Vous êtes peut-être vous aussi des lecteurs de Hergé, de Tintin, la bande dessinée. Et si c'est le cas, vous connaissez aussi les amis Dupont et Dupond, les fameux détectives avec leur chapeau melon. Et vous vous rappelez peut-être dans Tintin au Pays de l'Or noir, dans le désert, ils sont là qui tournent en rond avec une voiture qui pétarade. Comme ils tournent en rond, eh bien la trace qu'ils croient suivre, ce n'est que la leur ! Ils avancent oui, mais ils vont nulle part. Et nos vies ne ressemblent-elles pas à la voiture des Dupont et Dupond ?
Dans le désert ! Qui tournent en rond tout en croyant avancer ! Y a-t-il dans nos vies une route, un chemin, est-ce que nos vies avancent vraiment vers un but ?
De toujours on a comparé la vie avec une route, ou un chemin marqué par un début et une fin. De toujours cette comparaison a été utile et pleine d'encouragements pour le chrétien qui passe parfois par des hauts et des bas, comme les sentiers de montagne sur lesquels on s'essouffle, ou qui font mal aux cuisses même et surtout à la descente !
Et chacun connaît les psaumes, les classiques : «L'Eternel garde ton départ et ton arrivée.», ou encore : «Quand je marcherai dans la vallée de l'ombre…» ou plus positif : «Ta parole est une lampe sur ma route, une lumière sur mon chemin.» Le chemin de la vie est parfois difficile, ça chacun le sait, mais au moins dans la perspective des psaumes et des croyants qui les ont prié et chanté, y at-il une route qui avance !
On est sûrement capable de supporter bien des peines, lorsqu'on sait au moins qu'on avance vers un mieux, lorsqu'on sait que le tunnel a un bout.
Dans mon ministère, il m'arrive parfois d'être confronté à bien plus grave. Comme si non seulement, l'on était perdu, arrêté ou sur un chemin difficile, mais comme si on ne savait simplement plus qu'il y a un chemin et qu'on est en marche sur ce chemin. Comme si nos vies n'étaient tout simplement plus en route, mais comme perdues, déboussolées, sans point de repères, en plein désert.
Oui le désert, c'est bien l'image qui parle le plus de ces moments dans la vie (parce que je crois que c'est un moment de la vie, qu'on n’est jamais toujours et pour toujours dans le désert).
Le désert, on n'y est pas beaucoup habitué ici en Suisse et encore moins dans nos montagnes ruisselantes d'eau. Je me souviens d'un ami africain qui visitait le Pays-d'Enhaut. Il venait de Dakar aux portes du désert. Nous lui avions demandé à quoi ressemblait la Suisse : depuis l'avion, c'est comme un plat d'épinards, disait-il, c'est tout vert !
Et pourtant, il suffit de laisser résonner un peu le texte d'Esaïe, comme on l'a fait dans notre groupe, pour se sentir nous-mêmes, nous gens de la verdure, concernés par cette image de désert. Car même si nous ne vivons pas près d'un désert, même si nous n'avons jamais traversé le désert, nous avons en nous (inscrit peut-être dans notre inconscient collectif le plus profond!) des traces de déserts, des traces de ces situations où la vie est comme perdue dans un étendue sans début ni fin. Désert où le manque, la soif, l'épuisement nous tenaillent. Lieu de mort, de danger de mort, de déboussolement, de perte de tout repère, de vide ! Oui, chers amis, chers frères, chers chrétiens, le désert nous le connaissons dans nos vies, quand bien même nous n'avons jamais traversé le désert de sable, nous avons traversé et nous traverserons encore des déserts bien réels dans nos existences.
Et je pense à cet homme qui n'est plus là aujourd'hui, mais qui me racontait comment il avait été pétrifié dans son désert, lorsque son fils est mort. Ne pouvant plus vivre et rendant, à cause de sa douleur, la vie des autres autour de lui comme un désert. Septante ans de désert.
Et je pense à la vieille femme qui n'en peut plus de vivre, mais qui ne sait mourir et qui se demande ce qu'elle fait dans ce désert du monde, où elle ne reconnaît plus le visage de personne, parce que ses amis sont déjà tous sur l'autre rive, elle seule restant dans ce monde devenu désert.
Et je pense bien sûr à des jeunes aussi, et c'est encore bien plus tragique ! - pardonnez-moi d'être si noir - mais des jeunes qui, à l'âge où l'on devrait avoir envie d'avancer, avoir envie d'être heureux, ne voient aucun sens à leur existence.
Et aussi ceux qui finalement souffrent à l'intérieur d'eux-mêmes, dans leur être psychique, dans leur relation à eux-mêmes et aux autres qui s'arrêtent d'exister. Et cela ça nous fait froid dans le dos.
Le désert de la vie, mais aussi le désert qui paraît plus banal, mais qui est peut-être à l'origine de tous ces drames humains, celui qui nous fait courir dans toutes les directions, c'est-à-dire sans avoir où l'on va. L'une des participantes du groupe disait que son désert, c'était le désert du temps, la course après le temps, le stress. J'ai mis du temps à comprendre, mais quoi de plus insensé que nos courses à tous après rien ? Nous sommes un peu comme les Dupont et Dupond dans Tintin, qui tournons en rond dans nos voitures qui pétaradent sans savoir que nous sommes perdus.
Dans un monde qui n'a plus d'objectif vivant, comment voulez-vous que les déprimés ou les déboussolés, les jeunes ou les vieux trouvent leur voie, leur joie, leur route ?
Et voilà que dans ce désert bien réel, et pas simple à vivre, et bien un prophète ose dire : «Réjouissez-vous, tout va refleurir !» et voilà qu'un pasteur ose prêcher : «Tout va bien !» Qu'est-ce qu'il a vécu, lui ? Est-ce qu'il connaît ma situation dans mon désert ? Voilà encore du prêchi-prêcha.
N'empêche! Permettez-moi d'ouvrir une brèche. De montrer peut-être une oasis, car nous avons tous le droit de le traverser, de le dépasser ce désert. Et il n'y a pas de désert qui n'ait sa route ! Et ce sont les plus vieux d'entre nous, dans notre groupe - donc ceux qui ont le plus vécu de déserts ! - qui ont osé dire lorsqu'on traverse un désert, on peut percevoir, par contraste, la beauté qui vient : «Le désert est aussi source d'une parole.»
Traverser les déserts, nous disent les sages, c'est préparer le surgissement de l'oasis qu'on n'aurait peut-être pas vue dans la surabondance de nos sociétés ! «Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur», dit L'Eternel dans la bouche du prophète Osée.
Où est alors cette guérison promise par Esaïe ? Et comment l'obtenir ? Par quelle thérapie l'homme d'aujourd'hui, déprimé, endeuillé, bloqué et tout ce que vous voulez, va-t-il se remettre en marche ? Non seulement en marche comme on remet en marche une machine, qui marche, mais se remet en marche sur le chemin !
Et bien il y a une dernière surprise qui éclate dans ce texte d'Esaïe et qui nous a éclaté au visage en méditant ce texte, et qui, je crois, est la voie de la guérison : c'est le surgissement de la grâce ! C'est le futur du verbe, il y aura une route, cette route elle est un don, quelque chose à recevoir. Le texte est très clair, la route est offerte et non pas à faire. C'est le fameux message d'ailleurs de tout l'Evangile : L'Evangile de la grâce.
Mais voilà que la grâce ne concerne pas seulement la vie dans l'au-delà, on peut la comprendre comme un chemin de guérison pour nos vies !
Alors, aux gens déboussolés, en plein désert, et qui aimeraient enfin voir l'issue, et qui s'acharnent, et qui n'ont plus l'énergie, dont les genoux flanchent et dont les bras se fatiguent pour reprendre les mots d'Esaïe, j'ai bien envie de leur dire : arrêtez-vous et entrez dans la spiritualité du don reçu, de la route qui va être ouverte et non pas dans une route à ouvrir ! Une spiritualité de la confiance. Une thérapie par l'espérance et par la confiance !
Combien de fois ai-je vu, et je ne suis pas le seul, des situations désespérées s'ouvrir lorsque la confiance et l'attente trouvaient leur place dans le combat quotidien !
Alors voilà bien sûr me direz-vous, et le dépressif, et l'endeuillé, et le déboussolé, et le divorcé, et celui qui se trouve au chômage, et ceux-là, et encore tous les autres qui sont dans le désert, vous allez leur dire quoi : «Aie confiance, attends !»? Ce serait ne pas m'avoir bien compris. Je leur dirai plutôt : la confiance va être une force pour changer; tant que tu tournes en rond avec tes pensées, tu fais comme les Dupont et Dupond dans ton désert. Retrouve le chemin du calme, ce calme qui est une force de changement et qui est aussi un don ! La dynamique de la confiance !
C'est ce qu'avaient compris les aveugles qui en ont appelé au Christ et vers qui le Christ s'est arrêté pour les relever, pour les mettre en route, pour les toucher, non pas avec des belles paroles, mais avec une main guérissante. Le Christ s'arrête sur ton chemin. Alors ose la confiance. Le désert refleurira, dans la terre aride de ta vie, la joie te sera donnée.
C'est sûr, amen.