Tu es en moi et je suis en toi !

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Ton Dieu, que fait-il donc ? Question qui claque à vos oreilles. Que vous soyez assemblés ici en l'église St-François, branché sur internet ou quelque part à l'écoute de la radio, cette question vous rejoint et vous dérange : ton Dieu, que fait-il donc ? Question si souvent criée, au Rwanda il y a 10 ans, en Irak ces derniers mois, à Madrid il y a quelques semaines. La liste ne cesse de s'allonger, jusqu'aux extrémités de la terre et jusqu'à vos plus proches en situation de fragilité. Vous-mêmes, au cœur de vos épreuves, combien de fois avez-vous demandé : O Dieu, que fais-tu ?
Avec cette question, nous voici ensemble pour un culte de Vendredi-Saint ; ensemble pour faire mémoire du silence de Dieu. Ce jour-là, il y a aussi eu violence, désespoir, solitude. Combien alors se sont demandés : Dieu, dans tout cela, que fait-il ? Que dit-il ? Où est-il ? Pour les uns, la réponse est évidente : " Un fauteur de troubles a été supprimé. Dieu se tient du côté des pouvoirs politiques et religieux qui ont éliminé Jésus. " Dans cette perspective, la mort de Jésus signe son échec. Pour d'autres - et nous en sommes - c'est un passage vers l'amour que nous sommes invités à discerner, vers un amour qui se donne et qui ouvre à l'espérance.
Chemin de mort, d'échec et de condamnation, il n'y a qu'à voir ou chemin de vie, d'amour et de don : c'est ce que nous sommes invités à croire. Croire ? Faire confiance ? alors que tant de choses s'écroulent en nous ou près de nous, alors que tant de gens traversent des nuits qui paraissent sans fin.
Quand j'ai l'âme de douleur atteinte, quand par l'écrasement je suis menacé, quand la souffrance me met en miettes, je ne sais plus si la confiance peut m'être redonnée. Ce sont des cris qui se pressent alors à mes lèvres, des cris semblables à ceux de tant de personnes éprouvées, des cris semblables à ceux que je trouve dans la Bible.
J'ai soif de Dieu, du Dieu vivant… Sans arrêt, je crie vers mon Dieu, qu'il m'écoute encore aujourd'hui ! Il est là le temps de la peur : jour et nuit, je cherche et je prie ! Le sommeil a fui loin de moi et la paix m'a abandonné ! Je pense à Dieu et je me plains, je réfléchis et je défaille. Je ne trouve plus le repos, ni les mots que je voudrais dire ! Mon Dieu, mon Dieu : pourquoi m'as-tu abandonné ?

Oui, il est des jours où, l'âme de douleur atteinte, j'élève au Seigneur ma plainte. Les prières de la Bible me sont alors offertes, pour que je les chante avec vous au numéro 39. Cantique no 39.
Ce qui me ronge, c'est que ta main n'agit plus, que ta voix ne parle plus… : ces mots traversent les siècles pour se heurter au silence de Dieu. Douloureuse expérience du peuple des croyants.
Lorsque les disciples voient Jésus être arrêté, jugé de manière expéditive, exécuté comme un rebelle politique, c'est comme s'ils se heurtent au silence de Dieu, et ils ont peur. Lorsque les premières communautés chrétiennes sont ébranlées par des reniements, des divisions, des moqueries, des menaces, c'est comme si elles se heurtent au silence de Dieu, et elles ont peur. Lorsque l'horizon de notre vie se trouve rétréci par l'inquiétude, la maladie, la souffrance, par tant de violences dont nous sommes témoins, c'est comme si nous nous heurtons au silence de Dieu, et nous avons peur.

Et nous voudrions tant passer de cette peur à la confiance. Comment recevoir ces mots de Jésus offerts aujourd'hui à notre méditation : Il vaut mieux pour vous que je m'en aille… ? Mots difficiles à recevoir pour les disciples : ils sont en train de comprendre que leur maître va être éliminé. Quel avantage auront-ils à devoir continuer sans lui ?
Il vaut mieux pour vous que je m'en aille : mots difficiles à recevoir pour les premières communautés chrétiennes : elles se savent fragilisées par l'absence de Jésus. Quel avantage ont-elles à devoir vivre sans pouvoir montrer Celui qu'elles adorent ?
Il vaut mieux pour vous que je m'en aille : mots difficiles à recevoir pour nous. L'absence de Jésus dure depuis si longtemps qu'on pourrait l'oublier. Quel avantage avons-nous à ne jamais voir Celui dont nous parlons ?
Il vaut mieux pour vous que je m'en aille : difficile chemin de la foi où il s'agit de passer de la peur à la confiance.

Du côté de ce qui fait peur : la mort de Jésus. Donc la victoire du prince de ce monde qui a désigné Jésus comme un rebelle réprouvé par Dieu. Du côté de ce qui fait peur encore : la tristesse et le désarroi des proches de Jésus. Du côté de la confiance : une parole seulement, qui dit un passage. La mort de Jésus n'est pas une défaite, mais un accomplissement. Jésus n'est pas rejeté par Dieu, il est accueilli auprès du Père. Il n'est pas écrasé par les puissants, il est porteur d'un amour capable de tout donner.
Passer de la peur à la confiance, de l'échec déclaré à un chemin révélé. Et cela, dans une situation où les menaces extérieures vont en grandissant. En voulons-nous de ce passage ? Ouvrons alors l'évangile selon Jean : il nous invite à discerner la lumière de vie qui éclaire de bout en bout le chemin parcouru par Jésus. On est bien loin des images imposées par un certain film récent.
Le dernier soir où il a mangé avec ses disciples, Jésus leur a lavé les pieds, puis il leur a laissé des paroles qui disent un passage, paroles quasi impossibles à recevoir, mais qui peuvent ouvrir un chemin à la confiance. Paroles d'à Dieu, au sens le plus fort du terme. Paroles que nous allons écouter en trois étapes ce matin, au chapitre 16 de l'évangile selon Jean.

La première étape nous conduira à chanter un cantique de Pentecôte. Pour tenir le coup à Vendredi Saint, nous avons besoin d'invoquer l'Esprit promis : qu'il vienne habiter dans nos cœurs et nous visiter !
Lecture Jean 16, 5 - 14 et Cantique n° 328
Mets ta clarté dans nos esprits, remplis nos cœurs de ton amour… : c'est là ce que nous sommes en droit de chanter aujourd'hui, et nous en avons bien besoin. Il ne s'agit pas d'abord de jouer avec les temps liturgiques et de chanter Pentecôte à Vendredi Saint. Il s'agit de chercher les mots pour faire mémoire de la mort de Jésus, une mort qui ne doit ni nous effrayer ni nous inquiéter.
Vous l'avez entendu : à quelques heures de son arrestation et de son exécution, Jésus ne dit pas qu'il va mourir. Il dit : je vais à Celui qui m'a envoyé ! Parole de confiance adressée à des croyants effrayés.
L'Esprit de vérité aura à travailler en eux pour qu'ils ne regardent plus la mort de Jésus comme une défaite, mais qu'ils la voient comme un passage. L'Esprit de vérité continue à travailler notre cœur de croyants pour que nous passions de la peur à la confiance, pour que nous osions vivre à notre tour de cet amour manifesté par Jésus. L'évangile de Jean raconte que Jésus n'est pas détruit par les puissants ; Jésus montre de quel amour nous pouvons être habités. Son Souffle de vie nous est promis aujourd'hui pour que nous puissions à notre tour aimer les autres comme il les a aimés.
Certes, Jésus n'est plus à notre portée. Nous ne pouvons pas mettre la main sur lui. D'une certaine manière il est donc bien absent. Mais voici qu'il se rend présent par Celui qui nous donne de vivre comme il a vécu ; il se rend présent par ce Souffle de vie qui maintient vivante en nous la mémoire de ce qu'il a vécu et enseigné. Ce Souffle de vie, ce Défenseur, cet Esprit de vérité nous ouvre à une conviction nouvelle : quand nous cédons à la peur, il nous remet sur le chemin de la confiance.

Ce qui fait peur, c'est le poids des forces du mal et de la mort : Jésus a été exécuté ; les premières communautés ont été persécutées ; jusqu'à aujourd'hui, la violence domine le monde. Il y a vraiment de quoi avoir peur ! L'invitation à la confiance, elle se transmet par une parole seulement : Jésus est allé au Père, une joie est donnée jusque dans le plus grand désarroi, la prière est promise à l'exaucement. Ce passage de la peur à la confiance, il est à vivre comme une naissance. L'évangile de Jean va jusqu'à dire : Vendredi-Saint, c'est comme le plus difficile des accouchements. Il y a vraiment de quoi être inquiet quand tout laisse à penser que la mort aura le dernier mot, mais c'est vers la vie qu'un passage va s'ouvrir. Cela vaut donc la peine, de croire encore un peu, d'avancer encore un peu, de patienter encore un peu. La joie est à portée d'espérance, puisque Jésus s'en va vers son Père. Voilà ce qui nous est transmis dans ses paroles d'à Dieu : lecture de Jean 16,16 - 24.

Demandez et vous recevrez… : que faire aujourd'hui de ces promesses d'exaucement ? Elles nous restent quand même au travers de la gorge. Malgré le temps qui passe, nous restons très proches des disciples à la veille d'une séparation qui semble définitive, très proches aussi des premières communautés chrétiennes traversées par le doute et le désarroi. Nous savons bien que nos prières ne sont pas toujours exaucées. Alors pourquoi ces promesses si difficiles à réentendre au jour de la détresse et de l'inquiétude ?
Que faire ? sinon lire et relire ces paroles de l'évangile. Découvrir que Jésus n'y parle pas à la légère. Dans la suite de ses paroles d'à Dieu, nous serons attentifs à sa lucidité : en ce monde, vous êtes dans la détresse… Chacune et chacun à notre manière, nous savons d'expérience ce que cela signifie ; ces paroles nous rejoignent au cœur de nos angoisses. Mais Jésus n'en reste pas à cette lucidité, il appelle aussi à la confiance : Prenez courage, j'ai vaincu le monde.
Dans le récit évangélique, cette parole est mise dans la bouche de Jésus avant son arrestation. Dans la foi de celui qui raconte comme dans notre foi de lecteurs d'aujourd'hui, cette parole est déjà une parole pascale. Quels que soient les " Vendredi-Saint " qu'ils ont à traverser, les croyants se découvrent déjà en chemin vers Pâques. Au travers des paroles de Jésus, c'est déjà le Christ ressuscité qui parle : capable de reconnaître la foi des siens, tout en leur disant qu'ils vont encore craquer et trébucher.

A nous de lire et de relire ces textes, pour passer de la peur à la confiance, pour grandir dans cette assurance que la mort de Jésus n'est pas un échec, mais le geste d'un amour capable de tout donner. Tout cela reste difficile à comprendre, c'est pourquoi il importe de le réentendre encore une fois : lecture de Jean 16, 25 - 33
En ce monde vous êtes dans la détresse, mais prenez courage, j'ai vaincu le monde. En méditant ces paroles, nous redécouvrons que le courage à recevoir, ce n'est pas seulement le courage de tenir le coup dans l'adversité, c'est aussi le courage d'aimer les autres, de les respecter.
Prenez le temps de relire chez vous non seulement ce chapitre 16 de l'évangile de Jean, mais l'ensemble des chapitres 13 à 17. Vous y lirez une chose étonnante, exigeante : c'est au travers de notre engagement de croyants que Jésus se rend aujourd'hui présent, au travers de notre manière de respecter la dignité de toute personne.
Certes, il y a encore des détresses à traverser. Mais jusqu'au plus sombre de ces détresses, une parole nous rejoint : par l'Esprit du Christ, nous sommes rendus capables de nous aimer les uns les autres, comme Jésus nous a aimés.

Ton Dieu, que fait-il donc ? Comment reprendre cette question ? Souvent, je me heurte à son silence. Mais, en même temps, je crois qu'il nous rend capables de ne pas capituler face à la détresse. Je crois qu'il nous rend capables de respecter vraiment la dignité de toute personne sur cette terre.
Au Rwanda ces jours, ailleurs dans le monde, en Suisse aussi et tout près de nous dans les quartiers où nous habitons, soyons donc attentifs à ces hommes et ces femmes qui ouvrent des espaces à la vie, et cela jusque dans les situations les plus désespérées.
En disant cela, je pense justement à un ami rwandais. Avant, pendant, après le génocide et aujourd'hui encore dans la région de Butare, je sais qu'il s'engage corps et âme pour ouvrir et élargir des espaces de vie, de confiance, de dialogue. Il prend des risques, il a connu la prison, il a vu la mort de près. Mais il continue à travailler pour que d'autres vivent un peu mieux. Un jour il me disait : " Tu vois, en tant qu'être humain, il n'y a qu'une seule chose dont je puisse être absolument sûr : c'est qu'un jour, je devrai mourir. Et bien, je n'ai pas envie d'être mort avant ce jour-là ! "
C'est pour nous mettre en communion avec des vivants comme lui, au Rwanda, en Suisse ou ailleurs que le Christ vivant dit de nous dans sa prière au Père : "Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi : que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. (Jean 17, 20 -21).

Amen !