Ce Dieu de l'intérieur, à nos côtés

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Chers paroissiens et vous tous qui suivez ce culte à la radio,

Il y a 15 jours, Cosette Odier nous disait : "C'est dans la reconnaissance des limites et de la fragilité de notre humanité, c'est au cœur de la réalité et non en la surplombant, que s'ouvre la porte qui mène à la vie." Et cette parole était adressée très spécialement à tous ceux et celles qui sont aux prises avec la maladie.
Dimanche dernier, Jean-Philippe Rouge relevait que le chapitre 9 de l'évangile de Luc présente une succession de temps forts et de temps faibles, nous fait passer sans cesse de sommets en gouffres. Ce régime de douche écossaise venant nous dire que "réussir sa vie", en régime chrétien, n'a guère de rapport avec ce qu'on nomme habituellement performances, succès, rendement, qu'on récompense par des médailles ou de très hauts salaires. Cette parole pouvant s'adresser à chacun, à chacune, car nous sommes tous imprégnés de cette mentalité qui veut faire de nous des gagneurs. Et qui correspond aussi à des besoins très profonds inscrits au coeur de notre être.

Ce matin, eh bien ce matin, je vous invite à vous tourner du côté du monde, du côté du monde tel qu'il va, et souvent tel qu'il ne va pas. Vous lisez les journaux. Vous regardez, peut-être régulièrement, le 19:30, qui s'appelait autrefois le TJ soir. Vous apprenez que Franziska Rochat-Moser a été victime d'un grave accident de montagne. Vous apprenez qu'une nouvelle étape a été franchie dans l'escalade de la violence et du défi mutuel entre Yasser Arafat et Ariel Sharon. On vous parle de poulet aux antibiotiques. Vous lisez que le Lausanne-Sports est en perdition. On vous montre des images. Plus souvent ce qui ne va pas que ce qui va bien. L'être humain semble ainsi fait que son attention est plus facilement retenue par le malheur que par le bonheur, par les scandales que par des actions constructives.
Il arrive alors qu'un sentiment de lassitude et d'impuissance nous accable : qu'est-ce qu'on y peut ? Tout ça est trop grand, trop loin, trop dur, trop compliqué ! Ou bien ce sont des sentiments d'injustice et de résignation qui nous tombent dessus : c'est scandaleux, mais mon indignation n'y changera rien ! Le monde est comme ça, a toujours été comme ça; sera toujours comme ça !

Et puis, à tout cela vient souvent s'ajouter une question : Et Dieu là-dedans ? Qu'est-ce qu'il fait, Dieu ? Qu'est-ce qu'il dit ? Où est-ce qu'il est ? On peut la prononcer un peu sur tous les tons, cette question ! Timidement, parce qu'après tout il s'agit de Dieu, plus grand que nous. Avec espoir, avec une sorte d'attente : Dieu, est-ce que tu ne pourrais pas quand même faire que... ? Est-ce que tu ne pourrais pas arranger, au moins un petit peu, ce monde mal fichu ? C'est ton travail de Dieu ! Tu es là pour ça ! Avec découragement ou résignation : bien sûr, Dieu devrait, pourrait, théoriquement, mais on sait bien qu'il ne le fait pas. Dans ce domaine, il n'y a rien à attendre de Dieu. Avec agressivité : Mais que fais-tu, Dieu ? Qu'attends-tu pour agir, te révéler, montrer qui tu es ?
Ces questions traversent tous les âges. Elles habitent les psaumes. Aujourd'hui, je les entends aussi bien chez des adolescents qui démarrent dans la vie, que chez des vieillards qui ont l'essentiel de leur vie derrière eux. Aussi bien chez des chrétiens affirmés que chez des gens pas très clairs avec leur foi. Aussi bien chez des gens qui ont connu le malheur de tout près que chez des gens plutôt épargnés.
Dieu et le mal. Dieu et le poids du monde. Et nous, là au milieu comme ces questions habitent nos cœurs et nos esprits !

C'est là que l'Evangile de ce jour nous tire par la manche et vient nous faire signe. Plus spécialement, et une troisième fois, cette deuxième annonce de la Passion, telle que Luc nous l'a transmise:
"Ecoutez bien ce que je vais vous dire", dit Jésus "le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes." Et Luc commente : « Mais ils ne comprenaient pas cette parole; elle leur restait voilée pour qu'ils n'en saisissent pas le sens; et ils craignaient de l'interroger sur ce point. »
Jésus commence par indiquer clairement toute l'importance de ce qui se joue : "Ecoutez bien !" En une phrase il dit tout : "Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes. "
"Livré": le mot dit bien sûr d'abord la trahison, l'arrestation, la crucifixion. Mais il dit aussi Noël, l'incarnation: Dieu au ras du sol humain, bébé dans la crèche, accueilli dans une famille humaine, tout de suite menacé. Il dit globalement toute l'humanité de Jésus, Jésus qui aura faim et soif; qui rira et qui pleurera, comme vous et moi; qui aura des amis et des ennemis, des moments de grand bonheur, d'autres de détresse profonde. Jésus qui aura peur. Jésus qui s'interrogera.

Dieu alors ? Eh bien Dieu, désormais, n'est pas dehors, mais dedans. Non pas en haut, mais en bas. Non pas au-dessus, mais au coeur. Non pas puissant et triomphant, mais justement "livré": c'est-à-dire faible, mais solidaire, vaincu, mais si proche !
Entendez-vous, en écho, le silence des disciples? Ils ne comprennent pas, mais ils n'osent poser aucune question à leur maître. C'est dire qu'ils ont quand même compris quelque chose ! Mais le secret à moitié dévoilé est trop gros, trop lourd ! Ils sentent que quelque chose bascule là, quelque chose d'essentiel, mais ils ont peur de comprendre. Un grand malaise les envahit. Ce malaise contient déjà en germe leur fuite quand Jésus sera arrêté, le reniement de Pierre, leur peur des persécutions : "Comment, nous ne sommes donc pas disciples d'un vainqueur, d'un fort, d'un glorieux ? Alors pouce ! il y a erreur, malentendu ! On ne joue plus."
Ce secret n'était pourtant pas tout à fait nouveau ! On en trouvait déjà des traces chez les prophètes. Vous avez entendu, tout à l'heure : "Voici mon serviteur... Il ne criera pas. Il n'élèvera pas la voix. Il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur." Et pourtant, oui : "Il fera paraître le jugement ! J'ai mis mon esprit sur lui ! Il ne ploiera pas ! "
Mais par un chemin tout à fait nouveau et original de miséricorde, de douceur, de fragilité, de solidarité avec le faible. Dites, frères et sœurs, si Dieu ne se montre pas nouveau et original; si Dieu ne fraie pas des voies inconnues, qui le fera ? d'où nous viendra la vie ? d'où nous viendrons les solutions que nous n'arrivons pas à inventer nous-mêmes ?

Nous sommes donc invités par l'Évangile de la Passion à une sorte de conversion. Elle est sans cesse à reprendre, parce que nos vieux schémas sont bien incrustés en nous, toute la vie comme elle va, jour après jour, creuse un peu plus les sillons du vieux monde, celui qui a la puissance et la gloire pour critères.
Nous sommes invités à nous convertir au Dieu de Jésus-Christ, qui nous prend à revers, qui au lieu de lever d'en haut nos fragilités, vient les habiter. Au lieu de creuser un trou de l'extérieur de la prison, au bulldozer, il s'emprisonne avec nous pour nous montrer un autre chemin.
Ainsi, pour ceux qui aiment la musique, je dirai que Dieu n'est pas dans les tutti du grand orchestre symphonique. Il est un peu en marge. Pas de coup de timbale. Juste quelques notes de flûte ou de hautbois. Mais elles changent tout.
Pour ceux qui aiment le spectacle, je dirais que Dieu n'est pas sur le devant de la scène, vedette sur qui tous les projecteurs sont braqués, et les spectateurs ne voient que lui. Dieu est quelque part dans les coulisses. Accessoiriste. Ou bien il a juste changé un éclairage. Personne n'a remarqué d'où c'est venu, mais c'est toute l'atmosphère qui est autre. Ou bien même il est dans le public, il rit et il pleure avec nous tous.
Ainsi nos questions de tout à l'heure sont à la fois légitimes et mal posées : nous avons raison d'attendre Dieu, de l'interpeller, mais voilà que le nez en l'air, nous regardons le ciel alors qu'il est à nos côtés.
Ainsi nos jeux classiques sont caducs, périmés. Tenez, par exemple, jouer à qui est le plus grand, le plus fort, le plus riche ou le plus séduisant ou le plus performant (cochez ce qui convient !), voilà un jeu très prisé qui est complètement périmé. C'est un jeu d'avant Jésus. Les chrétiens, qui sont ici à la pointe du progrès, ne sont plus intéressés par ce jeu. Oh ! ils n'ont aucun mépris pour ceux qui y jouent encore, car il ne faudrait pas grand chose pour que leur vieille passion se réveille. Mais ils savent que ce jeu fait partie du vieux monde qui s'en va, pas du monde qui est né au matin de Pâques.
Pâques ? Oui, Pâques ! Car ce Jésus "livré aux mains des hommes", crucifié, fragile, blessé, proche, solidaire, c'est bien lui que Dieu a ressuscité. Et c'est bien en étant "livré" qu'il nous délivre, c'est bien la vie qu'il nous donne en mourant. Pas comme un super homme venu d'ailleurs, du dehors, comme un extra-terrestre. Mais comme un guérisseur d'autant plus proche qu'il a été lui-même blessé, un médecin d'autant plus fraternel qu'il a connu, de l'intérieur, la maladie.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Benoît Zimmermann
Musique
Laure-Françoise Vonnez, hautbois