Écouter le culte :
Le livre de Jonas est fait de renoncements, de contradictions, et de retournements ; comme nos existences en somme. Fondamentalement nous sommes des êtres en itinérance, vivant d’itinéraire et d’errance.
Pour Jonas, l’itinéraire est donné au moment où Dieu l’envoie à Ninive. Le texte nous dit que le mal « monte » vers Dieu depuis Ninive. Jonas, lui, descend à Jaffa. Il ne se sent absolument pas concerné par les malheurs d’une population aussi lointaine. C’est alors que commence son errance.
L’itinéraire, ce serait d’accepter la mission que Dieu lui confie : partir vers l’est pour essayer de faire entendre raison aux habitants de Ninive. L’errance de Jonas débute quand il fait le choix de partir vers l’ouest à Tharsis, la ville où, selon Esaïe, personne n’a jamais entendu parler de Dieu !
L’itinérance de Jonas penche radicalement du côté de l’errance quand il décide de tourner le dos à Dieu. Pour lui comme pour chacun d’entre nous, il est toujours bon de se demander à quel Dieu nous tournons le dos quand nous refusons de lui faire une place dans notre vie.
Jonas, lui, ne supporte pas ce Dieu qui ne rend pas la justice comme il le devrait, qui laisse le malheur toucher de la même manière l’innocent et le méchant, qui ne récompense pas celui qui mène une vie droite et ne punit pas les autres comme ils le méritent. C’est à ce Dieu-là que Jonas tourne le dos !
Et nous, chers amis, à quel Dieu tournons-nous le dos, et quel Dieu aimerions-nous rencontrer ? Voilà une question que nous pouvons nous poser en suivant Jonas dans son aventure.
En ce qui me concerne, je suis convaincu que la première bonne nouvelle pour laquelle nous pourrions nous réjouir ce matin, c’est que Dieu ne nous ressemble pas ! Il ne ressemble pas au portrait-robot de nos désirs et de nos fantasmes.
Accueillons celui qui se donne à connaitre notamment à travers ces deux premiers éléments :
Le premier, c’est que Dieu est sensible à la souffrance des uns et des autres, il cherche à rejoindre chacun, chacune. Il se fait proche, relève, accompagne, remet en route. Ici donc il entend l’appel de ceux qui n’en peuvent plus. Qu’importe la religion, le style de vie, l’opinion de ces personnes ; au bout du bout, ce sont des enfants, des femmes et des hommes qui ont besoin de secours. Dieu les considère comme ses enfants chéris ! C’est la seule chose qui compte.
Et il y a ce deuxième point : Dieu agit dans le monde d’aujourd’hui comme il l’a fait hier en faveur de Ninive. Il fait confiance en des personnes aussi complexes que Jonas pour parler et agir en son nom. C’est dire comme le premier acte de foi est toujours celui de Dieu ! Il pense que nous allons prendre soin en son nom, dénoncer l’injustice en son nom, soulager les souffrances et briser les solitudes en son nom, sauvegarder la création en son nom !
Il se trouve que Jonas n’est pas du tout convaincu par ce Dieu qui cherche à le recruter. Il décide donc de lui tourner le dos.
Mais tourner le dos au Dieu dont nous parle Jésus c’est tourner le dos à la vie, à la source de vie, à la puissance qui nous protège du chaos toujours menaçant. Tourner le dos à Dieu, c’est tourner le dos à cette énergie qui traverse le monde et qui s’est pleinement manifestée au jour de la résurrection du Christ.
C’est ainsi que la fuite de Jonas est décrite, comme une succession de descentes qui finalement se termine en chute libre. Au départ il pense maitriser la situation, mais en réalité il dérape, glisse et sombre. Sa fuite est physique bien sûr, mais elle est surtout spirituelle, et psychique, car tout se tient toujours dans ce genre de situation.
Jonas descend donc à Jaffa, le célèbre port de commerce. De là il descend dans la cale du bateau, puis il tombe dans une mystérieuse torpeur avant d’être jeté au fond de la mer pour terminer sa course avalé par un poisson ! Le voilà au séjour des morts !
C’est là que s’opère le renversement que nous connaissons tous. Quand on touche le fond du fond, on cesse de se détourner de Dieu. Au contraire, on se tient devant lui avec notre colère, notre révolte, nos larmes, en espérant qu’une oreille quelque part entende notre désespoir. Croyant affiché ou athée confirmé, nous nous tenons tous au même endroit quand le malheur nous tombe dessus.
Ici l’humour de l’auteur de ce pamphlet place Jonas exactement au même endroit que les hommes et les femmes pour lesquels il n’avait aucune compassion. Il le place dans la situation de celui qui crie à Dieu pour qu’il vienne à son secours. Il crie à Dieu pour qu’il envoie n’importe qui, du moment que cette présence soit synonyme de salut !
Oui, Jonas pouvait tenir de bons raisonnements selon de bons principes tant qu’il était en pleine forme. Mais au cœur même du gouffre qui l’aspire, il n’y a plus qu’une seule réalité qui tienne : Seigneur sauve moi ! Par moi-même je ne peux rien faire !
En réalité c’est la seule chose qui importe au Dieu auquel je crois.
La seule réalité importante c’est la vie, et c’est pour cela qu’on l’appelle le Sauveur. Mais oui, Sauveur, parce que c’est le Sauveur qui chaque jour envoie une armée de sauveteurs pour saisir la main de celui qui se noie !
« Quand j'étais dans la détresse j'ai crié vers toi, Seigneur, et tu m'as répondu ; du gouffre de la mort j'ai appelé au secours et tu m'as entendu. »
Jonas est au fond du trou et quand on se retrouve là, et je pense que beaucoup d’entre vous savez exactement de quoi il s’agit, quand on est au fond du trou on ne sait plus rien ! Plus rien n’a de sens, aucun mot, aucun discours, aucun dogme ne soulage de la détresse ressentie.
La question qui me vient à l’esprit est alors celle-ci : que reste-il quand on a tout perdu ? Que reste-il quand on a perdu la santé, un être cher, le courage de se lever le matin, le goût de l’engagement et des relations ? Oui, que reste-t-il ?
En me posant cette question, plusieurs témoins anciens se sont présentés à moi :
Le premier a plus de 3000 ans et s’appelle Elie. Après avoir instrumentalisé Dieu pour écraser ceux qui ne pensaient pas comme lui, Elie se rend compte que la peur suscite la soumission, mais en aucun cas l’adhésion. Il se rend donc compte de son erreur. Complètement déprimé, il prend alors un chemin solitaire qui le conduit, comme c’est toujours le cas, au désespoir. Plus rien ne le rattache à la vie, plus rien n’a de sens, l’avenir semble bouché. Il en appelle à la mort.
C’est au bout du bout de sa vie qu’il réalise qu’à côté de lui se tient le Dieu de la consolation et du pardon, le Dieu qui ouvre un chemin là où tout semblait fermé et suscite le courage d’être là où le renoncement semblait devoir l’emporter.
Oui, il discerne la présence de Dieu. Mais celui qui raconte cette expérience prendra bien soin de préciser que Dieu n’est présent ni dans la puissance, ni dans la gloire, ni dans une évidence incontestable. La présence de Dieu qui va donner à Elie la force de se relever et de repartir est à discerner dans le murmure du vent, dans le souffle qui passe, dans la brise du soir. Autant dire que cela relève de l’indicible, de l’insaisissable ; et pourtant, pour Elie, cela a tout changé.
Le deuxième témoin est le fils prodigue. Ce jeune homme est parti avec la moitié de l’héritage de son père. Il n’a vécu que par l’argent. Tout ce qu’il a pu faire il le doit à son argent. Malheureusement pour lui, il perd tout. Comme il n’a plus de sous, il n’a plus d’ami. Il n’a plus rien à manger, il perd même toute dignité puisque le texte nous dit que le plus méprisable des animaux, le cochon, a plus de valeur que lui !
Il semble avoir tout perdu ; tout sauf la mémoire. Oui, il se souvient de la bonté et de la générosité de son père et subitement, c’est comme s’il était présent à ses côtés. Une présence en creux, une présence forte comme peut l’être la présence d’un absent, mais une présence réelle. Une présence suffisamment concrète pour le remettre en marche lui aussi !
Alors, que reste-il quand on a tout perdu ? Mais il reste « l’Etre qui donne d’être » ! Il reste celui qui est la source de la vie, le fondement de l’existence. Il reste un amour impossible à décourager.
Dieu n’est pas l’inaccessible, il réside dans la profondeur de notre être et c’est lui qu’il est possible de redécouvrir quand les illusions s’effritent, quand le limon déposé sur notre existence est balayé par la colère des flots. C’est lui, la vie persistante, l’imprenable courage d’être.
Jonas, comme le fils prodigue, se souvient des temps anciens et subitement il n’est plus absorbé par le malheur, mais sa vie est replacée dans la perspective de la fidélité de Dieu. Il se tourne vers son créateur et c’est comme si une sortie de secours apparaissait, c’est comme si son tombeau s’ouvrait et qu’il remontait avec le Christ de la mort à la vie.
Car il s’agit bien de cela ! La meilleure réponse à la question que je me pose : « Que reste-t-il quand on a tout perdu ? » est à rechercher en Christ.
Lui aussi a tout perdu, même la vie. Oui, il est mort de la pire des manières qui soit : trahi par ses amis, rejeté par les siens, méprisé, cloué au bois. Il va en enfer avec tous les maudits, retrouve Jonas dans le séjour des morts, et ce faisant, il nous dit qu’il n’y a pas de situation où il ne pourrait pas nous rejoindre, pas de solitude, pas de désespoir, pas de gouffre où il ne saurait être présent. Quand je traverserai la vallée de l’ombre de la mort, tu es encore là, Seigneur !
Christ est la réponse ultime au cri de souffrance qui monte vers Dieu de votre maison, de votre EMS, de votre chambre d’hôpital. Il vient vers chacun d’entre nous pour nous aider à remonter la pente, à sortir de nos bourbiers, il vient nous arracher à la mort !
Christ est le vivant qui donne vie, le ressuscité ressuscitant, l’être qui donne d’être.
Il est certainement juste de parler de nouvelle naissance puisque Jonas sort des entrailles de la mer. Il passe de la mort à la vie après une mise à nu radicale ! Il aura éprouvé la solidité ou la fragilité de ce qu’il considérait comme les piliers de son existence.
Qu’est ce qui tient au temps des grands bouleversements ?
Qu’est ce qui permet de tenir debout ?
Que reste-t-il quand on a tout perdu ?
Il reste une présence, il reste la source, il reste l’accueil inconditionnel de Dieu, il reste cet amour inoxydable, cet amour premier.
Jonas va renaitre à la vie par la puissance de ce Dieu qui jamais ne se décourage, qui jamais ne se lasse. Fort de cette expérience il pourra réentendre l’appel de Dieu comme nous pouvons nous aussi l’entendre si nous dressons l’oreille : « Lève-toi et va à Ninive, va vers tes frères et tes sœurs, va vers mes fils et mes filles et sois mes paroles, sois mon attention, sois ma solidarité, sois leur sauveteur ! »