niveau de vie décent, espoir de construire sa vie, dignement et joliment. Ils enracinent l'espérance dans cette terre et dans ce monde : ce n'est que plus tard, après la venue de Jésus-Christ, que l'espérance chrétienne tournera ses regards plus loin, au-delà des limites humaines de la vie.
Elle est belle cette différence à donner au sens des mots espoir et espérance, qui se pourrait résumer ainsi : quand il n'y a plus d'espoir, se lève l'espérance, mais il faut l'un et l'autre au bonheur de notre vie. L'espoir, un peu comme chez le dentiste : " Croyez-vous que je pourrai garder ma dent ? " - " Il y a peu d'espoir, Madame, je vous ferai une belle couronne des Rois ! "
Et l'espérance : " Reverrai-je ces êtres chers, partis pour toujours ? Y a-t-il une vie sans la limitation de la mort ? Quand tout semble perdu, peut-on croire encore à un Dieu d'amour ?
Il n'y aurait pas autant d'images de bonheur, de tendresse et de consolation dans cette deuxième partie du livre d'Esaïe, si les auditeurs et les interlocuteurs n'avaient pas eu à lutter avec le malheur, la dureté et la tristesse, qui font partie du tableau d'une vie humaine, de la vie des peuples et du monde entier.
Les personnages en scène sont Dieu qui parle et qui dit " Voici… " Ensuite le prophète qui reprend à son compte les paroles de Dieu qui ont jailli en lui, mais venant de plus loin : " Voici mon serviteur… "
On marche ici sur le terrain de la parole, dans la culture égyptienne et sémitique, même si cette parole a été faite écriture dans des lois, des récits, des poèmes, et en particulier dans cette bible, bibliothèque des Juifs avec l'ajout du Nouveau Testament des chrétiens, sans oublier le Coran des musulmans qui reprend à son compte une infinité de traditions bibliques.
Ensuite, un scribe a repris les paroles et les a couchées sur un support. Ensuite sont venus à leur tour tous ceux qui ont relevé les paroles couchées et les ont mises debout, dans la récitation et le chant. Avant le scribe, il y a eu les interlocuteurs du prophète, ses auditeurs, ses questionneurs, avec leurs doutes et leur espérance.
Enfin, devant nous le serviteur. Nous ne connaissons pas son nom, même si les savants exégètes y sont allés de leurs conjectures : Jérémie, Zorobabel, Néhémie ou quelque prophète, quelque sage ou juste inconnu au bataillon des personnages bibliques.
Gageons que beaucoup de juifs sages et pieux, se sont inspirés de ce texte pour trouver leur voie en demandant l'inspiration d'En-haut.
Ni Gandhi, ni Martin Luther King, ni Mère Teresa, ni Albert Schweitzer, pour ne citer que les plus connus, ni le franciscain de Bourges, ni la légion des combattants pour la justice et la paix de tous les temps et de tous les lieux n'auraient récusé l'inspiration de ce texte.
Moi, j'en ferai le mode d'emploi du parfait visiteur, de la bonne visiteuse, mandaté ou non par une institution. Nous autres ministres protestants ou prêtres catholiques, nous en prenons aussi de la graine et nous oublions la complexité de nos connaissances psychologiques pour écouter la simplicité du chant : " Il ne criera pas, il n'élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur, il n'éteindra pas la mèche qui s'étiole, à coup sûr, il fera paraître le jugement. "
Le serviteur du Seigneur - Ebed Jahveh ou Abdullah - est donc un personnage atypique : on le voit en mouvement, à pied, comme un pèlerin, dénué de toute agressivité, de tout esprit de dispute ou de prosélytisme, attentif aux choses et aux gens faibles de ce monde.
Tout à l'heure, nous pourrions envoyer une lettre à plusieurs grands ou grandes de ce monde, polie et respectueuse, en ces termes : " Excellence, je vous prie d'accepter nos vœux pour une année de paix et de bonheur, avec ce petit texte de notre tradition judéo-chrétienne Nous prions le Seigneur du ciel et de la terre de vous remettre une clef d'or de compréhension. "
Certainement que vous en trouveriez de semblables dans votre riche tradition religieuse, que vous soyez bouddhiste, hindou, musulman, disciple de Quetzalcoatl ou de Toutenkhamon ( attention, ici pas de plaisanteries, vous écrivez à des puissants, n'écrivez pas Tout en camion, mais Toutenkhamon, le nom d'un grand roi, sage et saint égyptien, de la veine de Nezahualcoyotl, chez les Aztèques, de l'autre côté de l'Atlantique…).
" Il s'agit, Excellence, de l'éloge de la faiblesse pleine de force, alors que la force militaire, économique et politique, celle de l'information, des mass médias et des réseaux maffieux est souvent déjà pourrie ou simplement périssable. Nous vous souhaitons, Excellence, d'entrer dans le groupe des serviteurs du Seigneur, où il y a beaucoup de places vacantes. "
Dans les régimes démocratiques, on parle, et la parole se fait arme pour convaincre le client, pour défendre des intérêts particuliers, pour construire un projet ou pour critiquer le gouvernement. La parole se fait baume dans la bouche du psychologue, du médecin ou de l'assistant social, critique sous la plume du journaliste, interpellation dans le chant du troubadour moderne, appel dans la bouche du prédicateur, interpellation sous la plume du poète et de l'écrivain.
Quand la parole ne trouve plus son chemin, ce sont les barres de fer, les couteaux ou les bombes qui prennent le relais. Témoin cette femme à Paris qui se rendait tard dans la soirée à son domicile et qui se sentit suivie par un inconnu. Elle s'adresse alors à lui, désespérée : " Monsieur, j'ai très peur, pouvez-vous me raccompagner chez moi ? " Au moment de la quitter, sur le pas-de-porte, l'inconnu lui dit, avant de disparaître dans sa nuit : " Eh ben ! ma petite dame, vous avez eu une fameuse bonne idée…
Vous vous souvenez peut-être de la démarche de François d'Assise, qui, en pleine croisade, était venu se jeter dans la gueule du loup - il en avait l'habitude, avec son ami, le loup de Gubbio - en visitant pedibus le sultan d'Egypte qui lui fit, au moment de prendre congé : " Si tous les chrétiens étaient comme toi, François, nous remplirions nos gestes et nos paroles de la paix du Très-Haut… "
Je pense aussi à ces policiers courageux qui commencent par parler avec les personnes en infraction avant de recourir à la force, en particulier à cet ancien commissaire d'une de nos bonnes villes qui savait entrer en contact avec les gens du voyage pour permettre la paix et l'harmonie entre les cultures.
Le texte est finalement provocateur : " Imaginez un peu messieurs Bush, Saddam Hussein, Poutine, Ben Laden avec Madame Calmy-Rey à une session interreligieuse à Crêt Bérard pour étudier les figures de pacificateurs dans les traditions spirituelles du monde entier, et voir comment ces figures virtuelles pourraient se réaliser dans la pratique quotidienne de l'économie et de la politique. Vous allez crier : " Impossible ! ", moi je dis : " Si la foi déplace les montagnes, pourquoi pas ? " Mais il y faut la foi.
Chacun rencontre dans sa vie familiale, sociale ou professionnelle des gens avec lesquels il se trouve en relation négative. Qu'il est difficile de poser la question ainsi : " Je ne me sens pas bien par rapport à toi, quelque chose nous sépare, pourrions-nous en parler ? " Si l'autre répond : " Bien volontiers, allons boire un café " - c'est gagné.
S'il répond : " Oui, c'est nécessaire, parce qu'il y a longtemps que tu me cours sur le système… " ou s'il tombe des nues : " Tu vois un problème, moi pas… ", vous repartez avec votre question qui vous pèse sur la colonne comme ces sacs de 100 kg que les meuniers portaient autrefois.
Et vous soupirez après un serviteur du Seigneur qui ne brise pas le roseau ployé que vous êtes et n'éteint pas la mèche qui s'étiole dans votre falot plein de bonnes intentions, un serviteur qui fait paraître le jugement, la parole de vérité, qui remet les choses et les gens en place, dans l'harmonie.
Vous allez me dire : " C'est un bien beau texte que nous avons entendu là, comme un conte de fées, mais voilà, les contes de fées sont bien jolis… " Il y a une première réponse dans la suite du texte où le serviteur apparaît comme un groupe de personnes, peut-être même le peuple des croyants, qui est appelé à devenir la lumière et le ciment d'une alliance de paix et vérité pour le monde entier.
J'ai été souvent impressionné par le courage des brigades pour la paix dans le monde, et en particulier par ce groupe de citoyens qui s'étaient interposés en Palestine entre les groupes ennemis.
Beaucoup parmi nous ont vibré au film " Le Seigneur des anneaux ". Vous avez suivi les péripéties de ce petit " Monsieur Frodon ", sans force et sans armes, passant à travers la violence guerrière pour débarrasser l'humanité de l'anneau de pouvoir, de la paranoïa guerrière qui l'empoisonne depuis les temps mythiques des sagas nordiques ou du récit de Caïn et Abel.
Si ce texte du Serviteur me comble, c'est qu'il est une référence pour tous les serviteurs de la paix et de la justice de tous les temps.
C'est qu'il offre par-dessus tout un secret, un mystère, qui, est dévoilé, c'est notre foi, dans la personne de Jésus de Nazareth. L'évangéliste Matthieu, et les autres, est clair : "Or, en ces jours-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain. A l'instant où il remontait de l'eau, il vit les cieux se déchirer et l'Esprit, comme une colombe, descendre sur lui. Et des cieux vint une voix : "Tu es mon fils bien-aimé, il m'a plu de te choisir ! "
C'est donc bien lui, le porteur de l'Esprit et de l'élection qui annonce le jugement : " Dieu est Dieu, et il nous offre le salut ".
C'est bien lui Celui qui ne crie pas, ne brise ni n'éteint la fragilité humaine, et va jusqu'au bout de sa mission, lui que la mort n'éteint ni ne brise.
C'est dans la communion, à travers les siècles, à ses paroles, ses actes, à sa présence mystérieuse et discrète, que nous sommes appelés, nous aussi, à ce service de consolation et de paix, comme autant de petits " Messieurs Frodon ".
Amen !
Serviteurs !
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