Ce matin est exceptionnel. En effet, depuis le 28 décembre, des dizaines de milliers de jeunes sont arrivés dans les paroisses. Ils viennent en « pèlerinage de confiance ». Vous le savez sûrement, la communauté monastique oecuménique de Taizé invite depuis 30 ans maintenant à un grand rassemblement à la fin de l’année. Vous devez le savoir aussi, Palexpo et Genève s’est plié en 4 pour accueillir chaque jour 40'000 personnes.
C’est pourquoi, j’ai choisi comme thème de la prédication "un pèlerinage en vue de la paix ?" - en vue de la confiance ? Dans l’histoire de la circoncision de Jésus, il est dit que Marie et Joseph, les parents de Jésus, vont à Jérusalem pour la purification de Marie et la présentation de leur enfant. En allant à Jérusalem, ils pèlerinent, c’est-à-dire qu’il cheminent, marchent à la rencontre de Dieu. Je peux remarquer alors que Marie et Joseph ont vraiment à cœur la mission que Dieu leur a confiée. Les deux, peu de temps auparavant, avaient simplement dit « oui » à la venue de leur enfant. Ils ont eu confiance.
Confiance et pèlerinage vont de pair, me semble-t-il. C’est le thème que proposent les frères de Taizé. De même qu’il a fallu de la confiance, de la foi pour accueillir Jésus au sein de la famille humaine, du couple Marie et Joseph, de même il a fallu pas mal de confiance aux paroisses de la région pour accueillir plusieurs dizaines, plusieurs centaines de jeunes. Les paroisses vivent ces jours concrètement l’accueil, la confiance, l’ouverture à l’étranger, à l’inconnu. Des milliers de foyers font œuvre de confiance aussi : faire une place dans vos familles, dans vos maisons et appartements pour recevoir quelques jeunes, gratuitement, bénévolement est magnifique à voir. Bien des paroisses, dont la nôtre, à Nyon, avaient même plus de places disponibles dans les foyers d’accueil que de jeunes qui venaient chez eux !
Quelle belle marque de foi ! Surtout qu’en Suisse, si nous sommes un pays traditionnellement ouvert et accueillant, nous vivons aujourd’hui une certaine fermeture à l’autre. Je pense en particulier aux personnes dites « sans papier » ou « NEM », qui veut dire : « Non Entrée en Matière » pour le statut de réfugié.
Avec les lois votées, je constate une fermeture des frontières à certaines catégories de personnes. Aujourd’hui, il y a toute une tendance à la méfiance et nous avons peur. Peur de l’étranger, mais aussi peur de la mondialisation de l’économie, peur de l’avenir et du climat qui se dérègle.
Autrement dit, ces jours, des dizaines de milliers de jeunes font pèlerinage pour apprendre la confiance à l’autre, à Dieu. Des milliers de foyers de la région de Genève accueille ces jeunes : ils font un pèlerinage aussi. Un pèlerinage intérieur vers ces jeunes, dans une tentative de rencontre, avec les moyens du bord. Et je suis persuadé que cette rencontre, où la confiance naît entre humains, entre étrangers, peut aussi être à la base d’une confiance toute simple en Dieu. Mais pas n’importe quel Dieu : un Dieu réel, vivant, infiniment amoureux et accueillant, qui nous comprend plus que quiconque. En effet, non seulement nous confessons un Dieu qui nous crée, mais aussi un Dieu qui s’est fait humain pour nous rejoindre.
Et je pense en particulier à Jésus de Nazareth. Un Jésus, Fils de Dieu, qui a passé son ministère à voyager comme un pèlerin en Palestine-Israël à la rencontre de ses contemporains, enseignant, montrant l’exemple d’un Dieu qui nous rejoint et qui nous aime. Le Christ Jésus a proclamé l’amour de Dieu, mais plus encore, il a vécu d’un amour divin. Le Christ nous appelle alors à le suivre; concrètement, il s’agit de s’inspirer de sa vie décrite dans les évangiles pour vivre, il s’agit de prendre confiance, par notre connaissance de la Bible, afin de vivre notre humanité. Parce que l’homme et la femme n’est pleinement humain qu’en aimant, qu’en se réconciliant avec l’autre et avec Dieu, en respectant son prochain, en s’engageant pour un avenir de paix et en remettant à Dieu ce qui nous échappe. Comme Jésus.
Si je viens de dire que l’apprentissage de la confiance, par exemple en accueillant des jeunes chez soi, peut être un point d’ancrage pour une confiance renouvelée avec un Dieu qui nous aime tous, et chacun en particulier, il ne faut pas oublier une chose. La Bible, nous la considérons comme un livre de rencontre entre Dieu et les hommes. Et elle affirme, montre, écrit des histoires de confiance. Une confiance qui part de Dieu et va à la rencontre de l’Homme. Des êtres humains vont alors se rassembler en un peuple qui écoute et qui marche.
Regardez Abraham : il part de la région de Bagdad en Irak à la seule « écoute » d’une voix qui lui demande de la confiance. Regardez Israël : il commence vraiment à exister en tant que peuple au moment où les hébreux ont été libérés de l’esclavage, traversé la Mer Rouge et reçu la Loi de Moïse pendant leur pèlerinage de 40 ans dans le désert. Regardez les premiers chrétiens : ils ont vécu, entendu, fait confiance aux témoignages de la Résurrection de Jésus de Nazareth. Jésus le Nazaréen devient alors Jésus le Christ pour ces premiers chrétiens. Ils formeront dès lors un peuple, plus ou moins uni, à la suite du Fils de Dieu. Ces hommes et ces femmes ont écouté et fait confiance à ce qu’on leur a témoigné. Ils ont alors construit peu à peu un chemin de relation de confiance avec le Dieu qui a rendu la vie à Celui que les hommes avaient crucifié. Ce chemin, on l’appelle la foi. C’est aussi simple que cela, si l’on peut dire !
Récapitulons : Dieu vient à notre rencontre par Jésus. Un Jésus de Nazareth qui marche, pèlerine, avec sa famille, ses disciples, souvent vers Jérusalem, au Temple. Le Temple de Jérusalem était le lieu central de la vie des juifs ; c’était le lieu de la rencontre cultuelle avec Dieu. Comme Taizé, comme les églises qui sont aujourd’hui, en miniature, des lieux de rencontres, ces espaces permettent d’apprendre une confiance qui se construit entre Dieu et nous, les humains. Jésus a vécu et vit de ce que Dieu demande : il vit la confiance en l’autre au point de l’aimer au-delà des offenses, des trahisons, des blessures, de la mort. C’est pour cela qu’il est appelé Fils de Dieu.
Et nous, nous sommes aussi appelés à accepter notre adoption par ce Dieu qui devient un Père. Un Père qui nous fait confiance et nous appelle à lui faire en retour confiance en lui. À l’aimer au point de marcher à la suite de son Fils vivant, celui qu’on appelle : Jésus-Christ ! C’est ainsi que tous ensemble nous pourrons former un peuple de pèlerins qui va à la rencontre de son Dieu qui vient.
C’est ainsi qu’à partir de la confiance renouvelée en un Dieu éternellement amoureux de sa créature, nous apprenons un : la confiance en Dieu à cause de son amour pour nous. Deux : la confiance en notre prochain, même s’il nous trahit, parce que nous l’aimons comme le Christ qui a aimé au-delà de la trahison. Trois : nous apprenons la réconciliation, parce que l’amour du Christ Fils de Dieu est plus fort que la mort, que les conflits qui nous séparent. Quatre : nous apprenons alors comment on peut vivre la paix. Une paix que l’on reçoit de Dieu, source de paix, d’amour, de réconciliation, de confiance, de foi.
Demain soir, le programme avec ces jeunes sera de vivre une soirée de réveillon particulière : une prière « pour la paix » vers 23h00, suivi « d’une fête des peuples ». Cette « prière pour la paix » est une célébration sur le style de Taizé, mais avec un accent particulier : celui de prier ensemble pour la paix.
Finalement, le pèlerinage de confiance sur la terre, comme le proposent de vivre les frères de Taizé, est une marche d’apprentissage de la relation. Car la confiance de base que nous recevons de Dieu débouche sur une relation nouvelle avec notre Créateur. Elle débouche aussi sur un chemin de relations nouvelles avec notre voisin et notre propre famille. L’accueil des jeunes dans la région est alors un signe d’espérance qu’un monde de paix et d’amour peut se développer à partir de l’accueil fondamental de Dieu.
Finalement, vivre demain soir une célébration de prières pour la paix n’est pas si incongrue : le pèlerinage que nous tous nous vivons, que l’on soit un jeune de Taizé, que l’on soit foyer d’accueil ou non, a pour but final la paix. La paix que Dieu donne n’est pas une paix glaciale où la tolérance existe. C’est une paix dynamique, chaleureuse, où le respect de l’autre, de sa différence se vit concrètement. C’est une paix qui engage, qui nous engage à un chemin de réconciliation avec nos frères et sœurs. Et je ne pense pas seulement aux frères et sœurs d’autres confessions chrétiennes. Je parle aussi de nos frères et sœurs de notre propre famille.
Alors, pourquoi un pèlerinage de confiance à Genève et environs ? Est-ce pour recevoir la confiance fondamentale qui est la foi en Dieu ? Pour rencontrer l’étranger qui vient ? Pour apprendre d’autres relations avec des chrétiens d’autres confessions? Pour la paix qui englobe le respect actif de l’autre, de ma sœur et mon frère en humanité ?
Ce pèlerinage de confiance proposé par les frères de Taizé, serait-il un vœu pieu, comme quand nous prenons des bonnes résolutions pour la nouvelle année ? C’est à nous de décider: de continuer à vivre la peur et d’oublier très vite ce beau discours qu’une confiance, une foi est possible, ou alors accepter la mystérieuse présence amoureuse de Dieu, afin de marcher sur des chemins de prières communes les uns envers les autres, de confiance, d’ouverture, de réconciliation et de paix avec le Dieu de Jésus-Christ, le Vivant.
Amen !