Le début de l’évangile de Luc vibre de joie ! Sans triomphe, au détour de situations difficiles, des êtres simples reconnaissent, reçoivent, des signes de l’action de Dieu. Il y aura Zacharie devenu muet, qui, recouvrant l’usage de la parole, chantera « Béni soit le Seigneur, le grand Dieu d’Israël ! »Il y aura le vieux Syméon, rempli de paix et de bonheur : « Seigneur, tu me permets de m’en aller en paix... mes yeux ont vu ton salut. »
Aujourd’hui, ce sont deux femmes, Elisabeth et Marie et le Magnificat ! Deux femmes qui sont l’une comme l’autre, dans une situation bien embarrassante. Elisabeth : tellement âgée et enceinte. Marie : trop jeune, pas mariée et enceinte. Allez raconter une histoire semblable sur une place de village !
Dieu n’est pas très raisonnable. Et tant mieux ! C’est ainsi qu’il nous sauve ; en mettant nos critères sens dessus dessous. L’apôtre Paul parlera plus tard de la sagesse humaine qui est folie et la folie de Dieu devient notre sagesse.
« Mon âme exalte le Seigneur. » chante Marie. « Il a fait pour moi de grandes choses. » C’est une première dans l’histoire de l’humanité : une personne sent assurément la présence du divin dans sa vie. Pas dans sa tête, pas dans son cœur, mais dans son être entier. Dans la moindre fibre de son existence. Ce que Marie célèbre, c’est que sa vie est entièrement transformée : elle devient porteuse de la présence de Dieu pour le monde. Si vous vous appelez Christophe, vous savez que votre nom veut dire « porteur de Christ »
Dans un texte où elle reste un personnage historique et non une figure théologique, Martin Luther faisait dire à Marie : « Je suis l’atelier dans lequel Dieu travaille, mais je n’ai rien à ajouter à l’ouvrage. C’est pourquoi personne ne doit louer ou honorer en moi la mère de Dieu, mais louer en moi Dieu en son œuvre. »
Louer Dieu en son œuvre ! Marie annonce l’œuvre de Dieu : renversante. Nous relisons les versets 51 - 53 : « Il est intervenu de toute la force de son bras : il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse, il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de biens, et les riches il les renvoyés les mains vides... »
Prenons ces paroles très au sérieux. Et soyons tout de mêmes perplexes. L’orgueil n’existe plus ? Les potentats, les arrogants ont-ils disparu ? La force de Dieu, a-t-elle mis terme aux abus de pouvoir des hommes ? Et les humbles, les humiliés, les affamés, ont-ils leur pain et leur justice ?
Ce que l’Évangile nous dit, et qui sera crié par Jésus : c’est que la force, la puissance, la suffisance orgueilleuse, la richesse, ne sont pas des valeurs. Elles n’ont aucun avenir ! Elles sont l’illusion par laquelle l’homme essaie de se rendre immortel. Échapper à la friabilité de l’existence en se dotant de forces illusoires. Si c’est cela, le but de la vie : s’étourdir dans le culte de la puissance et du succès, alors quelle amertume, quel goût de cendre !
Non, il y a un autre sens ! Depuis Marie, nous sommes chacun invités à faire place, accueil, à la présence de Dieu. Ce Christ que Marie portait dans son corps, il est, par l’Esprit de la Résurrection, présent à chaque existence. Il nous appartient de reconnaître l’infini en nous. Rien que cela ! Et pas un être ici-bas, qui soit trop bas pour la main de Dieu.
Comment cela se « fait-il » ? Comment réaliser cette présence ? Il ne faut rien faire. Il faudrait plutôt faire des choses en moins. Nous dépouiller de nos croyances, de nos certitudes et de nos préjugés.
Et faire silence, au milieu du tintamarre qui nous enveloppe, et auquel nous participons. Faire silence, donner de l’espace à l’intérieur, du temps pour méditer et pour réfléchir, du temps pour nous laisser apaiser. Laisser notre cœur devenir une terre de pauvreté. Alors, dans le silence, entendre la Voix de résurrection et de paix monter du plus profond de nous-mêmes, et donner force à ce qui en nous est humble et affamé.
La puissance de Dieu, que chante Marie, c’est précisément Dieu qui renonce à la puissance. Le christianisme n’est pas une religion de l’éclat et du triomphe. Ni de l’homme ni de Dieu ! Mais d’une force divine qui vient, en nous et par en bas, relever, réconcilier, vivifier.
Il nous appartient, après, de nous occuper des problèmes du monde. Si nous changeons, notre environnement change. Pas l’inverse ! Cette croyance n’amène que déception. Pour aider autrui (le monde...), j’ai besoin de réaliser que je suis aidé de Dieu. Alors, lui voulant, par moi un peu de lumière peut parvenir plus loin que moi. Ce sont les découvertes intérieures qui portent à la fraternité.
Un dernier mot : Un protestant peut s’intéresser à celle qui a porté Jésus. Et être sensible à ce qui manque parfois dans nos Églises issues de la Réforme. Ce que les peintres de la Renaissance italienne avaient si intensément perçu et rendu : cet aspect, féminin, de tendresse et de douceur, qui est une signature du Dieu de Marie et de Jésus Christ, notre Dieu.
Amen !