Etrange Dieu, Dieu étrange 1/4

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Bizarre, insaisissable, étrange et étranger, silencieux, inexplicable, incompréhensible. Etrange Dieu, Dieu étrange. Le prophète Habacuc désemparé par tant d’étrangeté chez Dieu, en appelle à son Seigneur pour comprendre enfin ce qui se passe et ce que traversent les humains. C’est la crise pour Habacuc, il souffre du malheur des autres et a besoin de comprendre ce qui arrive.
Et le prophète ne se tourne pas vers une explication scientifique, sociétale ou comportementale des hommes et des femmes, mais il en appelle à Dieu pour comprendre son monde et il semblerait que cela fait un moment déjà qu’Habacuc appelle au secours et crie à Dieu sans que rien ne change et sans qu’aucune réponse ne lui soit donnée.
Habacuc remplit son carnet du lait déjà depuis quelque temps – vous savez ce fameux petit carnet où l’on inscrivait à l’époque chez le laitier le poids du lait récolté et pesé et où l’on pouvait y inscrire nos petits achats à la laiterie et payer à la fin du mois. Le passage que nous venons d’entendre dans le livre d’Habacuc c’est un petit bout de carnet du lait du prophète. Il ne comprend pas le malheur, la souffrance, la violence, le non-respect des lois, les appels sans réponse, l’injustice et il le dit à Dieu.
Même si dans la Bible, on ne mentionne pas ce petit carnet, je crois pourtant qu’il est bon comme chrétiens de tenir le carnet du lait de notre foi, avec toutes les questions, les colères, les larmes, les pourquoi, les incompréhensions et les injustices dont on aimerait tant obtenir réponses auprès de Dieu. Justement Dieu nous a offert un libre arbitre merveilleux et c’est avec cette liberté là que nous pouvons oser remplir les lignes de ce carnet face à cet étrange Dieu que l’on ne comprend pas toujours.
J’aime à penser qu’au royaume nous pourrons aller au bureau du carnet du lait et faire nos comptes avec le Seigneur, comprendre enfin pourquoi, comment et quel sens à tout ce que nous avons pu voir et que nous n’avons pas compris dans ce monde.

Dieu invite le prophète Habacuc à la patience et la confiance, un jour il comprendra, un jour ce que le Seigneur annonce, arrivera. Le moment des comptes n’est pas encore venu, mais il est bon d’inscrire sur son carnet du lait tout ce qui lui pèse. Comme croyants nous sommes invités, je le crois, à ne pas être passifs et résignés, je crois que Dieu nous a voulu libres et responsables, donc capables de dialogue, d’échange, de confrontation même avec lui. Si Dieu est notre père, il est normal d’entrer en discussion avec lui, et je ne crois pas que Dieu s’offusquera de la longue liste de nos carnets du lait. Avec bienveillance je l’imagine même esquisser un sourire à chaque fois que nous y inscrivons une remarque.
Au jour de notre rencontre avec lui, alors tout deviendra clair, limpide, paisible et compréhensible. En attendant il nous faut être patient et confiant, comme Habacuc, tout en gardant notre mordant et notre vigilance de chrétien, continuer à nous fier et nous appuyer sur Dieu avec fidélité et courageusement toujours nous laisser être remué par les injustices, les souffrances, les violences et tous les pourquoi de nos vies.
Croire fidèlement en ce Dieu que nous ne comprenons pas toujours, mais oser se plaindre à lui. Et les écrits bibliques dont les psaumes regorgent de lamentations, de soupirs, de cris de colère et d’appels au secours.

Pourtant comme nous le montre ce matin le passage lu dans l’évangile de Luc, nous sommes appelés à être serviteurs et des serviteurs qui n’en finissent pas de travailler au service du maître sans attendre en retour, car c’est normal pour un serviteur de servir. Dans la bouche de Jésus, le serviteur garde le troupeau du maître mais encore il prépare son repas, change d’habits pour le servir, patiente qu’il ait fini de manger pour après prendre du temps pour lui et tout cela sans en attendre un seul remerciement car c’est son devoir de serviteur. Cela fait partie de son cahier des charges et il n’a pas à attendre de reconnaissance particulière ou un merci de la part de son maître.
Jésus souhaite ici faire passer le message de l’humilité du serviteur, avec la foi que nous avons et tout ce que nous faisons au nom de notre Dieu, nous ne sommes pas invités à nous prévaloir devant lui de notre service, un service indispensable certes, mais service quand même. Dans mon imaginaire, à côté du bureau des comptes et du carnet du lait, au jour de notre face à face avec notre Dieu, j’aimerais bien qu’il nous dise, bravo mes enfants ! Vous avez fait du bon boulot comme chrétiens, vous avez suivi au mieux les règles de mon amour !
J’imagine la récompense, la reconnaissance, les félicitations de Dieu pour nos efforts et pourtant il se pourrait bien, en écoutant les paroles de Jésus, que Dieu n’entre pas dans ce jeu là et la seule chose que nous recevrons c’est l’assurance d’avoir fait notre devoir tout simplement, ni plus ni moins qu’un autre, juste un serviteur au service !

Je ne sais pas ce qui se passera au royaume, au jour de notre rencontre avec Dieu notre Père, je crois juste que nous y serons bien, accueillis tels que nous sommes avec nos faiblesses et nos merveilles, qu’il n’y aura plus de sentiment d’injustice, ni d’orgueil, il n’y aura pas de calculs pour savoir qui a le droit d’être auprès de Dieu ou pas, il n’y aura pas de comparaisons, chacun aura sa place, une place de choix comme pour tous les autres, la meilleure des places parce que la place que Dieu nous aura faite. Et j’espère que nous aurons la chance de comprendre le sens de l’existence et le pourquoi dans ce monde.
En attendant nous sommes invités à être serviteurs, à faire notre devoir sans calculs, sans imaginer marquer des points en exerçant notre charité chrétienne, à être des serviteurs obéissants tout en gardant notre sens critique et cette flamme en nous qui nous fait bouger des montagnes pour un peu plus de justice et d’amour du prochain dans ce monde.
Le maître que nous servons est un maître d’amour mais aussi un maître juste et droit, il est celui qui entend et accueille chacune de nos émotions, joie, colère, peur, tristesse, tout en nous invitant à continuer le travail, un travail qu’il est normal, juste d’accomplir, car c’est notre devoir de croyant. Même si l’on aimerait parfois être le meilleur serviteur, celui qui fait le plus, celui qui sert le mieux, celui qui travaille sans compter, celui qui a la plus grande foi, celle qui fait déraciner un mûrier pour aller se planter dans la mer, nous sommes pourtant tous logés à la même enseigne, ni meilleur ni pire qu’un autre et il nous faut apprendre l’humilité du service, le courage de remplir notre carnet du lait et la fidélité de croire en ce Dieu que nous ne comprenons pas toujours.

Entrer en confrontation auprès de Dieu le Père ne signifie pas pour autant que nous cessions de le servir au mieux de nos capacités, cela n’entache pas notre amour pour lui, nos louanges, notre reconnaissance et la joie de notre foi. Au contraire savoir que nous pouvons le faire, que nous pouvons oser les plaintes, les révoltes, les multitudes de questions cela peut nous permettre alors en toute conscience et dans la simplicité de continuer à servir au mieux celui auquel nous croyons et à qui nous pouvons tout dire, car nous servons un maître à l’écoute et fidèle.
Que notre vocation de serviteur s’enracine dans la joie du service accompli et à toujours accomplir, dans la simplicité et la confiance et que la liberté offerte par amour de Dieu nous pousse à remplir notre carnet du lait de toutes nos questions comme de toutes nos reconnaissances. Dieu étrange, étrange Dieu auquel je crois !
Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Ensemble de cuivres , direction Cyril Laedermann
Choeur de la Cathédrale