Quand enfin je vois... des arbres ou des humains

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Avez-vous déjà remarqué à quel point le contexte dans lequel nous nous trouvons influence notre perception d’un texte de l’Ecriture ? Dimanche passé, c’était Pentecôte, fête de l’Esprit qui descend sur tous, qui fait fi des différences, qui met ensemble celles et ceux du dedans et du dehors En fait, l’Esprit de Pentecôte établit des relations, jette des ponts, ouvre des possibilités.
Samedi prochain ce sera, en Suisse, le Jour des Réfugiés, avec sa grande manifestation à Berne à laquelle nous sommes conviés pour dire notre refus d’une loi qui nous paraît inhumaine parce que tellement restrictive, de la part du pays par excellence des droits égaux pour tous les humains.
Aujourd’hui, la visite de la CEVAA nous fait penser, elle aussi, à la migration. Voici que des gens du Sud nous visitent, justement de ces gens qui nous font si peur, à nous gens du Nord ! Dans le groupe, comme vous l’avez entendu, les uns viennent de pays d’où part cette migration que nos barrières n’arrêteront pas. Il y a ceux qui les voient passer, qui sont des pays de transit et d’autres, nous, qui sommes, plutôt qui étions, des pays d’accueil.
Est-ce que ce triple contexte de dimanche dernier, de samedi prochain, et de ce culte en commun, ouvrirait nos yeux à une autre perspective sur ce récit d’évangile ? Gardons cette question ouverte.

Venons-en au récit de Marc. L’évangéliste place cette guérison juste après un dialogue difficile entre Jésus et les disciples. Il vient de leur dire : «Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Avez-vous le cœur endurci ? Vous avez des yeux, ne voyez-vous pas ? Vous avez des oreilles, n’entendez-vous pas ?»
Et, juste après notre récit, nous trouvons une autre discussion avec les disciples. Jésus leur demande de se prononcer sur qui il est, et c’est là que Pierre, enfin, déclare : «Tu es le Christ !» C’est là, entre ces deux discussions, que Marc place une guérison, une guérison qui ne se fait pas d’un coup ! Car, sortir de ses schémas, s’ouvrir à l’autre, au nouveau, ça ne se fait pas en une fois, le chemin peut être long !
Pour sûr, ce récit parle de relations. Tout tourne là autour, car c’est bien là notre problème humain ! Le texte ne dit pas tout de l’histoire, certes, c’est un résumé, mais pourquoi amène-t-on cet aveugle à Jésus, à peine il entre dans ce village ? Comme s’il représentait leur plus gros problème ? Et pourquoi est-ce que Jésus l’emmène hors du village ? Pourquoi ne pas faire ce qu’il a à faire en public, a-t-il besoin de se cacher ?
Jésus s’engage dans un vrai ‘corps à corps’, comme le disait une amie l’autre jour. Et il n’y va pas de main morte; littéralement, il faudrait lire « il crache sur ses yeux ! » Ni Jésus ni l’aveugle ne semblent être gênés.

Jésus est attentif au progrès. L’aveugle va mieux, il voit quelque chose... des arbres ou des hommes ? C’est là qu’il y a la plus forte allusion aux relations. Lui qui était coupé de la vue des autres, il revoit des humains, un peu, ils bougent. Jésus s’inquiète et veut aller jusqu’au bout, il ne se contente pas de peu, il veut un rétablissement entier et il l’obtient, par une touche peut-être plus précise, plus engagée ? On s’attendrait alors à ce que Jésus l’enjoigne à rejoindre la ville, rejoindre tous ceux qui l’avaient amené vers lui, pour qu’ils voient eux aussi ! Non, il lui conseille de ne pas même rentrer dans le village. Pas besoin, ou plus tard.

Quelques théologiens voient deux parties dans l’évangile de Marc; l’une qui va jusqu’au chapitre 8 et où Jésus demande à ceux qui le suivent de ne pas raconter ce qu’ils voient, de tenir ce qu’on appelle le « secret messianique » et l’autre, du chapitre 8 au chapitre 16 où Jésus dit tout au contraire : « Allez, dites... » Et, à la charnière de ces deux parties, enfin la déclaration de Pierre dont nous parlions tout à l’heure : « Tu es le Christ ! »
Enfin, un de ses proches a compris, a vu clair, a laissé tomber son aveuglement. Tant qu’on ne voit rien, inutile de parler ! Et le miracle, tout comme l’évolution de chacun, se fait par étapes successives.
Notre récit semble illustrer ce besoin fondamental de voir et d’intégrer cette nouvelle vision. Tu commences à voir clair, mon cher ami, tu vas voir plus clair, ensuite tu pourras dire, mais il faut que cette façon de voir s’approfondisse en toi. Il te faut intégrer le miracle de l’ouverture, alors tu pourras revenir dans ton village, après...

Qu’allons-nous tirer comme leçon aujourd’hui ? La rencontre du Christ, sa proximité, est effectivement le lieu où nos yeux peuvent s’ouvrir pour percevoir de nouvelles relations entre les humains. Cette découverte doit se faire chez l’individu, dans son for intérieur, souvent dans l’isolement. Aucune avancée n’est possible tant que le miracle n’a pas abouti. L’expérience contemporaine nous fait aussi dire que ce n’est souvent pas une affaire de masse, mais une démarche personnelle. Et ce n’est que lorsque je serai convaincu, que j’aurai intégré cette nouvelle vision des autres qui ne bougent plus comme des arbres mais qui sont devenus des personnes à part entière ! Et la bonne nouvelle est de savoir que le Christ est attentif, il se soucie, il s’inquiète même de ce progrès en nous, parmi nous !
Le principal problème humain est effectivement celui des relations. De tout temps et partout. Qui que nous soyons, nous sommes dans une situation de relation, même l’ermite le plus avancé est en train de régler un problème de relation, dans sa solitude. Pour les Pères du désert, il n’y a pas de spiritualité sans l’autre. C’est ce que l’Archevêque de Canterbury a redit avec force à Porto Alegre ce printemps.
Depuis longtemps, nos relations entre les peuples sont malades, elles ont besoin de guérison. Nos économies le montrent trop bien, elles voient des choses, des gains à faire, des courbes favorables à la bourse. Un de nos philosophes a dit il y a quelques années au sujet des hommes de l’ancienne Yougoslavie qui venaient travailler en Suisse : « Nous avions voulu des bras pour faire nos travaux pénibles, nous nous retrouvons maintenant avec des hommes ! »
Viens, Esprit Saint, guéris et réconcilie ! Et si nous écoutions un autre de nos frères, Emmanuel du Cameroun, sur ce qu’il vit dans son pays, au niveau des migrations, au niveau de l’accueil de l’étranger, nous serons encore surpris !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Edith Lang
Musique
Carole Reuge et Isabelle Bandi, flûtes