
Écouter le culte :
Heureux, vous, frères et sœurs qui tendez l’oreille aux enseignements de Jésus : vous recevrez des paroles de vie !
Chère Communauté, ici présente et en communion avec nous à travers les ondes, il était commun dans l’antiquité – que ce soit en Égypte, en Grèce ou en Palestine – de commencer un discours avec des béatitudes.
Les béatitudes résument de manière aussi poétique que directe l’enseignement du discours à suivre. Elles ressemblent un peu à des règles de vie, des proverbes faciles à mémoriser. Dans la Bible, les béatitudes appellent à suivre les commandements de la Loi juive, la Tora. Et le plus souvent, elles sont prononcées à la troisième personne. Comme nous l’avons lu ensemble au début de ce culte : « Heureux celui qui ne suit pas le conseil des méchants… » (Psaume 1).
La foule autour de Jésus, dans l’évangile de Luc, n’était donc sans doute pas surprise de l’entendre commencer son discours dans la plaine avec des béatitudes. Les béatitudes de Jésus sont recueillies dans deux évangiles : l’évangile de Matthieu, dans le très fameux sermon sur la montagne, et l’évangile de Luc, dans le bien moins connu discours dans la plaine.
Il y a des bonnes raisons pour lesquelles la version de Matthieu est devenue beaucoup plus connue que celle de Luc, que nous avons entendue aujourd’hui. Et toutefois, la version de Luc nous présente un trésor qu’il vaut la peine de découvrir.
Des quatre évangiles, celui attribué à Luc correspond peut-être le plus à la manière moderne et, entre guillemets, « scientifique » de penser. Son but déclaré est de retracer la chronologie historique du ministère et de la passion de Jésus ainsi que de la naissance de l’Église primitive dans son deuxième volume, les Actes des Apôtres. L’évangile de Luc insiste sur l’enracinement du mouvement de Jésus dans les prophéties de l’Ancien Testament, et sur le fait que la foi en Christ mène à des actions de solidarité sociale tangibles et visibles.
L’auteur de l’évangile était sans doute riche et bien éduqué, un citoyen du monde antique qui écrivait pour une communauté aisée et soucieuse de s’engager pour les défavorisés. Voilà pourquoi il est beaucoup question de riches et de pauvres dans cet évangile. Selon la tradition, l’auteur de l’évangile était médecin. Même si cela ne peut pas être vérifié, son intérêt à la guérison transparaît dans le texte : guérison corporelle, spirituelle et sociale du peuple entier de Dieu.
Et une dernière chose est particulière à cet évangile : son sens de l’urgence, son insistance que la royauté du Christ se fait voir maintenant, et que maintenant est le moment où se dévoile son œuvre de grâce et de rédemption pour le peuple. Maintenant aussi se distinguent ceux qui le suivent et ceux qui le persécutent – et les conséquences de leurs actions s’inscrivent dans leur destin. Le temps présent est précieux, car il pointe vers l’éternité.
L’évangile de Luc veut nous réveiller de notre torpeur et nous mettre en mouvement à la suite du Christ. Voilà pourquoi sa lecture est inconfortable : elle nous interpelle et nous questionne sur notre réponse à la venue du Messie dans le monde. Elle peut sembler moralisante, alors que son but premier est de nous inviter à faire entièrement confiance au Christ, car toute autre sécurité, toute autre richesse sont trompeuses et nous conduisent loin de la joie éternelle que nous promet le chemin de la foi.
Les béatitudes de Luc exemplifient tous ces aspects qui caractérisent l’évangile en entier. Luc place la foule qui vient entourer Jésus et ses disciples au pied de la montagne où Jésus s’était retiré pour prier. Comme Moïse descendit du mont Sinaï avec les tablettes des dix commandements, Jésus descend de la montagne pour tenir son discours « en un endroit plat ». Le cadre du discours nous place donc avec le peuple de Dieu dans le désert, à l’écoute de la Loi de Dieu.
Jésus prononce quatre béatitudes et quatre malédictions qui leur font miroir, non dans leur forme classique en « heureux celui, heureux celles et ceux… », mais à la deuxième personne. Il ne prononce donc pas un enseignement, un sermon, mais un discours – son discours inaugural en tant que roi suprême.
Jésus s’adresse directement et sans détour à chacune et chacun de ses auditeurs comme à son peuple : « Heureux, vous qui êtes pauvres, vous qui avez faim, vous qui pleurez maintenant ! » Ces signes de manque tangibles et visibles deviennent pour Luc des signes de la proximité de Dieu : les pauvres reçoivent le règne de Dieu, les affamés seront nourris, et ceux qui pleurent maintenant riront. Et pour tous ceux qui sont rejetés et insultés à cause de leur fidélité au Fils de l’homme, une récompense éternelle est promise.
Le moment du « maintenant » est voué à disparaître ; l’éternité est à portée de main. Cette bonne nouvelle pour ceux qui vivent dans le manque aujourd’hui inquiète ceux qui se replient sur leurs richesses pour se sentir en sécurité. La solution à cette inquiétude n’est pas de toujours mieux se protéger et défendre ses possessions temporelles, mais d’y percevoir un signe de la proximité du Dieu éternel. Dieu est proche quand nous nous acharnons pour notre travail, pour le bien de nos familles, pour tous ces projets fragiles d’assurance de notre avenir. Dieu est proche quand nous nous égarons, quand nous tombons malades, quand les conflits semblent insurmontables. Que nous le cherchions ou non, Dieu est proche.
Les difficultés que nous rencontrons dans nos vies peuvent nous aider à trouver notre véritable réconfort, notre source de vie en Dieu. En sortant de notre zone de (faux) confort, nous nous approchons du lieu où la guérison et la plénitude de Dieu nous sont promises : là où nous sommes reconnus dans notre intimité, au-delà des rôles que nous jouons en société ; là où nous pouvons lâcher ce qui nous crispait pour nous redresser et retrouver une respiration profonde ; là où nous découvrons dans une situation difficile des nouvelles manières pour avancer.
En nous confiant à Dieu, en plaçant notre assurance en lui, nous pouvons percevoir notre souffrance comme un désir profond de voir le monde illuminé de sa présence. En effet, bien plus que de nous coincer dans une culpabilité morale, les béatitudes de Luc viennent nous consoler dans nos tristesses, nous combler dans notre manque.
Là où nous ressentons que quelque chose devrait changer dans notre vie et dans le monde, là nous sommes ouverts pour nous mettre en chemin avec le Fils de l’homme – et vers une humanité qui se réunit dans la plaine pour être guérie par la parole de Dieu.
Amen.