La parole qui guérit

Temple de Crissier (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

Une disciple : Shalom, mon ami. Cela me fait plaisir de passer un moment avec toi. Je t’ai aperçu l’autre jour dans la foule à Jéricho, au loin, mais je n’ai pas pu te saluer comme je l’aurais voulu. Mais toi, comment vas-tu ?

Un ami :  Je suis encore secoué par ce qu’il s’est passé ce jour-là, quel dommage de ne pas avoir pu être plus près de toi et des autres disciples. De derrière, on ne voyait pas très bien ce qu’il se passait. J’ai entendu que Jésus a guéri cet aveugle qui criait au bord du chemin. Comment c’est, son nom déjà… ?

Une disciple : Bartimée.

Un ami :  Bartimée, oui voilà ! C’est quand même fou, ce qu’il s’est passé.

Une disciple : Je ne te le fais pas dire ! Nous aussi, les disciples, on a bien été secoué, et en plus, remis à notre place.

Un ami : Que veux-tu dire ?

Une disciple : Eh bien, nous avons surtout compris que… nous n’avions rien compris jusqu’ici ! Mais c’est toujours un peu comme ça avec Jésus. On pense être des disciples modèles – bien écouter et mettre en pratique ses enseignements – et puis un beau jour, on se rend compte qu’on ne vaut pas mieux que la foule qui le suit de loin ! Enfin, sans vouloir t’offenser !

Un ami : Non mais tu as raison ! C’est vrai que nous n’avons pas bien réagi du tout avec cet homme. Au début, il ne criait pas très fort, mais comme nos reproches ne suffisaient pas et qu’il criait de plus belle, on s’est mis à le rabrouer sévèrement. Un peu comme vous, les disciples, avec les enfants qui voulaient s’approcher de Jésus !

Une disciple : Oui bon, ça va… Pas besoin de remuer le couteau dans la plaie !

Un ami : Excuse-moi. Mais, comme tu l’as dit, ni toi, ni moi on a été à la hauteur ce jour-là.

Une disciple : Le seul qui a été à la hauteur, c’est celui qui était assis au bord du chemin. Pas ceux qui étaient là debout à suivre Jésus.

Un ami : Et puis, on a été sacrément hypocrites : dès que Jésus a montré de l’intérêt pour ce Bartimée, on a comme par hasard eu des paroles encourageantes à son égard.

Une disciple : Mais, je ne t’explique pas, nous autres disciples aussi, nous avons été un peu bêtes…

Il y a quelques jours, avant d’arriver à Jéricho, Jacques et Jean ont dit à Jésus : «Maître, nous désirons que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons.» Jésus a répondu : «Que voulez-vous que je fasse pour vous?» Et devine quoi ? C’est la même question que Jésus a posé à Bartimée !

Un ami : Mais non ? Avec ce que tu me dis, j’imagine que leur réponse n’a pas été tout à fait du même style…

Une disciple : « Accorde-nous de siéger dans ta gloire », voilà ce qu’on lui a répondu. Pfff. La honte. Nous, nous étions tellement travaillés par notre désir de gloire, nous voulions obtenir une place de choix, bien assis et bien installés dans le Royaume.

Lui, Bartimée, paumé au bord du chemin, il s’est levé pour rencontrer Jésus et changer sa vie. Quelle leçon pour nous !

Un ami : C’est vrai que par rapport à vous, Bartimée, là, il a fait fort… Il est aveugle, pourtant il a vu qui était Jésus. Et puis d’habitude, un mendiant aveugle, il se fait tout petit, résigné… mais lui il a crié, il s’est révolté. Quel courage !

Et puis, c’est vrai qu’en grec Bartimée, ça veut dire « fils de l’honneur » et pas comme en araméen « fils de la honte ». De l’honneur… il en a eu ce jour-là !

Mais en fait ? Qu’est-ce qu’il a répondu à Jésus ? Moi, j’étais trop loin pour l’entendre.

Une disciple : Il a simplement dit : « Rabbouni, fais que je voie de nouveau. »

Un ami :  C’est tout ? D’ailleurs, c'est quand même un peu étrange que Jésus lui ait posé cette question.  Il voulait voir de nouveau ! C’est évident.

Une disciple : C’est vrai, bonne remarque. Je pense que Jésus voulait que Bartimée exprime clairement son besoin et manifeste sa foi.

Tu sais, depuis que je le suis, au fil des mois, j’ai remarqué, il aime entrer en dialogue, en discussion, Jésus. C’est pas le style, « Je te guéris et on passe au suivant ! »

Un ami : Et puis, je me demande si cela ne va même pas encore plus loin, parce que, en posant la question à Bartimée, Jésus lui donne le choix et la parole : être celui qui ose demander. Quel signe de respect ! Il a vraiment dû retrouver toute sa dignité d’un coup, Bartimée ! Être écouté et pris au sérieux…

Un ami : D’ailleurs, Jésus ne lui dit pas : « Je sais ce qui est bon pour toi », il l’écoute. Contrairement à nous qui avons voulu le faire taire !

Une disciple : Et puis Jésus n’a même pas utilisé des « formules » de guérison ni de gestes. Juste une question.

Un ami : Bon, moi, je suis assez content qu’il ait amélioré sa technique, parce que son mélange de salive et de boue, c’était un peu bizarre quand même !

Une disciple : C’est pas faux… Heureusement, une question a suffi, cette fois. Et puis tu sais, pour avoir vu Bartimée de près, on avait vraiment l’impression que dans son regard retrouvé, il percevait en Jésus une force de libération tellement forte.  C’était comme s’il retrouvait non seulement la vue, mais une nouvelle vie !

Un ami : Et j’ai entendu autour de moi qu’il a même jeté son manteau. C’est vrai ?

Une disciple : Oui ! Je l’ai vu de mes yeux. C’est fou… c’était pourtant la seule chose qu’il lui restait, depuis des années. Incroyable ce geste – c’était à la fois poignant et impressionnant.

Et puis tu veux savoir la fin ? Jésus lui a dit : « Va, ta foi t’a sauvée ». On aurait dit qu’il lui rendait sa liberté… quelque chose comme cela. Mais Bartimée a décidé de le suivre. Tu te rends compte ?

Un ami :  Incroyable. Au bout du compte, je me dis que, dans toute cette histoire, c’était vraiment Bartimée qui voyait le mieux.

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Nous voici de retour au 21ème siècle. À Crissier et non pas à Jéricho. Quel magnifique passage de l’Évangile !

Bartimée a tellement reçu de confiance qu’il en arrive à jeter son unique vêtement et se mettre en quelque sorte à nu devant Jésus, car devant lui, il n’a plus besoin de se protéger, il ose être totalement lui-même. Il n’a plus besoin de se protéger de la foule et des autres non plus.

En laissant son manteau, il se dépouille de ce qui faisait son identité aux yeux de ceux qui le croisait chaque jour sur le bord de la route. Il abandonne sa carapace et, en quelque sorte, expose plus encore sa faiblesse, ses difficultés : il se lève et se dirige seul vers Jésus, à l’aveugle, littéralement.

Dire cela, c’est comprendre que le plus grand miracle est peut-être finalement moins la guérison physique de Bartimée, que sa dignité retrouvée et son retour à la vie, une vie de relations à construire et à reconstruire.

C’est un véritable signe du salut, que cet homme réconcilié avec lui-même parce qu’il a rencontré la personne de Jésus.

Et pour nous ce matin…

Retrouver la vue ? Bien sûr, c’est l’extraordinaire libération physique de cet homme. Seulement, sortir de l’aveuglement, pour les humains que nous sommes, est au cœur de la lutte du Christ.

Parce que l’on peut regarder sans voir. C’est-à-dire perdre l’essentiel de vue, comme les disciples qui ne comprennent absolument rien à ce que leur maître va devoir affronter lors de la dernière semaine de sa vie, obnubilés qu’ils sont par leur carrière de disciples.

On peut entendre sans écouter. On peut exister sans vivre. C’est ce que le Christ répète à longueur de rencontres, de paroles et de paraboles. Et puis passer à côté des autres sans les voir, ni les écouter vraiment, comme la foule qui veut faire taire Bartimée.

Passer à côté de nous-mêmes et du sens de notre vie. Et à côté de la force de l’amour qui surpasse tout, de la beauté de la vie malgré sa dureté, de l’espérance qui pourrait nous porter, de la présence de Dieu juste là, à côté de nous.

Il y a donc les aveuglements de la vie, et la situation de Bartimée, dans laquelle nous pouvons nous projeter aux jours difficiles. Parce que les humains que nous sommes, à certains moments peuvent se sentir largués, comme jetés au bord de la route, parfois violemment : un échec, une blessure, un licenciement, une maladie, un deuil… tant de raisons de se sentir « posé », au bord de la route. Se sentir alors mendiants, ne voyant plus dans quel sens aller, en quête d’avoir notre place, en recherche de sens et de reconnaissance…

Et quand on se sent rabroué par la dureté de la vie, que l’on se sent peut-être même rabroué par d’autres, que nos demandes et nos besoins les plus profonds n’arrivent plus à être verbalisés, n’arrivent plus peut-être même à exister… il est bon de penser à Bartimée, notre ami, notre frère.

Car pour chacune et chacun, comme pour lui, il y a un appel, la voix du Christ qui dit : «Appelez-le ! Appelez-la !».

Et puis ces mots qui résonnent pour nous comme pour Bartimée : « Confiance, lève-toi, il t’appelle ! ». Un appel à la confiance : sortir du fatalisme, du « de toute façon, cela ne sert à rien » ou de je ne sais quel découragement.

Et alors oser, comme Bartimée ! Oser parler, oser demander, se relever… Ou même crier vers le Christ avec foi et confiance.

Car un « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » nous est destiné. Le Christ, par l’intermédiaire de sa Parole, des autres, des événements et des occasions de la vie, à travers notre vie spirituelle, notre prière et nos ressources personnelles, nous tend la main.

 

(Prédication écrite par les pasteurs Julia Durgnat et Christophe Reymond.)

Bartimée: un texte fort. Lui, l’aveugle que plus grand monde ne voyait, va oser demander et même crier. Lui, le «rabroué» par la foule, prend le chemin de la dignité. Et par-delà sa vue retrouvée, l’étonnante question de Jésus résonne peut-être comme le véritable miracle: «Que veux-tu que je fasse pour toi?». Le Messie en personne lui (re)donne la parole… pour renaître à sa vie.

Une prédication à deux voix des pasteurs Julia Durgnat et Christophe Reymond.

Détails

Célébration
Avec la participation de
Myriam Duruz pour les lectures
Orgue
Musique
Atena Carte au piano, Alexandru Patrascu au violon, et Laurentius Cazan au violoncelle