Il y a un dessin de l’humoriste Barrigue que j’aime beaucoup : on y voit un homme en colère sur la terre, le regard tourné vers le ciel, et vociférant « Descends si t’es un homme ! » et notre Évangile de ce matin serait comme la réponse de Dieu au cri de la terre : « Chiche ! » et Dieu se fit homme ! Que d’artistes ont eu plaisir à méditer ce passage de l’Annonciation, et avec quelle douceur. On dirait que certains se sont presque excusés d’avoir fait irruption dans l’intimité de Marie.
Et vous, amis auditeurs, comment ressentez-vous cette parole de l’ange Gabriel, ce en quelque sorte « Je veux avoir un enfant de toi ? » Se mêlent peut-être en vous des sentiments qui ont le goût à la fois de violence et à la fois de reconnaissance. Violence parce qu’un enfant, c’est avant tout la rencontre de deux désirs, c’est du « bilatéral ». Reconnaissance parce que c’est toujours une belle déclaration d’amour.
« Réjouis-toi, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi. » Qu’elle est belle cette salutation adressée à la toute jeune Marie de la part de Dieu ! de ce Dieu qui a un projet merveilleux : celui de faire naître dans notre matrice humaine son Fils unique, et de le confier à un charpentier de la lignée de David et à sa jeune fiancée, des gens normaux et ordinaires.
Qu’elle est belle Marie dans son accueil de la parole ! Ce n’est pas la petite villageoise naïve de Nazareth. Elle est d’abord troublée par cette salutation et elle en cherche le sens : pourquoi ai-je, moi, la faveur de Dieu ? Suis-je plus que les autres, plus sage, plus religieuse, en vue de quoi le Seigneur est-il avec moi ? La réponse à ses interrogations est en fait dans la bouche de l’ange Gabriel : « Marie, toi à qui une grâce a été faite… tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Autrement dit, c’est par pure grâce que Dieu vient à toi pour y faire habiter le Fils du Très-Haut. Ce n’est donc pas un choix au mérite, mais un choix libre que Dieu a fait d’habiter de sa présence cette jeune femme du nom de Marie.
Cela n’empêche pas Marie de poser des questions à l’ange et de s’en poser aussi: comment puis-je être enceinte ? Comment cela peut-il se faire ? Mais Marie ne se ferme pas à la parole adressée, elle la prend au sérieux et pour elle. Marie va plus loin, elle dépasse le monde biologique, celui de la raison pour entrer dans une dimension spirituelle qui ouvre l’espace des possibles. Cette attitude, Messieurs, il paraît que c’est bien féminin ! Le véritable accueil, n’est-ce pas d’oser aller plus loin que les limites de notre raison et de nos raisonnements !
La question sur la virginité de Marie – qui défraie encore régulièrement la chronique – c’est une intention théologique de la part de Luc pour sans doute signifier que Dieu est véritablement partenaire dans ce projet, qu’Il fait corps avec notre humanité afin que la vie soit.
Face à cet extraordinaire projet de vie de Dieu, et face à tant de grâce à son égard, alors Marie ne peut que dire « Oui, je suis la servante du Seigneur ! » tant il est vrai que tout appel de Dieu est une invitation à l’engagement, à la responsabilité. Une confiance qui nous est accordée et à laquelle il nous est demandé de répondre. Il est intéressant de réfléchir à la place qu’occupe ce récit de l’Annonciation dans les Écritures, car souvent les textes se répondent. Et de penser par exemple à ce parallèle avec un passage de l’Ancien Testament où il est question de la Fille de Sion, c’est l’un des noms donnés pour désigner le peuple de Dieu. Voici ce qui est écrit dans le livre de Sophonie :
« Pousse des cris de joie, Fille de Sion,
une clameur d’allégresse, Israël.
Réjouis-toi, Fille de Jérusalem,
Yahvé est en toi.
Ne crains point Sion,
Yahvé ton Dieu est en ton sein,
Vaillant Sauveur, Roi d’Israël en toi ! » (Sophonie 3, 15 à 17)
Le récit de l’Évangile de l’Annonciation semble actualiser ce message prophétique à l’adresse de Marie. Il y a un autre passage biblique que j’aimerais aussi vous citer, dans le livre de l’Exode, où il est question de l’Arche de l’alliance qui est , je vous le rappelle, le signe et le lieu de la présence de Dieu à son peuple. Il est écrit : « La nuée couvrit de son ombre la tente de l’Arche de l’Alliance, la gloire de Yahvé remplit la demeure. » (Ex. 40, 35), texte écrit à une époque où la présence de Dieu semblait avoir disparue et ceci depuis la ruine de Jérusalem en 587.
Comment ne pas penser alors à Marie, figure rassemblant à la fois le peuple de Dieu et le lieu de la présence de Dieu. L’annonce contenue dans l’évangile de Luc serait en fait celle d’une nouvelle Alliance, désirée par Dieu, annonce d’autant plus importante que depuis la ruine de Jérusalem en 587 la présence de Dieu avait disparu, que depuis des siècles les cieux semblaient ne plus s’ouvrir, comme si Dieu était absent, comme s’il boudait son peuple.
Une alliance nouvelle s’établit entre le ciel et la terre, entre Dieu et Marie, elle naît dans le corps d’une jeune femme, dans la chair de notre humanité. Après les visages de Noë, d’Abraham, de Moïse, celui de Marie accueille dans tout son être la nouvelle Alliance en la personne de Jésus. L’Évangile nous invite à nous reconnaître dans cet accueil confiant de Jésus, dans notre vie et pour notre vie. Un théologien disait un jour : « Jésus peut naître plus de 1000 fois à Bethléem, cela ne sert à rien s’il ne naît pas une fois dans ton cœur. »
L’histoire de Marie, c’est un peu notre histoire quant on pense à la foi qui nous a habités un jour, sans forcément la chercher, et qui nous a été donnée, non pas parce que nous étions mieux que d’autres, mais de façon gratuite et mystérieuse dans la mesure où avouons-le, bien des choses nous échappent. Peut-être rejoignons-nous Marie dans cette foi simple et active, humaine, pleine de bon sens, mais aussi faite de doutes et de craintes, une foi qui n’empêche pas le questionnement mais au contraire qui nous y invite. Tout comme pour Marie, l’entrée de Dieu dans notre vie laisse toujours une trace, une trace qui nous appelle à une double responsabilité : celle de nous laisser habiter par la vie, mais aussi celle de la donner, cette vie, de ne pas la retenir pour soi. Un appel à enfanter et à donner naissance à plus d’espérance, de justice, d’amour.
Noël s’approche, et c’est une fête. Pour tous ? Même pour les endeuillés ? Même pour les meurtris de la vie ? Noël une fête ?.Comment cela se fera-t-il ? Si Dieu a voulu faire naître son Fils dans l’écrin de notre matrice, dans le creuset de notre humanité, n’est-ce pas pour être présent dans nos joies et nos peines, non pas à distance, mais au cœur de celles-ci.
Oui, nous avons l’assurance qu’en ce temps de fête de Noël, Christ sera là pour nous consoler dans nos tristesses à travers sa parole et tous les gestes d’amitié échangés par nos voisins, notre famille, nos collègues de travail. Ouvrons-nous et accueillons ce qui nous sera donné. Qu’il en soit fait selon la parole reçue.
L’expérience de la foi, c’est de le sentir bouger en notre profondeur cet Emmanuel, ce Dieu-avec-nous, c’est ressentir des signes, comme des « petits coups de pied » parfois comme pour nous rappeler qu’il est là. Noël s’approche, laissons l’ange Gabriel nous re-visiter par la parole et nous convaincre d’accueillir pleinement la semence de vie pour que nous puissions véritablement nous réjouir de l’immense grâce qui nous est faite en Jésus-Christ.
Amen !