L'aire de repos

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Le long des autoroutes, il y a des aires de repos. Ce sont des endroits très agréables où s’arrêter. On y trouve tout ce qu’on veut. Des jeux pour les enfants, des tables à langer, de quoi se restaurer, se rafraîchir le visage, se dégourdir les jambes. Cela fait du bien lors d’un long voyage. Certains même y dorment un moment, le temps de récupérer.
Au cœur des villages, parfois au milieu des champs comme ici à Montpreveyres; mais aussi dans les quartiers des villes, se dressent des églises; grandes, petites anciennes ou récentes, elles sont là comme des aires de repos pour ceux et celles qui font le voyage de la vie. Et je sais nombre de personnes qui, à certains moments de leur vie, entrent dans cet espace de repos et prennent le temps de prier, de faire silence. Le plus souvent, elles n’ont pas de liens avec une paroisse ou une communauté, mais elles gardent au cœur ce désir de s’arrêter parfois au calme.

Ce n’est jamais anodin d’entrer dans une église. Même quand l’intérêt du passant est d’abord de contempler l’architecture, les vitraux, quelque chose d’autre se fait sentir, comme un mystère. Ici des hommes et des femmes se réunissent, viennent aussi dans la solitude, pour se laisser rencontrer par Dieu. L’espace ouvert des églises est un signe.
Loin de moi évidemment l’idée de dire que Dieu y est enfermé et confiné, que seul cet endroit permet de rencontrer Dieu. Ce serait ridicule et blessant pour ceux et celles qui ne peuvent s’y rendre. Dieu est partout là où nous sommes. Dieu est sur les chemins de la vie. Dieu est public. Mais pour moi, l’espace ouvert des églises, la verticale des clochers sont un signe et une invitation. Prier en silence, s’arrêter, se rassembler avec d’autres pour écouter Dieu, où que ce soit, ce sont des signes que nous sommes en quête de repos et de paix.

Frères et sœurs, est-ce que vous avez trouvé le repos de vos âmes ?
Je ne me permettrais pas de vous poser une question aussi directe, presque indiscrète, si Jésus ne promettait de donner le repos à nos âmes.
Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids d’un lourd fardeau, et moi je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. (v. 28-30)
Qui sont ces hommes et ces femmes auxquels Jésus s’adresse ? C’est le peuple de Galilée; ce sont des gens sans compétence religieuse particulière, des pauvres, des malades, des brebis sans berger. Ce ne sont ni des pratiquants, ni des bien-pensant à la manière des Pharisiens. Et quel est le fardeau qui pèse si lourd sur leurs épaules et leurs vies ? Il a un sens assez précis, dans ce texte. Ce ne sont pas les fatigues et les blessures de la vie. Le fardeau qui écrase les gens, c’est la religion, plus particulièrement les exigences des Pharisiens quant à l’observation de la loi.
Tout ce peuple de Galilée ne parvenait pas à obéir scrupuleusement aux multiples commandements développés par les Pharisiens. A cause de leurs métiers, les collecteurs d’impôts, les bergers, les prostituées étaient exclus de la communion avec Dieu. A cause de leur maladie, de leur handicap, les lépreux, les aveugles et les paralysés étaient exclus de la présence de Dieu. Tous ces gens, des petits, souffraient du mépris des Pharisiens et d’une chose bien pire encore. Cette vision tellement rigide de la foi faisait dépendre la communion avec Dieu de l’accomplissement de la loi et des commandements. Ils n’y parvenaient pas et le sentiment du mépris de Dieu à leur égard, le sentiment d’être rejetés par Dieu s’installait en eux comme une blessure. Cette religion du devoir leur était pesante et étouffante; elle les désespérait.

Y a-t-il chez nous des blessés de la religion ? Des gens qui portent un lourd fardeau à cause de la religion ? Bien sûr il y en a. Combien de fois, n’entendons-nous pas dire “J’ai tellement été forcé, lorsque j’étais enfant, de me rendre à l’église, que j’en ai été dégoûté. Alors j’ai balancé tout cela aux orties”. Ce discours est fréquent chez des adultes encore jeunes, qui sont aussi de jeunes parents. Ils adoptent alors avec leurs enfants une attitude résolument inverse et ils disent vouloir les laisser libres. Mais quelle est la liberté d’un enfant de 9 ans qui va renoncer à quelque chose dont il ne sait encore rien ? Jusque dans cette réaction inverse excessive, je mesure les dégâts d’une religion qui ne se déclinerait que sur le mode de la contrainte et de l’obligation.
Je pense aussi à un collègue pasteur, aumônier d’hôpital, qui disait rencontrer à l’hôpital, non seulement des blessés et accidentés de la vie, mais aussi des blessés et des accidentés de l’Eglise. A l’hôpital, on n’est pas dans sa paroisse, et l’aumônier n’est pas son pasteur habituel. C’est plus facile de lui dire des choses. Ils sont nombreux ceux et celles qui ont le sentiment d’avoir été mal reçus, mal écoutés, mal compris, rebutés, par un ministre de l’Eglise, ou par une personne qui déclarait en faire partie.
Dans le même ordre d’idée, je vois le visage d’une dame âgée rencontrée voici plusieurs années. Elle était issue d’un milieu modeste et ouvrier. Son pasteur de catéchisme accordait plus d’attention aux enfants des familles bourgeoises de la ville. Cela était resté une plaie ouverte, le souvenir d’une humiliation. Bien sûr, il faut se garder de généraliser. Chaque situation mériterait un regard particulier. Mais c’est triste lorsque des erreurs, des maladresses, des malentendus découragent des gens de l’Eglise et finalement de la foi, et les blessent.
Je pense enfin à ce moralisme étouffant qui peut régner chez nous en Suisse romande et que l’on nomme volontiers calvinisme; moralisme lié à un Dieu père extrêmement rigide. Je ne mettrais pas ma main au feu que Calvin soit pour quelque chose là-dedans. Mais c’est un fait que beaucoup de personnes ont été élevées avec l’image d’un Dieu sévère qui commande le monde, qui récompense les bons et punit les méchants, qui nous juge sur la seule qualité de nos œuvres, sans pitié; qui distribue de manière arbitraire et incompréhensible les bonheurs et les malheurs. Révoltés à la pensée qu’un tel Dieu puisse exister, beaucoup ont pris leurs distances.

Cela fait du bien d’entendre l’invitation du Christ ce matin, que nous nous sentions proches ou loin de lui. C’est à tous que le Christ fait entendre son invitation : “Vous les blessés de la religion, venez à moi... Je suis un maître doux et humble de cœur”; je suis l’homme de Dieu pour les autres. Heureux les doux avait dit Jésus dans les Béatitudes. Non pas heureux les mous ou heureux les résignés; mais heureux les doux.
Jésus est un doux, pas un mou, ni un résigné. Un doux, un homme à la compassion brûlante, qui aime avec patience et engagement, qui ne veut pas s’imposer par la force ou la contrainte. L’homme qui offre gratuitement la compassion de Dieu et sa grâce. Jésus a passé sa vie au milieu des blessés de la religion en Galilée, tous ces exclus, pour leur offrir, comme à nous, la communion avec Dieu. Communion qui ne doit rien à la contrainte ou à l’obligation, mais qui s’offre comme une chance à saisir; la liberté est de saisir cette chance. Communion qui ne doit rien au jugement, mais tout à l’accueil sans réserve de Dieu.
Vous verrez dit Jésus, venez à moi et je vous donnerai le repos, le repos de vos âmes.

Frères et sœurs, est-ce que vous avez l’âme en repos ? J’y reviens pour terminer.
La question ne signifie pas : “Est-ce que vous avez la conscience tranquille ?” Qui peut avoir la conscience tout à fait tranquille.
L’interrogation ne signifie pas : “Est-ce que vous avez fait le tour de toutes les questions et trouvé toutes les réponses ?” Qui peut prétendre avoir fait le tour de toutes les questions.
Le repos de l’âme, le repos dans la vie, c’est quand ma communion avec Dieu ne me fatigue pas, mais me rend léger, allègre, heureux, confiant, courageux quand l’adversité se montre.
Le repos de l’âme, c’est quand ma communion avec Dieu ne me laisse pas replié sur moi-même, mais me déplie comme une aile pour aller la rencontre des autres.
Avec le Christ, il n’est pas fatigant de croire.

Ame

Détails

Avec la participation de
Orgue
Diana Schwarz et Simone Piguet
Musique
Choeur mixte l'Union de Corcelles-le-Jorat, dir. Rolph Hausamann, Soliste Joëlle Mayor