Écouter le culte :
Avec quels mots aujourd’hui vous parlerai-je de la prière de repentance ? Quels mots qui pourraient éclairer, adoucir, guérir et consoler, mais surtout déculpabiliser ?
Au terme de ce chemin de la prière, je ne peux que m’arrêter et faire résonner ces paroles du Christ : « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecins mais les malades »
Car malgré tout l’amour, toutes les paroles de grâce que nous recevons dimanche après dimanche, malgré tout notre savoir sur le salut par la grâce, sur le pardon des péchés, malgré la mort du Christ en croix pour nous, il reste en l’homme une part toute chiffonnée, celle qui se tapit au plus profond de lui-même, une part qui reste définitivement hermétique à la liberté du pardon. Paul en parle comme de ces gémissements intérieurs. Oui, quoique l’on fasse, quoique que l’on prie, qu’elle que soit notre foi, aussi forte et belle soit-elle, il reste au tréfonds de notre âme, un cri, une plainte, un gémissement, une faiblesse, une déchirure profonde.
Pourquoi donc n’arrivons-nous pas à être libéré, sauvé, une fois pour toute de ce poids que l’on traîne, qui étouffe et colle à la peau ? Est-ce parce que nous ne croyons pas suffisamment en Dieu, en son fils Jésus-Christ ? Ou alors sommes-nous un peuple à la nuque raide, incapable de se laisser faire et guérir, mener, sauver entièrement ? Sommes-nous trop sauvages, trop récalcitrants, trop suffisants de nous-mêmes pour recevoir la grâce que Dieu offre en plénitude ? Qu’est-ce qui cloche en nous comme cela ? Qu’est-ce qui fait que nous sommes toujours quelque part des hommes et des femmes culpabilisés, éreintés par nos faiblesses et nos manques, remplis d’inconstance et d’errances.
Pendant des siècles et pour beaucoup, tout serait la faute d’Eve, éventuellement celle d’Adam aussi, la faute de ce péché originel qui nous a coupé de notre Père céleste, d’une vie en abondance et libérée, d’un paradis...
Savoir à qui l’on pourrait imputer notre malaise profond d’être humain est une chose, mais dans la réalité cela nous fait une belle jambe, comment vivre et bien vivre alors ici et maintenant ?
Jésus, en appelant Matthieu et en mangeant avec lui, nous offre un signe fort qu’il souhaite être présent pour les malades et les culpabilisés que nous sommes, pour les chiffonnés de l’intérieur que nous restons malgré tout. Et oui, il est bon de lire que le Christ est venu comme un médecin pour soigner notre être intérieur. C’est déjà un premier baume sur nos cœurs, mais cela n’enlève pas encore la croûte de toute blessure.
Paul, dans sa lettre aux Romains, explique que c’est normal de souffrir dans ce temps présent, que lorsque la gloire de Dieu sera manifeste et manifestée, alors finis les peines et les maux, finis les gémissements, enfin nous serons libérés et reliés pleinement à Dieu. Notre peine humaine serait alors un passage obligé pour recevoir une récompense plus tard, il n’y a plus qu’à espérer et attendre ?!
Cette vision-là de la foi possède quelque part la noblesse et la folie de la via dolorosa, des martyrs qui endurent les pires tourments car ils se savent élus pour le Royaume, mais je ne crois pas que cela peut aujourd’hui donner un sens aux gémissements que nous traversons dans nos vies. Cette vision-là est trop kamikaze, trop extrême et si peu bienveillante et miséricordieuse pour l’être humain. Je n’y crois pas, je ne peux y croire : où serait la justice dans tout cela ? Où serait l’amour du Père ?
Et à quoi bon alors, chaque dimanche, unir nos cœurs et nos âmes dans la prière de repentance si cela ne change rien ? A quoi bon recevoir les paroles de grâce si de toute façon ce n’est pas ici et maintenant que nous sommes allégés ? Ce ne serait que des mots vains et vides de sens...
Alors pourquoi prions-nous à haute voix nos faiblesses et nos manques, nos parts chiffonnées et nos oublis, notre peine à être des hommes et des femmes complets, unis, bien-portants, pourquoi dire notre péché, notre éloignement du Père, nos ruptures et nos faiblesses si cela ne sert à rien pour ici-bas, sur cette terre, pour ici dans nos vies ?
Si nous continuons à demander pardon, à demander pitié, à demander grâce et amour à Dieu, ce n’est pas pour entretenir notre longue et historique culpabilité réformée, mais parce qu’en mettant des mots sur nos maux nous faisons le pas de sortir de nous-mêmes ce qui peut pourrir à l’intérieur ; les paroles, les mots, les gestes de la prière de repentance permettent de déchiffonner un peu la boule de papier qui reste coincée au plus profond des ventres humains. Cette prière met de la distance entre le mal qui ronge et notre être intérieur. Parfois nous nous sentons coupables d’avoir commis tel ou tel acte, mais il y a aussi toutes les choses qui ne sont pas des fautes humaines mais simplement des difficultés, des nœuds qui arrivent sans que nous l’ayons cherché ou voulu. Paul lui-même dit qu’il ne se comprend pas parfois, qu’il ne comprend rien à ce qu’il fait, ce qu’il veut il ne le fait pas, ce qu’il hait il le fait...
Alors prier notre repentance, c’est humblement, timidement, humainement, se placer devant Dieu et lui dire : regarde-moi, vois mes malaises et mes maux, mes peines et mes fautes, mes faiblesses, mes gémissements et mes cris, et aime-moi malgré tout cela, aime-moi comme cela.
Et recevoir la grâce de Dieu, les paroles de pardon et d’amour de Dieu, c’est recevoir pour ici et maintenant une part d’allégement et de confiance : oui Dieu t’aime comme tu es. Oui il sait tout ce qui colle à ta peau, oui il sait tout ce qui fait mal et qui ronge, tout ce qui est malade et faible en toi. Oui et c’est avec tout cela qu’il t’aime comme son enfant. Ce n’est pas recevoir une grâce théorique, sans saveur ou pour plus tard au Royaume, mais recevoir un mot d’amour qui vient lisser les chiffonnés que nous sommes.
Avec quels mots aujourd’hui vous parlerai-je de la prière de repentance ? Quels mots qui ne minimisent pas, qui ne travestissent pas une fausse humilité, qui ne passent pas comme chat sur braise face à la douleur ? qui ne rendent pas la grâce de Dieu mièvre ou naïve ?
Je n’ai pas les mots, juste cette confiance : sur le chemin des bien-portants ou des malades que nous sommes, le Dieu de Jésus-Christ recueille nos mots et nos gémissements et sans cesse nous redit : « Je suis là, je sais, mon pardon rempli d’amour déjà t’a rejoint. »
Amen.