Ce matin nous découvrirons un épisode de la vie de Sara et aussi d’Agar, une autre femme. Et puis il y a un homme, Abram. Trois destins qui s’entrecroisent, pas de la manière la plus harmonieuse. Mais toutes nos relations sont-elles tout le temps harmonieuses ? Une grande part de nos tourments aussi bien que de nos joies ne vient-elle pas de nos relations avec les autres ?
Dans le livre souvenir de nos ancêtres dans la foi, nous nous arrêtons donc aujourd’hui sur le célèbre Abram, sa femme Sara et l’esclave Agar. Je ne sais pas duquel des trois vous vous sentez le plus proche.
Je résume l’histoire : Sara ne peut avoir d’enfant. Elle demande à son mari Abram de lui en faire un avec sa servante Agar, qui deviendra ainsi sa seconde épouse. Devenue enceinte, Agar, la mère porteuse, regarde sa maîtresse restée sans enfant avec mépris. Sara s’en plaint à Abram qui lui redonne à elle Sara les pleins pouvoirs sur Agar et alors Sara maltraite tellement sa servante que celle-ci s’enfuit dans le désert.
§ Est-ce que vous vibrez à la souffrance de Sara qui ne peut donner d’enfant à Abram - et à l’époque c’était dramatique. Sara qui attend depuis si longtemps qu’elle finit par prendre les choses en main, à sa façon, pour se faire ensuite mépriser par sa servante, sous son toit ?
§ Est-ce que vous vous sentez proche d’Abram qui accède à la demande de sa femme et se trouve ensuite mal pris ?
§ Est-ce que vous vous sentez proche de la servante Agar qui est utilisée par Sara, puis enceinte se fait maltraiter jusqu’à s’enfuir au désert ?
Aujourd’hui je vous invite à suivre prioritairement non pas Sara, qui est pourtant au début de l’histoire, mais Agar, ce que peut avoir vécu Agar. C’est un choix qui a pour lui 3 motivations. Cet instantané de nos ancêtres la montre sur le devant de la scène, elle l’esclave. Et puis, c’est par elle que dans ce récit du nouveau se réalise, la naissance d’un enfant qui aura une immense descendance. Et surtout, c’est à elle que le Seigneur parle.
Alors je vous invite à zoomer sur Agar. Qui se trouve entre les mains de Sara. Sara qui va faire preuve d’une certaine cruauté ! Je ne sais pas si vous avez une fois été la proie de quelqu’un qui vous a fait souffrir en ne pensant qu’à lui-même. Sara utilise Agar, puis la maltraitera. La fin justifie les moyens. D’accord, Agar n’est qu’une servante. C’est tout de même un être humain, pas un objet, pas une bête.
Vous me direz qu’au Proche-Orient à l’époque, quand une femme ne pouvait avoir d’enfant, elle avait le droit d’en obtenir un par l’intermédiaire d’une servante et l’enfant était alors le sien. Juste. Mais avoir le droit de son côté ne signifie pas forcément que ce qu’on fait est bien. Et la suite de l’histoire permet effectivement d’en douter.
Voyez Sara, qui tire des plans. Observez la circulation de la parole. Tout se passe entre Sara et Abram. Agar est tenue à l’écart, aussi bien au moment où Sara décide de l’utiliser comme mère porteuse qu’au moment où, les choses ne se passant pas aussi idéalement qu’elle l’avait espéré, elle veut réagir.
Certes, Agar a méprisé sa maîtresse ; Agar, la femme utilisée, le moyen se rebiffe. Montée en grade en relevant désormais d’Abram, Agar fait sentir sa nouvelle dignité par ce qu’elle a et qui manque à Sara. C’est pas joli, joli. C’est pas gentil. Mais Sara pourrait lui demander des comptes à elle ! Eh bien non, elle se tourne vers Abram et lui demande de lui redonner tous pouvoirs sur Agar. Elle en appelle également au Seigneur Dieu. Elle frappe haut et fort, Sara.
Peut-être Agar a-t-elle alors interpellé sa maîtresse : y’a un problème ! entre femmes on peut se comprendre – et Sara de continuer de la maltraiter, du haut de son statut de maîtresse. En résumé, Agar est bel et bien utilisée par ce couple. Tu te prends pour qui Agar ? Ah-ah, eh bien non, le moyen restera moyen et tous les moyens sont bons pour la remettre à sa place, et plus que ça. Agar finira par s’enfuir tellement elle est maltraitée. Plus de place supportable pour elle sous ce toit. Pour elle il n’y a que le désert.
Peut-être connaissez-vous cette impression d’être utilisé, d’être un objet, pas respecté, juste bon pour servir les intérêts d’un autre. Au travail ou dans votre famille, peut-être vous est-il arrivé d’être manipulé, d’être un jouet. Quelqu’un vous maltraite. Avec l’assentiment d’un autre. Ils sont 2 ; ou 3 ; ils parlent de vous ; vous êtes seul. Vous vous retrouvez en miettes, à ramasser à la petite cuillère. Vous vous ramassez, seul. Vous tenez. Vous avez envie de vous enfuir.
Nous allons entendre un morceau de musique, avant de poursuivre. Le pianiste et le trompettiste vont jouer pour les mépris dont vous avez été victimes, pour toutes les fois où vous avez été utilisés, pour toutes les fois où on n’a pas daigné être vrai avec vous, pour les rejets que vous avez souffert, pour tous vos déserts, pour toutes les fois où vous ne voyiez plus d’issue sinon la fuite.
(Negro Spiritual : Sometimes I feel like a motherless child) – Orgue et trompette
Parlons aussi un peu des autres personnages de ce fait divers. Prenons Abram, notre célèbre ancêtre, on ne peut pas dire qu’il soit un modèle non plus, dans cet épisode. Plus mou tu meurs. Il se contente de contenter sa femme. Tu me donnes ta servante pour femme pour parvenir à tes fins ? C’est d’accord. Tu veux récupérer tout pouvoir sur elle et en faire ce que tu veux, la maltraiter ? Tu as ma bénédiction. Il pourrait être l’ancêtre de ceux qui pèchent par omission. Vous en connaissez, des Abram ? Il laisse faire. Il n’agit pas, il réagit. Et encore, il se contente d’approuver. Il écoute sa femme, plus que Dieu et sa promesse.
Et puis en effet, ces deux, ils font quoi de la promesse de Dieu ? Dieu l’a dite et redite, on peut le lire dans les chapitres précédents. Vous aurez un fils, je vous donnerai une descendance innombrable. Je fais alliance avec vous. Certes, les années passent, et ils se font vieux. Alors on n’a plus vraiment confiance, et on prend les choses en main à sa façon. Et puisque le moyen on l’a sous la main.
Ne leur jetons pas la pierre. Dieu lui-même ne le fait pas ! Non, ce n’est pas facile, la confiance. Pas facile de conduire sa vie. De discerner ce qui est juste. On se marie, on fonde une famille, on se lance dans la vie adulte en société, et ce n’est pas toujours comme on pouvait en avoir rêvé. Les promesses de Dieu, on était peut-être un peu naïf dans notre période religieuse, maintenant il s’agit de construire sa vie, le temps passe. Et puis, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, c’est plus compliqué qu’on l’avait imaginé avec cette Agar, tant pis pour elle ! Là, je suis en train de tenter de comprendre Sara et Abram et j’en arrive quand même à constater que leurs combines ne sont pas très reluisantes. Pourtant Dieu n’accuse personne. Pas un mot de morale ou de reproche.
Par contre il rejoint Agar, seule dans son désert, au travers d’un ange. Ah, ces anges, qui nous remettent en piste. Avez-vous reconnu parfois ces anges qui vous tournent à nouveau vers la vie, qui vous ouvrent l’avenir ? Devant vous, le désert. Le néant. Que la souffrance. Et puis, oh Dieu, merci pour l’ange qui m’a rejoint dans mon désert aride.
Mais comment Dieu va-t-il redresser la situation ? Regardons de plus près, d’autant plus que la tâche n’est pas facile ! Comment Dieu va-t-il s’y prendre, avec ces humains, qui sont ses élus, ses collaborateurs principaux, ces humains qui viennent lui compliquer la tâche ? Eh bien Dieu ne va pas être radical comme Sara, et il ne va pas non plus laisser faire comme Abram. D’abord donc, Il entend, Il entend la plainte de cette servante, cette Égyptienne qui ne fait pas partie du peuple élu, qui en plus se trouve maintenant hors du pays donné. Elle n’est pas un moyen, elle a la même dignité qu’Abram ou Sara, elle est un être humain dont Dieu prend soin.
L’avez-vous remarqué ? Lorsque l’ange, le messager de Dieu l’interroge sur son passé et son avenir, d’où viens-tu et où vas-tu, elle ne répond qu’au sujet de son passé. Elle ne sait où elle va, pas d’avenir pour elle. Elle a une vie dans le ventre mais la mort devant elle. Eh bien à Agar qui se trouve sans espoir, sans aucune perspective, Dieu donne un futur.
Il vaut la peine de le relever: dans ce récit, c’est à Agar et à elle seule que l’ange de Dieu s’adresse. La parole circulait entre Abram et son épouse Sara, pas très réussi d’ailleurs ! Maintenant, la parole s’adresse à la servante chassée. Dieu lui fait une promesse. Envers et contre la réalité d’une vie sans feu ni lieu, sans rien de rien sauf l’eau d’une source, Dieu lui promet un fils et une descendance nombreuse. Elle n’aura pas moins que l’autre femme d’Abram. Pas besoin de mépriser Sara pour être quelqu’un, Agar, pas besoin d’être en concurrence pour compter pour quelqu’un. Alors que pour Agar après la maltraitance il n’y avait que le désespoir et la mort au désert, sa vie va compter. Elle donnera naissance à un peuple. Et aujourd’hui encore, on parle d’Agar.
Dieu est réaliste et arrange au mieux la situation. Agar va retourner chez Sara et restera sa servante, c’est là qu’elle pourra donner naissance à son fils, c’est là auprès de son père qu’Ismaël grandira. La parole de Dieu a été adressée à Agar, une bénédiction a été prononcée sur elle et son fils Ismaël. Dans cette bénédiction d’Ismaël on admire déjà le fier bédouin insoumis. Mais c’est auprès de son père qu’il passera son enfance.
Ismaël, ce fils, il n’était pas prévu au programme. Mais pour Dieu, jamais personne n’est de trop. Dieu bénit Ismaël. Et il aura son rôle à jouer sur cette terre, dans l’histoire des hommes. Dieu est souple, comment ferait-il avec nous s’il avait nos intransigeances ou notre mollesse ? Notons aussi que Dieu tient la route. Malgré nos petites ou nos grandes combines. Les chapitres suivants le rediront : la promesse qu’il a faite à Abram reste valable. Sara aura bel et bien un fils. Et ce n’est pas parce qu’elle serait meilleure qu’Agar.
Dieu ne perd pas le fil, on lui en a mis un autre dans les pattes et il se débrouille avec. Le fils de Sara et le fils d’Agar donneront naissance à deux peuples différents, chacun béni de Dieu, Israël le peuple de la promesse – pas plus méritant que l’autre mais avec un destin particulier parce que Dieu en a voulu ainsi, et Ismaël, dont le nom signifie « Dieu a entendu ».
Oui, Dieu entend. Il est beaucoup plus proche de nos vies qu’on ne le réalise. Il s’occupe de nos petites vies au jour le jour. Nos souffrances ne lui sont pas indifférentes. La plus petite servante, pas totalement innocente, lui est importante. Dieu prend soin. Nous arrivons au moment capital de notre récit, sur lequel il se termine. Mais encore avant : pour les fois où Dieu est intervenu dans nos histoires compliquées ou désespérées, pour nos cris qu’il a entendus, pour la parole qu’il nous a adressée, pour les ouvertures et les futurs qu’il dessine dans nos vies, pour ses bénédictions le chœur va nous entraîner à dire à Dieu : Notre Père.
Chœur : (Notre Père, Maurice Duruflé)
Pour terminer : l’histoire de Sara, Abram, Agar, Ismaël, l’histoire du peuple d’Israël et du peuple des Ismaélites n’aurait pas été la même si Agar n’avait pas reconnu Dieu. Nos histoires non plus, probablement.
Dans notre chapitre 16 de la Genèse, on voit encore Agar vivre un grand moment. C’est le plus grand moment que puisse vivre toute personne ! Agar dit : « Ai-je réellement vu celui qui me voit ? » et elle donna ce nom au Seigneur qui lui avait parlé : «Tu es El-Roï, le Dieu qui me voit.» Dieu n’est pas seulement celui qui vient arranger les situations. Dieu n’est pas un moyen. Agar reconnaît Dieu pour lui-même. Avec étonnement et émerveillement. «Tu es le Dieu qui me voit. »
Dieu a parlé à Agar. Maintenant c’est Agar qui parle à Dieu. Elle l’a reconnu, elle le lui dit ! Et sa réponse a laissé des traces dans l’histoire des humains. Un puits longtemps en a été témoin : le puits qui se trouve entre Cadès et Béred fut appelé puits du Vivant qui me voit. Il rappelait à ceux qui passaient par là que Dieu est « le Vivant qui me voit ».
Pour porter notre émerveillement devant le Seigneur qui a entendu la mère d’Ismaël, notre émerveillement devant le Vivant qui me voit, pour lui dire notre louange, pour lui répondre un dernier morceau de musique.
(Haendel) – Orgue et trompette
Les vilaines combines qui nous font souffrir... et compliquent la vie à Dieu
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