1. Ce qui nous épuise
Dans le NT, l’âme n’est pas un lieu. Le mot âme désigne la relation que nous entretenons avec nous-mêmes. La conversation intérieure qui nous anime. Notre relation à nous-mêmes est-elle paisible ou conflictuelle ? Sommes-nous de bons compagnons pour nous-mêmes ? Ou manquons-nous de temps à consacrer à l‘introspection ?
Le fardeau dont parle l’évangile de Matthieu vient de l’intérieur de nous-mêmes. Un fardeau qui fatigue et qui charge. Un poids qui épuise notre conscience. Qui n’est pas arrivé au soir d’une journée gâchée, fatigué, énervé, parce qu’une inquiétude sourde, un problème non résolu, l’avait empêché de se donner tout entier à sa tâche. Voilà une journée perdue. L’insatisfaction est au rendez-vous. « Il est lourd le fardeau que tu ne portes pas ! »
Qu’est-ce qui nous tourmente ? Et nous réveille parfois la nuit ? Qu’est-ce qui nous jette, dès l’aube, dans toutes sortes d’activités pour ne pas penser ? Qu’est-ce qui fait de nous des « désœuvrés hyperactifs » selon l’heureuse formule du philosophe Pascal Brukner ?
Nous nous gavons de nourriture et d’achats pour ne pas penser. Nous nous entourons souvent de toutes sortes de problèmes techniques à résoudre pour éviter que surviennent les questions.
Combien de malheurs viennent de nos désirs satisfaits ? Il faudrait consacrer du temps et des forces à examiner nos désirs, à en contrôler la valeur, à en vérifier le droit-fil de la vie. Combien se sentent importants parce qu’ils ont beaucoup à faire. Que ce soit du travail ou des loisirs.
Ces questions sont loin d’être nouvelles. «Ainsi s’écoule la vie, écrivait, Blaise Pascal, on cherche le repos en combattant quelques obstacles et, si on les surmonte, le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il faut en sortir et mendier le tumulte. Il ajoute – On aime mieux la chasse que la prise ! » Dès qu’un besoin est satisfait, un autre s’impose. Notre stress trouve son origine au fond de nous-mêmes. De notre rapport perturbé à nous-mêmes.
« Venez à moi, vous trouverez le repos de vos âmes », vous trouverez la paix intérieure, la réconciliation avec vous-même et avec votre vie !
2. La distinction de la personne et de ses qualités qui donne de la force
Pour trouver le repos de l’âme, nous pouvons nous appuyer sur la distinction entre la personne et ses qualités, la distinction de la personne et de ses dons, de ses compétences. Souvent, sous le stress, on découvre la haine de soi. On ne s’aime pas. On exige toujours plus de soi-même dans l’espoir de pouvoir s’aimer, comme s’il fallait mériter l’amour et la reconnaissance.
Dieu nous aime sans condition, un amour qui s’adresse à chaque personne, indépendamment de ses qualités propres. Notre valeur s’enracine en Dieu. Le 10 décembre prochain, nous fêterons le 60e anniversaire des Droits humains qui doivent tant au protestantisme. Nous nous rappellerons que toute personne a droit à sa dignité, quelles que soient sa race, sa condition sociale, son origine.
Durant son enfance à Atlanta, Martin Luther King raconte qu’il se heurtait à l’injustice : les noirs ne pouvaient pas avoir d’amis blancs. Ils fréquentaient des écoles séparées, étaient relégués au fond des bus pour laisser les places assises aux blancs. Devant sa révolte d’enfant, son père pasteur lui disait : « N’oublie jamais, quoi qu’on te dise, quoiqu’on te fasse, tu es quelqu’un, parce que Dieu, l’instance ultime, l’a voulu. ». « Tu es quelqu’un ! ». Ce message, Martin Luther King l’a intégré, il est devenu sien, malgré l’expérience quotidienne de l’humiliation, malgré les lois iniques, malgré les injustices. Martin Luther King a appris à ne pas se laisser déterminer par les besoins des autres, leur échelle de valeur, leur conception.
Les aînés ici se souviennent peut-être : en 1955, à Montgomery, au Sud des USA, Rosa Parker est jetée en prison. Son crime ? Après une journée de travail debout, comme vendeuse, puis des courses pour sa famille, cette femme âgée, fatiguée s’est assise dans le bus qui la ramenait chez elle. Elle ne s’est pas levée quand le chauffeur le lui a demandé. Comment a-t-elle eu la force de maintenir sa position, seule contre tous ? Le message du pasteur Martin Luther King, « tu es quelqu’un », elle l’avait intégré comme des milliers d’autres qui, massivement, les jours suivants, boycottèrent les bus. Un geste juste, courageux qui a eu les conséquences que l’on sait.
Le regard bienveillant, que Dieu pose sur chacun, nous libère du jugement des autres et de notre haine de nous-mêmes. Je pense aux parents : devant la pression mise sur leurs enfants à l’école, peut-être que les parents pourraient leur répéter: « Tu es quelqu’un » « Tu as de la valeur » « Ce n’est pas tes notes qui disent ta valeur. Ton carnet de notes qui détermine qui tu es. Parce que ta valeur t’est donnée comme un cadeau précieux par Dieu, tu peux alors déployer tes forces et ton intelligence pour travailler à tes devoirs.»
3. Le pardon qui restaure les relations
Pour trouver le repos de l’âme, nous pouvons nous appuyer sur le pardon. À l’intérieur de nous-mêmes, nous rencontrons la culpabilité. Il s’agit de notre rapport aux fautes que nous faisons. Nous avons à être vrais, sans illusion sur nous-mêmes, libres de reconnaître nos incohérences et nos erreurs. Non pas que Dieu efface tout et répare tout, d’un coup de baguette magique. Les fautes et les erreurs ont parfois des conséquences que nous sommes appelés à assumer. Mais le fardeau peut se faire plus léger, parce que nous croyons que Dieu pardonne. Parce que son pardon nous invite à nous pardonner à nous-mêmes. Croire que Dieu, comme il l’a promis, continue à nous accorder son amour et sa confiance; la relation n’est pas coupée.
Je pense à l’histoire du prêtre des rues, Guy Gilbert. Au téléjournal, il voit les visages de deux jeunes qu’il avait accueillis quelques mois plus tôt. Ces jeunes ont commis un crime atroce : ils ont détroussé une vieille dame, l’ont torturée pour savoir où elle cachait son argent.
Arrêtés par la police, ils sont en garde à vue. La prison a ses propres règles. Les prisonniers n’aiment pas ceux qui s’attaquent à des fiables. Là aussi, ces deux jeunes rencontrent le rejet. Ils ne montrent aucun regret, ne prononcent aucune parole. Guy Gilbert les rencontre. Il pose ses mains sur leurs épaules. Leur dit son amitié, qu’il est là et ne les lâchera pas, et que leur crime est inacceptable. Pour la première fois, les deux malfrats se mettent à pleurer. Guy Gilbert dénonce leur crime et ne les rejette pas. Le pardon nous libère de telle manière que nous pouvons assumer notre culpabilité.
4. La confiance qui nous fait vivre
Pour trouver le repos de l’âme, nous pouvons nous appuyer sur un rapport de confiance au temps. Le temps n’est pas un objet de spéculation. Personne ne maîtrise le temps et l’avenir. C’est parce que le temps n’appartient à personne, si ce n’est à Dieu seul, qu’il peut être reçu comme un don gracieux, dans l’humilité et la reconnaissance.
C’est la fameuse expression que l’on pense plus qu’on ne dit « Si Dieu veut… ». Ce n’est pas du fatalisme. Ni du pessimisme. Au contraire, face à toutes les prévisions soit optimistes soit catastrophiques que nous entendons, c’est garder l’avenir ouvert. C’est garder la liberté de recevoir le temps, chaque jour, comme un cadeau.
J’aimerais vous raconter la visite que fit un jeune homme à deux moines. Il s’intéressait à entrer dans les ordres.[1] Le 1er moine qu’il rencontre se lamente, en saluant son visiteur. Il déplore le peu de temps qu’il a à lui consacrer en raison de ses nombreuses occupations. Ce moine garde son visiteur pendant une heure. Mais il n’est pas vraiment disponible pour lui. Il parle essentiellement de lui-même, de tout ce qu’il a à faire. Il s’intéresse peu à ce que le jeune homme a à lui dire.
L’autre moine le salue chaleureusement et l’avertit qu’il a 20 min à lui consacrer. Pendant ces 20 min, ce moine fut si présent et écouta son visiteur si attentivement que le jeune homme eut l’impression que le moine était là uniquement pour lui. Ces 20 min lui parurent plus pleines, plus denses, plus vivantes que l’heure passée avec le moine pressé. Chacun de nous s’est trouvé dans la peau du visiteur une fois ou l’autre. Chacun de nous s’est aussi trouvé dans la peau du moine : le pressé comme le disponible.
« Venez à moi, vous trouverez le repos de vos âmes », vous trouverez la paix intérieure, la réconciliation avec vous-même et avec votre vie.
5. Choisir son maître
Vous l’avez compris. La vie spirituelle, la vie de Dieu en nous, n’est pas une oasis coupée du monde, un jardin protégé et clos. La paix intérieure n’est pas liée à une existence tranquille ou non. Reste une question fondamentale : À qui avons-nous donné le pouvoir sur notre vie ? Entre les mains de qui avons-nous remis les clés de notre bonheur ? Sur qui avons-nous porté notre besoin d’absolu ? Qui est notre référence ultime ? L’instance à laquelle nous rendons compte de notre existence ?
La réponse à cette question est déterminante.
Il y a quelques années, il s’est trouvé entre mes mains un livre exceptionnel. Un ouvrage de petit format contenant 39 lettres. Des lettres écrites toutes le même jour au même endroit. À Stalingrad, en 1942.
Les troupes allemandes tentent d’envahir Stalingrad. La contre-offensive soviétique coupe les communications de la 6e armée allemande, l’isole complètement, des milliers de soldats allemands meurent de faim, de froid, sont tués, faits prisonniers et déportés en Sibérie. La bataille de Stalingrad constitue un tournant dans la 2e guerre mondiale : le commencement de la fin pour les nazis.
De cette ville, de ces hommes traqués, abandonnés, placés devant la mort, nous sont parvenus 39 lettres, 39 témoignages, 39 réactions face au désastre. Dans cette situation extrême, la vérité profonde de chacun apparaît, est révélé sur quoi il avait misé son existence.
Deux d’entre eux, par exemple, dans les derniers moments de leur existence, pense au Führer
o L’un, pense qu’Hitler va les sauver, comme par magie.
o L’autre est envahi par l’amertume : « On a hurlé « Heil Hitler » et maintenant on doit crever ! », écrit-il.
Chacun se raccroche à qui est important pour lui. À celui qui est de fait maître de sa vie et de ses choix.
Parmi ces lettres, se trouve celle d’un jeune prêtre écrite à ses parents : La nuit de Noël, il réunit 11 camarades pour célébrer la naissance du Christ. Il leur donne la communion « Je suis heureux, écrit-il, d’avoir pu apporter dans leur cœur un peu de courage et d’apaisement. Si Dieu le veut, c’est calmement que nous nous enfoncerons dans le soir et dans la nuit. Mais non pas une nuit infinie… »
Nous allons vers la nuit. Je crois que nous allons vers Celui qui transforme les ténèbres en lumière.
Amen !
[1] Anselm Grün, La sérénité du cœur, chez Albin Michel