Écouter le culte :
Chers frères et sœurs en Christ,
Lorsqu’une société est en crise, que dis-je – lorsque notre monde est en crise – les tensions montent. C’est une évidence. En matière d’écologie, les accusations fusent.
Si les personnes d’âges mûres osent dire quelque chose aux jeunes, les jeunes répondent : « Ok ‘boomer’, si nous en sommes là, avec ces guerres, cette planète en déliquescence, cette planète en surchauffe, ces espèces éteintes ou en voie de l’être, c’est de votre faute. Vous avez profité du pétrole à bon marché comme d’une drogue, et c’est nous qui devrons payer la facture ! »
Si les jeunes osent interpeler les décideurs – politiciens, grands patrons de multinationales – bien souvent d’âge murs, ils rétorquent : « Vous ne savez faire que la grève, troubler l’ordre public, faire des manifestations pour ne pas aller à l’école, et, en plus, vous n’avez aucune solution réaliste à nous proposer. »
Si les petits paysans manifestent contre les abus et les dégâts sociaux et environnementaux, provoqués par l’industrie agro-alimentaire, ces industriels diront : « Mais vous croyez quoi ? Vous pensez que l’on va réussir à nourrir la population mondiale avec vos petites terres qui font de l’agroécologie ? Nous vous rappelons que nous arriverons bientôt à 10 milliards d’habitants sur terre ! Nous ne vivons pas dans le monde des bisounours ! »
Quand les tensions montent, quand la crise éclate, la recherche d’un bouc-émissaire, d’un responsable à la situation catastrophique, devient un sport national.
Et moi, là au milieu de tout ça, je fais quoi ?
Je n’aime pas les conflits, vous le savez. Mon réflexe à moi, et ne je dis pas que c’est mieux, mais c’est ma stratégie naturelle, c’est qu’au lieu d’accuser l’autre, d’envenimer la situation, je suis tenté par me retirer, et alors, je tourne en rond.
Ce n’est pas la meilleure manière d’agir, je le concède. Mais, je me dis que face à ces accusations, je ne peux rien y changer à mon petit niveau, alors je vais essayer la méthode du camouflage. Me fondre dans le paysage pour ne pas faire de vague, ne pas me faire remarquer. Parce que je veux survivre. Quitte à me plaindre ensuite auprès de mes proches pour dire combien je ne me sens pas reconnu…
Avec la méthode du camouflage, je peux continuer à agir comme avant, parce qu’on ne me voit pas. Pourquoi changer mes habitudes, mettre autant d’énergie et d’effort à changer si personne ne me regarde ? Ou bien, pourquoi chercher une voie de négociation avec autrui si l’autre me considère, à priori, comme un ennemi à abattre ? J’ai envie de vivre, moi aussi !
Résultat des courses : la distance, pour ne pas dire les divisions entre les peuples, entre les humains, entre l’humanité et le reste de la création de Dieu, entre les familles ou au sein même des familles, s’agrandissent.
Voici donc que nous avons entendu l’histoire d’un homme ostracisé de plusieurs manières.
Premièrement, c’était un responsable des collecteurs d’impôts. Un notable qui faisait partie des collabos de Rome. Vous savez, Rome, avec à sa tête son empereur qui cherchait à garder la région d’Israël sous son contrôle. Et cela passait par l’imposition des peuples soumis, évidemment.
Ensuite, cet homme est décrit comme étant riche. Dans le langage biblique, il n’y a pas forcément la critique de la richesse en que tel, mais surtout de la manière dont est utilisée cette richesse. Bien souvent, un riche, c’est un homme qui agit en abusant de son pouvoir économique sur les autres. Il ne partage pas, ne craint rien ni personne, ni même Dieu. C’est pourquoi bien des prophètes ont attaqué les riches parce qu’ils créent des situations d’injustices, d’abus que les riches eux-mêmes n’ont pas forcément conscience.
Troisième aspect : il est petit. S’il ne peut se rehausser derrière son bureau de taxe, ou en commandant son équipe de taxateurs, il n’est rien. En dehors de son travail, il passe inaperçu.
Conclusion : soit il est craint par la population parce que taxateur travaillant pour l’ennemi, soit il n’est même pas remarqué.
On suppose qu’il avait une famille, mais rien dans le passage du jour ne l’affirme. Que faisait-il alors le soir, en rentrant chez lui après sa journée de travail ? S’il ne participait pas à une fête, il devait probablement manger seul, servi par ses esclaves. Cette description renforce la solitude de sa personne dans une société qui l’a vu naître et grandir. La solitude de sa vie misérable, finalement.
Riche en argent, mais pauvre socialement. Riche en argent, pouvant se permettre des excès, des abus, de la maltraitance, de la corruption en utilisant son pouvoir économique, son statut social, mais seul, terriblement seul dans sa vie. Il n’a pas de vis-à-vis avec qui communiquer d’égal à égal, avec qui parler en vérité.
En tant qu’habitant de la petite Suisse, nous devrions toutes et tous nous sentir proche de Zachée.
Nous sommes petits sur la carte du monde, alors on essaye de se faire bien voir des grands de ce monde, en faisant notamment des yeux doux aux grandes entreprises multinationales, notamment celles de l’industrie agro-alimentaire. Pour garantir notre bien-être économique. Certes. Ce que ces entreprises font directement ou indirectement dans les pays du Sud ? Cela ne nous regarde pas !
Notre situation géographique, économique, politique de notre – petit – pays a pour conséquence que nous, habitants de la Suisse, nous appartenons sans doute au 10% de la population mondiale les plus riches de la planète.
La richesse donne de la sécurité, car grâce à l’argent, on peut se payer de quoi manger, se vêtir, habiter. Mais avons-nous conscience des abus que l’on provoque, même indirectement, grâce à l’argent possédé ?
En matière environnemental, notre civilisation moderne a bénéficié et bénéficie encore pleinement aujourd’hui d’un trésor énergétique caché dans notre sous-sol. Je veux parler du charbon et du pétrole. Ce trésor exploité a permis de grandes avancées, de grands développements dans tous les domaines. Le charbon et surtout le pétrole sont devenus le sang de notre monde nous permettant des exploits que nos ancêtres ne pouvaient même pas imaginer.
Mais cette exploitation, on le sait bien aujourd’hui, a participé et participe aujourd’hui encore à des abus, des destructions environnementales, à l’augmentation de la température et à bien d’autres déséquilibres de notre écosystème « Terre ».
Dans un monde en croissance infinie, alors que nous nous sommes battus depuis des milliers d’années pour toujours dépasser les frontières, on est arrivé à un monde sans frontière. Dans un monde sans fin, nous avons enlevé la notion même de limite, de frontière, à notre faim insatiable de puissance.
Qu’en était-il de Zachée ?
Loin de moi la pensée de plaquer telle quelle sur un texte biblique notre préoccupation actuelle. Cependant, je peux au moins soupçonner Zachée, étant donné sa solitude, de vouloir continuer à monter dans la hiérarchie sociale. S’arrêter, c’est mourir, non ?
S’il était effectivement solitaire, pauvre socialement, il n’avait probablement de compte à rendre à personne, sauf à Rome pour ce qui concerne les impôts. Alors, il pouvait se donner entièrement à son travail et à augmenter son statut social. Mais cela ne le rendait pas heureux. Comment s’en sortir ?
Et voilà qu’arrive un prophète ou un révolutionnaire dans sa ville frontière de Jéricho. Ça, Zachée ne le sait pas vraiment. On connaît l’histoire : il monte sur un arbre en espérant voir ce fameux Jésus.
Or, c’est comme si Jésus n’était arrivé dans la ville que pour rencontrer Zachée lui-même. Il traverse la ville, s’arrête au pied de l’arbre et lui demande s’il veut bien l’accueillir chez lui.
Ce qui est important, c’est que si Zachée ne sait pas vraiment qui est Jésus, Jésus, lui, connaît déjà Zachée. Jésus va au-delà des étiquettes sociales – collecteur d’impôts, riche, petit – au-delà des convenances sociales, pour appeler Zachée par son nom. Autrement dit, Jésus rejoint son être profond.
Que veut dire « Zachée » ? Deux pistes sont proposées : cela peut être un diminutif de Zacharie, qui veut dire « Dieu se souvient », ou « celui qui est pur ».
Devant Dieu, Zachée n’est plus un collecteur d’impôts, un collabo, un riche égoïste, un petit homme, mais il est celui qui est vu, qui est rencontré, parce que « Dieu se souvient ».
Devant Dieu, Zachée est appelé à devenir ce que son nom signifie : un homme pur. Se voir comme un homme aimé pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il a.
Et c’est lorsque que Zachée accueille Jésus chez lui que le miracle se produit. L’important n’est pas ce que se sont dit les deux hommes pendant leur repas, mais que Jésus mange chez lui.
Par le repas partagé, Zachée a pu avoir un vis-à-vis devant lui et lui parler de manière authentique, en allant au-delà des frontières sociales qui séparent deux êtres.
Dans son accueil de Jésus pendant un repas, Zachée a pu reprendre sa place de créature aimée de Dieu le Créateur, il a pu prendre conscience que derrière son désir d’accumuler de la richesse et de la reconnaissance sociale, il avait une faim insatiable d’être aimé par l’Autre avec un grand A. Son égocentrisme s’ouvre alors à une relation interpersonnelle entre lui et Jésus, entre lui et Dieu, et entre lui et le reste de la société.
Il peut dès lors remettre des limites en les mettant au bon endroit : non plus pour s’isoler des autres et de Dieu, pour s’enfermer dans sa richesse et son statut social, mais pour mettre fin aux abus qu’il a pu commettre.
Il peut ainsi prendre soin de l’autre et par conséquent il prend soin de lui-même. C’est dans ce sens que je comprends sa décision de mettre de la justice dans les abus qu’il a pu commettre.
Et pour nous, quel effet la rencontre avec le Christ a eu dans notre vie ?
Quel effet cette expérience spirituelle de la rencontre a dans notre prise de conscience des abus que l’on a commis grâce à notre pouvoir, à notre « richesse », même minime, sur l’autre, qu’il soit humain ou non ?
Puis-je parler avec quelqu’un de mon entourage, ou dans la prière, en étant authentique, sans chercher à me comparer ?
Dans quel domaine je peux, et nous pouvons, en communauté, collectivement, nous engager pour rétablir la justice qui a été mis à mal par nos abus ?
Pourrions-nous aller jusqu’à nous inspirer de l’expérience de Zachée pour soutenir une politique agricole allant dans le sens de l’agro-écologie ?
Amen.