Va et vis

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Écouter le culte :

Il est troublant cet oracle d'Ezéchiel avec cette histoire de nouveau-né abandonné, de sang, de cordon ombilical, etc. non? Alors essayons d’y regarder de plus près et vous verrez que nous ne sommes pas au bout de nos découvertes, voire de nos surprises !
Au début, c’est assez classique : le texte nous rapporte un oracle, une parole que Dieu confie au prophète Ezéchiel afin qu’il la proclame à Jérusalem : « Ainsi parle le Seigneur, je vais faire connaître à Jérusalem ses abominations. » Même le dernier terme est classique, car quand un prophète est envoyé par Dieu, c'est en général parce que quelque chose ne va pas pour un croyant, un groupe ou l'ensemble du peuple. Le prophète sert de signe avertisseur avant que les choses ne tournent vraiment mal. Jusque là donc, rien de spécial. C’est après que cela se corse.
De quoi s’agit-il ? En fait, la parole du Seigneur à Jérusalem est une parole d’identité. A travers le déploiement d’une métaphore, d’une image, le Seigneur révèle à la ville sainte, à la capitale politique et spirituelle d’Israël, son identité véritable. Alors imaginez un instant Jérusalem à l’époque d’Ezéchiel : c’est une ville florissante. C’est le centre du royaume de Juda, royaume qui a miraculeusement échappé à la destruction des armées assyriennes, alors que ces mêmes armées venaient de ravager avec une violence inouïe le royaume du Nord, celui d’Israël.
Et au cœur de ce centre de Juda, se tient le temple, le temple fondé par Salomon et dont la seule présence redit chaque jour au peuple la présence de Dieu. Ce Dieu qui a choisi un peuple esclave en Egypte, pour l’extraire de l’esclavage et le conduire dans un pays où coule le lait et le miel.
Oui au cœur de Jérusalem se dresse le temple, ce temple dans lequel Ezéchiel exerce son ministère de prêtre. Ce temple, objet de fierté, voire d’orgueil des habitants de Jérusalem et de tout Juda. En effet, quelques années avant notre oracle, Jérusalem était assiégé par les armées assyriennes. Mais celles-ci levèrent le siège quand leur camp fut ravagé par la maladie. Tous les habitants de Jérusalem y virent un signe de la protection divine.
Leurs actions de grâces pourtant firent vite place à de l’orgueil. Ils se dirent : Nous sommes des humains de grande valeur pour que Dieu s’intéresse ainsi à nous. Et bientôt, ils se dirent simplement : nous sommes extraordinaires. Sans plus aucunement faire référence à Dieu ou alors seulement de façon mécanique.

C’est dans cette situation qu’Ezéchiel prononce son oracle et rappelle à Jérusalem d’où elle vient. Petite cité méprisée dont les habitants étaient considérés comme des bâtards, des moins que rien. Petite cité laissée à l’abandon. C’est cette réalité que rappelle l’oracle prophétique, mais il rappelle surtout la sollicitude de Dieu. Car, alors que tous se détournaient d’elle, le Seigneur l’a prise en pitié. Il s’est occupé d’elle avec soin, constance et amour. Il a voulu qu’elle vive et elle a vécu. Elle est devenue cette ville dont le nom résonne encore aujourd’hui. C’est cela son identité véritable : Jérusalem vit grâce à l’amour et au choix de Dieu. Jérusalem est une manifestation de la pure grâce divine.
Et c’est ici que nous pouvons prendre conscience de la découverte dont je vous parlais en introduction. Cette découverte est celle du langage utilisé par l’oracle. Ce n’est pas le langage habituel des oracles prophétiques pour décrire ce type de situation et prononcer ce type d’avertissement. D’habitude, les oracles des prophètes déploient des images grandioses pour dépeindre la saga d’Israël. Ils convoquent, sur un ton flamboyant, des images de puissance, des références guerrières ou cosmiques, des actions à rebondissements qui n’ont rien à envier aux films à grands spectacles qui sont devenus la spécialité d’une certaine industrie du cinéma que je ne nommerais pas, mais dont le nom commence par Holy et se termine par Wood !

Rien de tout cela dans notre passage, mais des images féminines. Rappelez-vous ! Jérusalem est comme une nouveau né abandonné et Dieu, comme une mère, s’en occupe, il (elle ?) coupe le cordon, il lave le bébé, le désinfecte avec du sel (selon les coutumes et les connaissances de l'époque), l’emmaillote et surtout va lui insuffler la volonté de vivre ! De vivre avec ce qu'il est, ce qui le constitue : Vis dans ton sang ! C'est-à-dire : vis ta vie.
Ici pas de déploiement de force, mais l’attention au quotidien d’une mère, la constance des petits gestes. Dieu ne manifeste pas sa puissance dans la force et le spectaculaire, il (elle ?) laisse entrevoir la puissance de son amour dans l’humble constance de gestes quotidiens. Et surtout, il laisse entrevoir son amour dans un appel à être qui laisse chacune et chacun libre. Dieu se pose en partenaire de notre vie et nous pose en partenaires de son action. Un Dieu partenaire et non despote, des humains partenaires et non marionnettes.

Pourtant le texte d’Ezéchiel n’a pas fini de nous livrer ses secrets ! Car se pose maintenant la question : quel objectif poursuit ce texte ? Pourquoi a-t-il été recueilli et déposé dans nos bibles ? Est-il simplement là pour nous livrer une image inattendue de Dieu ? Certainement pas. La réponse à cette question est à chercher dans la contexte historique et spirituel de l’oracle.
A priori, le contexte est celui de Jérusalem triomphante, sûre d’elle-même, confite dans son orgueil et ses réalisations et bien oublieuse de Dieu. Si tel est bien le cas alors l’objectif du passage est de rabaisser la fierté de Jérusalem et par-dessus tous les siècles d’interroger aujourd’hui tous ceux qui ont réussi leur vie : Où est votre spiritualité ? Quelle place pour Dieu ?
Alors il est certes peut-être utile d’effectuer ce rappel, mais cela comporte un danger : on présente l’image d’un Dieu qui abaisse, voire qui mépriserait tous les efforts humains, qui ne saurait se réjouir de ce que nous faisons. Un Dieu qui nous dirait en substance: c'est bien ce que tu fais, mais tu pourrais faire mieux ! Un Dieu décourageant en somme.
Ce danger pourtant s’évanouit si on se donne la peine de chercher le véritable contexte historique et spirituel du passage. Ce contexte n’est pas celui de Juda triomphant, mais celui où le peuple de Dieu rassemble les oracles des prophètes pour en faire les livres de notre bible. Le peuple les rassemble car ces oracles ont du sens pour lui et du sens justement dans un tout autre contexte. D'autres armées sont venues cette fois de Babylone et Jérusalem est détruite, le temple abattu, le peuple en Exil et réduit à moins que rien, vaincu de l’histoire. C’est là qu’il semble être comme un nouveau-né abandonné dans son sang ! L’objectif de l’oracle apparaît alors dans sa clarté : redonner du courage à un peuple abattu et lui dire : ce que Dieu a fait une fois, il peut le refaire pour toi.
Par delà les siècles ce message s’adresse à nous, il s’adresse à nous comme personne quand nous sommes habités par le sentiment que nous ne valons pas la peine que l’on s’intéresse à nous. Il s’adresse à nous comme membres de l’église quand nous sommes habités par le sentiment que tout fout le camp et que nous sommes inquiets pour la survie même de la foi.
Il s’adresse à nous comme habitants de cette planète qui se détruit. Il s’adresse à nous comme citoyens de cette humanité qui se tord sous la violence, la fuite en avant matérialiste, la loi du talion, le peur de l’étranger. Il s’adresse à nous dans toutes les dimensions de notre vie et son message est somme toute très simple : qui que tu sois, tu as un avenir ouvert et offert par Dieu. Va et vis.
Amen !

Détails

Avec la participation de
Robert Brönnimann
Orgue
Gérald Chappuis
Musique
Roland Volet Trompette