Qu'espérons-nous?

©Paroisse de Pully-Paudex

Écouter le culte :

Chères auditrices, chers auditeurs,

Chers amis en Christ notre Seigneur et frère,

Nous venons d’entendre ces textes bibliques, et si certains ont eu de la difficulté à chanter Laudate omnes gentes immédiatement après avoir entendu certaines des affirmations présentes dans ces lectures, surtout dans la troisième et dernière, je ne leur jetterai pas la pierre ! Il y a en effet quelque chose de saisissant, voire d’effrayant, dans la conclusion de la parabole de Matthieu : les uns, les réprouvés, sont dirigés vers une peine éternelle, alors que les autres, les justes, sont orientés vers une vie éternelle, vers la vie éternelle.

Toute une pastorale s’est développée autour de ce texte, dans l’iconographie chrétienne, jusqu’aux tympans de certaines des cathédrales de nos pays. Une pastorale du salut et de la confiance, mais sans doute aussi une pastorale qui consiste en une mise en garde, voire une pastorale de la peur (pour reprendre l’expression de l’historien Jean Delumeau). Mais cette parabole ne se réduit pas à cette image finale d’une séparation des boucs et des brebis. Méditons ensemble ce texte, car l’évangile de Matthieu nous dit ici plusieurs choses importantes.

Il nous dit : le salut ne consiste pas en la récitation même parfaite et sincère de credos ou de confessions de foi, ou en des actes religieux conçus comme des sacrifices ou une participation assidue aux célébrations ecclésiales. Le salut, c’est-à-dire la vie, ou la vraie vie, consiste dans le service d’autrui et tout particulièrement des plus petits.

C’est là la pointe de la parabole, qui est centrée sur l’effet de surprise des uns, qui ont servi autrui sans se rendre compte que, ce faisant, ils servaient le Christ lui-même, alors que d’autres, qui n’ont pas servi autrui, ne se sont pas rendu compte du fait qu’en ne se mettant pas au service de leur prochain, c’est le Christ lui-même qu’ils ne servaient pas.

Vivre selon l’Évangile passe inéluctablement par le service d’autrui, et en premier lieu des plus petits parmi nous. Il n’est pas possible de contourner cette relation à autrui et s’imaginer vivre une relation à Dieu indépendamment de la relation à autrui. On pourrait dire que la relation à Dieu, ou au Christ, se joue et se vérifie, elle s’éprouve dans la relation à l’autre, au prochain.

« Dis-moi comment tu te rapportes à autrui, et je te dirai si tu as commencé de comprendre ce que signifie vivre selon l’Évangile du Christ. »

Les deux groupes ont beau être séparés l’un de l’autre dans un geste de séparation qui a quelque chose de choquant, voire de scandaleux pour nous, ils ont quelque chose d’important en commun : ils ont en commun cette surprise d’avoir servi ou non le Christ, en servant ou non les plus petits qui se trouvaient à leurs côtés ou qu’ils sont allés (ou non) visiter.

Salut par les œuvres, direz-vous peut-être ! S’il suffit de faire de bonnes œuvres, de servir le prochain, alors nous pouvons en quelque sorte « garantir » notre salut en agissant de cette manière. Rien de plus facile !

Eh bien non, les choses ne sont pas si simples ! Car serons-nous jamais certains d’en avoir fait assez, d’avoir satisfait les attentes de Dieu en matière de service ? C’était la question qui tourmentait un jeune moine augustinien dans son couvent à Erfurt au début du 16e siècle ; ce jeune moine se prénommait Martin, son nom de famille était Luder ou Luther. De plus, sommes-nous vraiment enclins à servir notre prochain et les plus petits parmi nous ? Pas si sûr ! Ce qui nous met en route vers le service d’autrui, c’est cette force divine que les textes bibliques appellent le « souffle » de Dieu, son Esprit.

Mais est-ce à dire que certains ont reçu cet Esprit et donc servent autrui, alors que d’autres n’auraient pas reçu cet Esprit, et dans ce cas on ne peut pas vraiment leur reprocher de ne pas avoir servi leur prochain ? Ah, nous cherchons la logique de tout ça, nous remontons à partir de certaines données vers ce qu’elles semblent impliquer à nos yeux, et ce faisant nous nous posons des questions qui ne sont pas celles du texte, nous dévions par rapport à ce que le texte veut nous dire.

Mais, encore une fois, que veut-il nous dire, au juste ? Il veut nous dire que la manière dont nous vivons n’est pas anodine et que nous ne rencontrons pas Dieu simplement en allant au culte, en écoutant le culte à la radio. On ne rencontre pas Dieu simplement à travers la participation à des cérémonies religieuses, en méditant sa Parole ou en recevant la Cène ! Ces choses sont certes belles et bonnes, et la vie chrétienne consiste assurément en la participation à tout cela. Il ne peut pas être question de les sous-estimer ou de les mépriser. Mais ça n’est pas le tout de la vie chrétienne, car Dieu vient également à notre rencontre en quelque sorte « caché » dans le prochain. Quelque chose de décisif se dévoilera pour nous dans la manière dont nous nous rapportons à notre prochain, à commencer par celui qui ne se distingue pas par ses richesses, son succès, son pouvoir, son statut social. Et il y a fort à parier qu’il y aura des surprises, bonnes et mauvaises.

Il est bien clair que tout cela peut induire une crainte chez certains qui souhaitent prendre ce texte au sérieux. Dieu est-il vraiment ce juge qui sépare les brebis des boucs, conduisant les uns à la vie éternelle et les autres à la mort éternelle ?

Ce n’est pas une échappatoire que de rappeler que ce texte est essentiellement une exhortation à vivre en se souciant des petits, des prisonniers, des réfugiés, des malades, des cabossés de la vie. En identifiant ces petits avec le Christ lui-même, ce texte leur confère une dignité sans égale et nous dit, à sa manière, que les derniers seront les premiers.

La dimension exhortatoire de cette parabole est tellement évidente que l’on n’est guère surpris de trouver de nombreuses mises en image de ce texte, notamment sur des tympans de cathédrales. Le message est si clair qu’on peut comprendre comment il a servi de cadre dans certaines traditions chrétiennes, y compris dans la tradition réformée, pour présenter l’entier du message chrétien.

Mais – car il y a un « mais », et il est de taille – l’Évangile ne s’arrête pas à la vision dualiste de deux groupes aux destinées tout à fait antithétiques : la mort pour les uns, la vie pour les autres.

Il faut rappeler ces affirmations, dans le Nouveau Testament, qui annoncent un jugement qui concerne tous les humains, et qui les concerne non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen en vue du salut ou de la vie qui, là encore, concerne tous les humains et, plus largement encore, la création tout entière.

C’est la vision de l’apôtre Paul, que nous avons entendue : « Dieu tout en tous ». Non pas Dieu partiellement en certains, ou tout en certains et absent chez d’autres, mais bien: « Dieu tout en tous » !

Il est étrange de constater à quel point le christianisme s’est attaché à la vision de Matthieu, celle de la séparation des brebis et des boucs, sans forcément rapporter cette vision à l’espérance d’une vie que Dieu donne et redonne à toutes ses créatures, à sa création tout entière, en écho à l’alliance avec Noé où Dieu établit une relation de paix avec l’ensemble du créé et des êtres vivants.

Chercher à vivre en chrétien, c’est accepter la coexistence de deux aspects dans un seul et même message, à savoir : la manière dont nous vivons nous engage, a des conséquences, et nous devons toujours redécouvrir le fait que, dans notre prochain, surtout dans celui ou celle dont l’existence se caractérise par la précarité et une vie aux marges de la société, le Christ vient à notre rencontre ; ignorer ces êtres humains, c’est ignorer le Christ. Voilà le premier message, qui doit être entendu si nous ne voulons pas nous endormir sur le chemin de la foi. Voilà l’aiguillon qui nous réveille de notre torpeur et de toute tentative de fuir nos responsabilités.

Mais voici le second aspect, non moins important, que nous avons entendu dans le Psaume 23 au début de ce culte, puis dans le texte d’Ézéchiel, et également dans la lecture de l’épître de Paul aux Corinthiens : l’horizon de notre espérance n’est pas un double horizon, caractérisé par la mort éternelle d’une part et la vie éternelle de l’autre. L’horizon de notre espérance, c’est Dieu, qui sera tout en tous, Dieu dont l’amour brûlera nos égoïsmes, nos lâchetés.

Oui, la vision du jugement et de la séparation des boucs et des brebis peut alimenter une crainte, une peur chez certains (d’autres se détourneront de cette vision sans y prêter attention), mais rappelons-nous que cette vision est avant tout une exhortation au service, à l’attention et au soin vis-à-vis des plus petits. Ni l’égocentrisme ni l’indifférence ne doivent caractériser l’être humain, au bout du compte.

La foi chrétienne le dit clairement : le pardon de Dieu est plus grand que notre cœur. Notre cœur est un cœur d’être humain, fini, limité, ambigu. Le pardon de Dieu, par contre, étant donné qu’il est le pardon de Dieu, demeure éternellement et se renouvelle chaque matin.

Pouvons-nous vivre avec ce message à la fois d’exhortation, vis-à-vis de notre prochain, et de confiance en Dieu qui sera « tout en tous » ? Le message de confiance ne supprime pas l’exhortation que nous devons entendre et réentendre, et qui nous tire de notre somnolence, mais l’exhortation et la mise en garde ne doivent pas non plus voiler la conviction, la confiance encore plus profonde et vive que Dieu, s’il juge, est d’abord amour, que l’amour est bel et bien l’alpha et l’omega de la vie de Dieu, de la vie en Dieu. C’est là notre espérance et notre foi en tant que chrétiens. Et alors nous pouvons chanter et louer Dieu, lui rendre grâce pour sa promesse, une promesse non pas de mort, mais de vie, et de vie en abondance.

Le mot « amen », qui conclut la plupart des prédications, est un terme hébreu qui a la même racine que le mot « emounah », le mot hébreu pour dire « la foi ». « Amen » signifie donc : « voilà notre confiance », voilà le socle de notre existence de croyants, même si notre foi est petite et fragile, même si nous sommes mis à mal par des situations de vie très compliquées, comme cette pandémie qui bouleverse notre société et nos existences. Le pardon plus grand et plus profond que nos égarements et nos manquements : « voilà notre confiance », malgré tout !

Si nous étions dans une église noire américaine, nous entendrions peut-être « Can I get an amen ? » (Puis-je entendre un amen ?), et l’assemblée répondrait d’une seule voix : « Amen ! » Mais nous sommes des réformés suisses et donc un peu plus réservés… Je conclus néanmoins ce message, et je vous invite à le conclure avec moi en disant :

« Amen ! »

Les écrits bibliques présentent plusieurs visions de la «fin» et du «jugement». Parmi elle, la célèbre description du jugement dernier en Matthieu 25, où il est question d'un tri entre les bons et les mauvais, entre les brebis et les boucs. La tradition chrétienne a abondamment représenté cette parabole dans des fresques effrayantes. Mais qu’avons-nous fait des textes qui annoncent une réconciliation de la création tout entière avec Dieu?

Détails

Avec la participation de
Céline Michel, diacre, pour la liturgie. Thierry Burnand pour les lectures.
Orgue
Anne-Claude Burnand Mauri
Musique
Jules Neyrand au chant, Émilie Mory au violon baroque et Josquin Piguet au cornet à bouquin