Écouter le culte :
Frères et sœurs,
Il y maintenant près de trente ans, notre professeur de théologie pratique, Jean-Marc Chappuis, avait écrit un petit livre humoristique intitulé « l'histoire fantastique de William Bolomey dernier pasteur chrétien » que j'ai relu ces jours avec amusement. Cette histoire fantastique est-elle en train de devenir réalité ? Nous étions à Genève plus de cent ministres, nous sommes plus ou moins 70 aujourd'hui et bientôt une petite cinquantaine... la question peut donc se poser : qui sera le dernier pasteur ? Il paraît même que les plus célèbres bookmakers anglais ont déjà ouvert les paris.
Et bien voyez-vous, je ne vais pas miser un penny, pas même un centime de ma paye de ministre sur ce pari-là car je ne suis pas pessimiste quant à l'avenir de notre Eglise. Ne pas être pessimiste pour moi ce n'est pas faire preuve d'un optimisme béat, ce n'est pas dire que tout va bien en fermant les yeux sur la réalité. Le contraire du pessimiste n'est ni un doux rêveur, ni un idéaliste, mais quelqu'un qui est confiant et qui sait en qui, en quoi il place sa confiance. Aujourd'hui, je demeure profondément confiant quant à l'avenir de notre Eglise, ce qui ne m'empêche pas de porter un regard lucide sur notre situation qui est fragile, chancelante et qui appelle à de profonds changements.
Savoir reconnaître ses fragilités est certainement une force. C'est vrai pour chacun de nous comme individu, ainsi que pour notre Eglise. Et de fragilités, notre Eglise est riche (pour faire une allusion au thème de l'Assemblée de l'Eglise). Oui nous ne manquons pas de fragilités, nous devons les reconnaître, les analyser comme notre manque de vision, notre structure trop complexe, notre difficulté à dire ce qu'on croit, notre peine à parler le langage d'aujourd'hui... mais ne nous complaisons pas dans ce catalogue à la Prévert de ce qui est fragile, n'acceptons pas trop vite le discours admis selon lequel l'Eglise par définition doit être veille, vide et ennuyeuse (et donc appartenant au passé, inutile, obsolète). Sans vouloir gommer les difficultés certaines que l'on rencontre, sans minimiser les faiblesses, je ne fais pas ce constat d'une Eglise vieille, vide et ennuyeuse lorsque je vois ces familles heureuses à l'Eveil à la foi, ces jeunes qui découvrent avec passion l'Evangile, ces familles endeuillées qui trouvent du réconfort dans une parole d'espérance, ces communautés chaleureuses et bigarrées qui disent leur joie de croire.
Soyons lucides sur notre situation d'Eglise et l'Eglise va changer encore, c'est sûr et c'est normal car le monde change, mais ne nous donnons pas des bâtons pour nous faire battre, ne nous voyons pas plus moches que nous sommes réellement, ne nous complaisons pas dans une forme de misérabilisme mortifère. Pour reprendre ce que nous avait dit une fois Shafique Keshavjee lors d'une assemblée d'Eglise : nous avons de quoi être fiers et oser le dire. Fiers, nous devons l'être d'abord de cet Evangile que nous portons – avec d'autres, bien sûr – dont la force et la pertinence toujours renouvelées me frappent chaque matin. Rien, non rien ne saura remplacer l'Evangile ! Nous pouvons être fiers aussi de notre histoire d'Eglise et de notre tradition réformée. Regardez tout ce que l'Evangile a apporté, à travers notre Eglise, d'abord à notre cité et bien au-delà de ses frontières. Mais parfois nous avons l'impression que tout cela appartient au passé, comme si nous n’arrivions plus à reconnaître aujourd'hui encore le trésor qui nous a été confié. Mais l'Evangile ça change la vie, et on peut le voir tous les jours. Si nous n'en sommes plus convaincus, alors qui le sera ? Si nous ne le disons plus, qui le dira ?
Notre Eglise a toujours été mue par ce seul désir de faire connaître l'Evangile et d'en vivre. Mais aujourd'hui nous avons perdu confiance, je crois d'abord en nous-mêmes, en notre capacité à faire rayonner cet Evangile alors nous cherchons toute sortes de moyens pour retrouver une assise, une confiance. On cherche surtout dans de nouvelles formes ou structures, on fait même appel aux spécialistes en tout genre, on peaufine les règlements, on change de système, on rêve de moyens de communication plus modernes ; je ne dis pas que cela est inutile, cela peut même être d'une aide certaine, mais ce n'est jamais cela qui nous permettra de nous en sortir, de traverser cette période de « famine ». A l'image du psaume 33 nous devons savoir en qui nous plaçons notre confiance : « Il n'est pas de roi que sauve une grande armée, ni de brave qu'une grande vigueur délivre, pour vaincre, le cheval n'est qu'illusion... Le Seigneur veille sur ceux qui le craignent... pour les garder en vie durant la famine. Notre aide et notre bouclier c'est Lui ».
J'aime ce psaume, j'aime beaucoup ce psaume qui nous rappelle combien nous devons réfléchir en qui, en quoi nous plaçons notre confiance. N'oublions jamais de toujours placer notre confiance dans le Seigneur ! Mais dire cela ne revient pas à se reposer, à croiser les bras et à tout attendre tranquillement du Seigneur, car la confiance est exigeante ; le pessimiste ne fait rien car il est découragé ; le nostalgique n'est pas plus efficace car son regard sur le passé et son appréciation du présent sont biaisés ; seule la confiance peut nous remettre en marche.
Le récent plan de redressement pour notre Eglise de Genève présenté au dernier Consistoire, qui prévoit une réduction sérieuse des dépenses et par conséquent du nombre de ministres, a résonné comme une alarme dans tous nos lieux d'Eglise et c'est peut-être bien qu'il soit ainsi compris comme une alarme. Mais une alarme quand elle retentit c'est souvent la panique, que ce soit dans un grand magasin... ou un bateau de croisière. Il y a beau y avoir des indications des lieux de rassemblement, quand l'alarme retentit pour de vrai, c'est la panique et tout le monde court dans tous les sens sans vraiment savoir où il va. Quand l'alarme retentit à la caserne des pompiers, chacun sait exactement ce qu'il doit faire et où il doit aller.
Aujourd'hui, alors que l'alarme retentit pour l'EPG, le risque est grand que nous courrions chacun dans tous les sens, sans vraiment savoir où nous allons. Nous devons nous retourner vers le Seigneur ; comme le dit si bien ce psaume 33. Et c'est précisément la démarche que nos frères et sœurs réunis à Montmirail sont en train d'accomplir pour dégager des priorités, une vision pour notre Eglise. Que l'Esprit Saint les accompagne et bénisse leur travail !
Mais ce recentrement sur l'essentiel qui doit se dégager de cette commission ne devra pas aller de pair avec un repli sur soi. Le défi est passionnant : comment en effet arriver à vivre ce recentrement sur l'essentiel non pas comme un repli, mais comme un tremplin. Car, pour notre Eglise, comme pour toute institution, le risque est grand quand elle est fragilisée de se replier sur elle-même. Jean-Claude Guillebaud a utilisé cette belle image quand il parle de la tentation de la citadelle ou du musée. Une citadelle que l'on a parfois envie de construire pour se protéger, pour s'arc-bouter sur nos manières de faire et de croire. Un musée pour sauvegarder nos beaux restes, nous ranger au rang du patrimoine. Alors pour éviter ce double écueil de la citadelle ou du musée, notre Eglise n'a pas d'autre choix que de se réinventer constamment. Cela ne devrait pas nous faire peur pour une Eglise qui se dit semper reformanda.
Nous pourrons le faire que si nous avons confiance, que si nous plaçons notre confiance dans le Seigneur, que si nous retrouvons une saine fierté d'appartenir à cette belle tradition réformée. Et nous avons de quoi être fiers de notre Eglise. Vous savez comme pasteur parfois on ne sait pas trop bien ce qui se passe dans les différents lieux de notre Eglise. Chaque fois que j'ai l'occasion d'entendre un de mes collègues parler de son ministère, je suis ravi de découvrir des trésors d'inventivité, d'enthousiasme, de témoignage. Il y a beaucoup de belles choses qui se vivent dans notre Eglise, une Eglise qui n'est de loin pas si tristounette qu'on veut bien la décrire. Mais c'est vrai qu'on ne sait pas toujours le dire et qu'il y a certainement un problème de langage. Il nous faut réapprendre à parler le langage de notre temps.
Regardons et encore une fois analysons avec lucidité nos faiblesses, mais regardons aussi tout ce que notre Eglsie apporte de beau. L'Eglise bien sûr n'est pas irremplaçable ni même indispensable, seul l'Evangile compte ! Mais, dans notre cité, notre Eglise a un rôle clef à jouer pour offrir ces espaces-temps où l'Evangile est offert à tous. J'en suis convaincu, notre manière de vivre l'Evangile, notre rigueur théologique, notre exigence éthique, notre profondeur spirituelle, notre attention aux plus petits, notre ouverture œcuménique, tout ce que nous pouvons faire à travers les ministères de notre Eglise est extrêmement précieux, voire irremplaçable à bien des égards.
Ne soyons certainement pas nostalgiques des temps passés, encore moins découragés, mais ne soyons pas non plus timides dans nos convictions. Il ne s'agit pas d'asséner des vérités à tout prix, mais d'être déjà convaincus nous-mêmes du trésor que nous portons. Soyez toujours prêts... soyons toujours prêts à justifier notre espérance devant ceux qui nous demandent compte nous dit la première épître de Pierre. Rendre compte de l'espérance qui nous porte, nous fait vivre et transforme notre ordinaire. Quand je vois le monde dans lequel nous vivons, la difficulté que l'humain a à apprendre des erreurs du passé, les catastrophes humanitaires et écologiques qu'on se prépare, si je n'avais pas cette espérance qui me fait vivre, alors oui j'aurais de quoi désespérer. C'est cette espérance qui me donne de la force, l'envie de me mettre au travail et la confiance que cela en vaut la peine. Je suis souvent frappé, comme pasteur, lorsque je suis appelé à rencontrer des personnes distantes de la foi combien elles sont reconnaissantes lorsque je peux leur dire avec des mots tout simples les convictions et l'espérance qui sont les miennes. Je crois que notre monde est en attente de paroles d'espérance. Nous les avons avec l'Evangile. Osons les dire !
Mais dire ses convictions, nous le savons tous, est un exercice difficile ; car trop souvent cela est associé à l'intolérance et c'est vrai que les exemples ne manquent pas autour de nous de croyants qui, sûrs de défendre la vraie cause du vrai Dieu, refusent tout dialogue et veulent imposer aux autres leur manière de croire, de vivre et de penser. N'oublions jamais que le plus parfait discours sur Dieu sera toujours à une très grande distance de Dieu lui-même. C'est bien ce que nous rappelle cette fête de l'Ascension, que nous venons de célébrer. Le Seigneur a pris de la hauteur, comme pour nous rappeler qu'on ne peut jamais mettre la main sur Lui. On ne peut jamais parler pour lui. Mais il nous revient de dire tout ce que nous recevons de Lui. Et tout ce que nous recevons de Lui ce n'est pas pour nous seulement, ce n'est pas réservé à quelques-uns, c'est offert à tous !
C'est une des choses qui me surprend le plus, comme croyant, c'est la peine que les gens ont à voir ce trésor qui est là juste là à côté d'eux ; ces paroles de vie et d'espérance qui donnent tellement de sens et de profondeur à l'existence. Comment se fait-il qu'ils puissent s'en priver, passer à côté ? Peut-être que nous ne sommes pas d'assez bons ambassadeurs (pour reprendre l'image de Paul, qui nous invite à devenir les ambassadeurs du Christ). Il y a beaucoup de préjugés à notre égard. Notre Eglise n'est certainement pas celle que les gens croient qu'elle est, mais cela n'est pas une excuse suffisante, certainement que nous n'arrivons pas à faire assez envie, nous ne sommes pas assez joyeux de l'Evangile que nous portons.
Etre témoins de l'espérance qui nous habite c'est d'abord faire envie aux autres. Je suis certain que pour la plupart d'entre nous si nous sommes ici ce matin, c'est parce qu'à un moment dans notre vie nous avons croisé quelqu’un qui nous a donné envie de croire. Rare sont ceux qui découvrent l'Evangile tout seuls. Le plus souvent nous découvrons le Christ à travers les rencontres que nous faisons. Alors nous devons absolument ne pas nous retrancher dans notre citadelle et encore moins devenir des pièces de musées, mais nous devons faire envie. « La joie de notre cœur vient de lui » nous rappelle le psaume. Il doit y avoir de la joie dans le fait de croire. Donner envie de croire, donner envie à ceux que nous rencontrons de chercher eux aussi dans ce trésor qu'est l'Evangile des raisons d’espérer. Et je pense que là, nous avons encore du pain sur la planche, beaucoup de pain sur la planche pour donner envie.
Quelles que soient les conclusions auxquelles va arriver la commission « Vision et priorité de la mission », les priorités qui seront dégagées pour notre Eglise ne devront en aucun cas être vécues comme un repli, comme une peau de chagrin, comme la marque d'un déclin inexorable. Nous avons des raisons d'être confiants, car pour reprendre cette belle parole du Psaume 33, la fidélité du Seigneur est sur nous comme notre espoir est en lui. Vivons en Eglise notre foi comme une célébration joyeuse de cette espérance qui nous fait vivre. Arrêtons d'êtres nostalgiques, cessons de geindre, retrouvons une saine fierté de porter l'Evangile au cœur de notre cité, donnons envie de croire et faisons notre cet encouragement que Jérémie adressait jadis à son peuple. Une parole qui résonne ce matin tout particulièrement à mes oreilles. « Ainsi parle le Seigneur : assez ! Plus de voix plaintive, plus de larmes dans les yeux (...) ton avenir est plein d'espérance – oracle du Seigneur »
Amen