Écouter le culte :
Accueillir la présence de Dieu dans nos vies, c’est sans doute l’une des plus importantes! Non pas que l’amour de Dieu dépende de cette décision, mais le fruit qu’il peut porter lui, en dépend.
Dans le récit, toutes et tous sont invité.e.s à accueillir Dieu dans leurs vies. Tous et toutes cherchent quelque chose, ai-je dit, même si ce « quelque chose » n’est pas très clair. Mais sait-on toujours ce qu’on cherche vraiment et comment le trouver ? Réfléchissez quelques instants aux décisions les plus importantes de votre vie – et parfois la décision de ne pas faire quelque chose est essentielle. Que cherchiez-vous ? Comment les avez-vous prises ?
Peut-être qu’il n’est pas nécessaire d’avoir toutes les réponses à ces questions pour se mettre en route. Regardez les mages : ils se sont mis en route pour une destination inconnue, sans très bien savoir pourquoi, ni comment y aller.
Les mages ce sont des sages, des savants. Ils cherchaient la sagesse et la connaissance, ils ont trouvé une étoile inconnue, une lumière qui n’obéissait pas à leurs schémas préétablis. Et ils sont partis, vers ils ne savaient où, pour suivre cette étoile étrange. L’étoile a été pour eux l’élément déclencheur de la mise en route, une lumière dans l’obscurité à laquelle ils choisissent de faire confiance, sans aucune garantie. La présence de l’étoile ne dépendait pas de leur confiance, mais leur mise en route, oui.
Les mages sont partis à plusieurs : trois, nous dit la tradition, plus la fameuse étoile. Cela nous rappelle que nous ne sommes jamais complètement seul.e.s sur nos routes, si longues et si confuses soient-elles. Il y a à côté de nous d’autres marcheurs, d’autres marcheuses, pour partager autour du feu le soir, pour se soutenir, pour rire, pour pleurer, pour traverser les moments de découragements comme les moments d’espérance, pour se retrouver après les temps de solitude. Et il y a la lumière, fut-ce celle d’une étoile, qui luit dans les moments les plus sombres, et surtout quand toutes les autres lumières chancellent.
En cours de route, les mages ont compris à un moment ce qu’ils cherchaient : le nouveau roi des juifs. En quoi ce roi des juifs les concerne-t-il, eux qui font partie d’un autre peuple, plus puissant sans doute car ce n’était vraiment pas difficile d’être plus puissant que ce petit peuple d’un recoin de la Méditerranée sous occupation romaine ?
Peut-être savent-ils confusément qu’il sera un roi important bien au-delà des frontières d’Israël, même s’ils ne peuvent pas imaginer de quelle façon. En se mettant en route, ils emmènent donc avec eux des présents précieux, de ces présents qu’on fait à un roi pour se concilier ses bonnes grâces, pensant sans doute qu’ils seront ainsi dans ses petits papiers.
Et une fois rendus proches de leur destination finale, ils mettent le cap sur Jérusalem, sans plus suivre l’étoile. Parce que si vous cherchez un roi, c’est quand même dans un palais au cœur de la capitale que vous avez le plus de chance de le trouver, donc à Jérusalem. En suivant cette logique, ils s’éloignent du chemin tracé par l’étoile, et ils sont obligés de demander leur chemin. Ils sont sans doute surpris de ce qu’ils trouvent à Jérusalem. Et comprennent qu’ils se sont trompés, mais ils ont maintenant besoin d’une aide extérieure, même douteuse, pour retrouver la bonne route. Ou croient en avoir besoin, car rien ne dit que l’étoile avait disparu, simplement ils ne la voyaient plus, ils ne la suivaient plus.
Une fois sortis de Jérusalem, en route vers Bethléem, ils retrouvent l’étoile, qui les mène dans une maison qui n’a rien d’un palais, devant un nouveau-né qui n’a rien d’un futur roi, et ses parents qui n’ont rien de puissants. Sont-ils surpris ? Déçus ? Ils auraient sans doute pu l’être, mais il semble que leur mésaventure à Jérusalem les a préparés à l’inattendu, en les obligeant à lâcher leurs idées préconçues sur ce que devraient être les choses et les gens, les rois et leurs palais.
Les mages, au moment où ils arrivent devant le nouveau-né, ont derrière eux toute cette quête, toute cette expérience, toutes ces erreurs, toutes ces chutes. Et ils disent oui à ce qu’ils voient : ce nouveau-né est celui que l’étoile a voulu leur montrer. Et ils se comportent devant lui, faible enfant ne disposant d’aucune puissance matérielle, comme devant un roi puissant. Ils se prosternent, ils lui laissent leurs riches présents. Et ce qui aurait pu être une manière de s’attirer les bonnes grâces d’un roi puissant devient alors un don gratuit, un don « pour rien », sans retour attendu. Leur don est du même ordre que celui de cette femme qui répandra plus tard un parfum de grande valeur sur les pieds de Jésus : un don gratuit, inspiré de l’amour pour Celui qui est l’amour.
Que cherchaient les mages ? Nous ne le savons pas exactement. Qu’ont-ils trouvé ? Un nouveau-né dans une mangeoire qui ne pouvait rien pour eux. Qu’en ont-ils retenu ? Nous ne le savons pas non plus. Mais nous savons qu’ils sont repartis changés par toute cette aventure : si à l’aller, chargés de présents coûteux, ils étaient tombés dans le piège de Jérusalem et d’Hérode, ils repartent, les mains vides, par un autre chemin, ayant contemplé la vulnérabilité de l’amour offert au monde, changés par cette rencontre, peut-être sans pouvoir vraiment dire en quoi consiste ce changement.
Les mots manquent parfois pour dire les bouleversements les plus intimes et les plus profonds. Dire oui à la présence surprenante de Dieu dans sa vie, cela vous déplace, cela vous change, et ce changement est à la fois immense, et difficilement dicible.
Si nous avons tous et toutes quelque chose des mages en nous, nous avons aussi tous et toutes un peu d’Hérode, même si c’est moins plaisant à reconnaître. Pourtant, au départ, les choses ne semblent pas se présenter si mal. Les mages arrivent au palais, jouant pour Hérode le rôle que l’étoile avait joué pour eux : annoncer l’inattendu, la survenue du divin dans le monde quotidien.
Mais là où les mages se sont mis en route, sans bien savoir comment ni pourquoi, mais en route, Hérode lui reste sur place. Il fait se déplacer les autres, et d’abord vers lui, en convoquant prêtres et scribes. Puis il fait se déplacer les mages vers Jésus pour se renseigner plus précisément. À première vue, cela semble plutôt une bonne idée de chercher à en savoir plus. N’est-ce que ce que nous faisons chaque dimanche ?
Si on y regarde d’un peu plus près, il y a en tout cas une première différence : nous venons nous-mêmes, ou nous écoutons nous-mêmes, nous n’envoyons pas quelqu’un d’autre se renseigner à notre place. Bien sûr, il peut arriver que, ne pouvant pas venir au culte, ou ne pouvant l’écouter, vous demandiez à quelqu’un qui y va de vous en dire quelque chose. Mais cette personne n’y va pas à votre place, elle ne fait pas la recherche et le chemin que vous ne voulez pas faire, elle ne vous épargne pas un effort : elle vous rend le service, par amitié, de vous partager ce qu’elle a reçu sur son chemin.
Ce que demande Hérode aux mages est différent : chercher à sa place qui est le Christ. C’est que son projet n’est pas de s’ouvrir à quelque chose d’inattendu, mais au contraire de garder le contrôle sur ce qui se passe. Se renseigner avec précision n’est d’ailleurs pas un projet innocent : ce souci de précision n’est pas – ou pas toujours – un souci d’amour, mais, souvent, un souci de contrôle.
Du temps où les restaurants étaient ouverts et les tables proches les unes des autres, j’ai surpris un jour une conversation entre deux amies. L’une racontait à l’autre qu’il était en train de se passer quelque chose d’inespéré avec un certain Thomas, une relation faite de confiance et d’évidence. Et son amie de lui répondre : « C’est magnifique, Thomas est quelqu’un de bien. Et tu sais, il a un secret… » À son ton, elle brûlait de révéler ce secret, mais son amie l’a interrompue : « Je ne veux pas connaître ce secret maintenant. Si Thomas veut me le partager, c’est à lui de le décider. » Par ces quelques mots, cette femme venait de renoncer à « se renseigner avec précision » sur Thomas par l’intermédiaire d’une tierce personne, pour laisser place à un face-à-face avec lui basé sur la confiance qui laisse place au mystère de l’autre. Ce n’est pas de la naïveté, c’est faire le choix de la relation personnelle et de la confiance.
Dans un autre registre, c’est la même posture qu’adoptent mes collègues aumôniers et aumônières : ils et elles ne savent pas pourquoi cette personne qui est là est hospitalisée ou emprisonnée. À cette personne la liberté de se dire, en confiance, libre de toute étiquette enfermante, ce qui la surprendra peut-être elle-même.
Hérode, lui, n’est précisément pas dans cette démarche : il veut se renseigner avec précision, et pas pour mieux savoir quel présent offrir ou tout autre but honorable, mais pour mieux se défendre contre ce qu’il perçoit comme une menace.
Hérode dans cette histoire est le prototype de l’humain qui vit sans Dieu, de l’humain qui veut assurer lui-même sa puissance, par la violence et le contrôle. Au moment où les mages arrivent à Jérusalem, en son palais, il découvre tout à coup que les Écritures ne sont pas juste un truc comme ça, pour occuper les esprits faibles, ou pour parler d’un passé révolu, mais une Parole qui le concerne aujourd’hui.
Puisque des gens sans doute assez riches et puissants dans leur pays ont lu, eux aussi, des signes, qui disent la même chose que ce que le peuple murmure et espère, cela donne une autre dimension à ces vieilles écritures un peu poussiéreuses, sans plus grand sens. Hérode sait bien pourtant de quoi il s’agit ; preuve en est qu’il ne convoque pas des généalogistes, mais des spécialistes des Écritures et des rites, non pas pour confirmer la venue d’un roi – pour cela, la venue des mages avec leur mode de connaissance autre suffit – mais pour identifier le lieu de sa naissance.
Il y avait dans le judaïsme de l’époque, une grande diversité de courants et de croyances, certes, mais il est quand même surprenant qu’Hérode doive faire appel à une armée de prêtres et de scribes pour trouver cette réponse relativement simple. La mention qu’Hérode et tout Jérusalem sont bouleversés, qu’il faut chercher longtemps la réponse, et en s’y mettant à beaucoup de monde, souligne à quel point Hérode s’est éloigné de Dieu et de sa Parole de vie, n’y voyant que rites humains permettant d’asseoir son pouvoir sur les autres.
Car ce qui motive Hérode, c’est la peur de perdre son pouvoir, la peur de perdre sa place. Nous avons tous et toutes un peu de Hérode en nous. Une part de nous a peur, en faisant de la place à Dieu, de perdre la sienne, peur de devoir faire confiance alors qu’on a été si souvent trahi et qu’on a soi-même trahi, peur d’être aimé, alors qu’on se sait si peu aimable, peur d’admettre qu’on ne s’est pas fait tout seul, qu’on a besoin des autres. Une part qui voudrait se renseigner avec précision pour mieux circonvenir ce qui présente un risque de vulnérabilité.
Nous avons en nous des mages et aussi d’Hérode. Et Jésus pose son regard sur les mages comme sur Hérode : il est là pour les uns comme pour l’autre, son amour offert à l’un et aux autres, à chacune et à chacun, et dans toutes nos dimensions.
Car la promesse de l’amour de Dieu est celle-là : son amour est gratuit, il ne présuppose rien chez nous, mais il nous fait – si nous osons le voyage et ses dangers – grandir et porter du fruit. Il reste vivant face à la puissance de mort déployée par Hérode, il reste vivant et il brille quelles que soient les épreuves endurées, quelle que soit l’épaisseur de notre carapace de peur. Car rien ne peut nous séparer de cet amour manifesté en Christ, de sa naissance dans une pauvre étoile à sa mort sur une croix et à sa résurrection. Il est insaisissable, toujours inattendu. Il brille au fond de toutes nos impasses, nous ouvre les bras dans toutes nos chutes.
Amen.