Les vacances : Chérie, n'oublie pas les passports

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Sur l'autoroute des vacances, je suis toujours frappé de voir des voitures tellement chargées que j'ai l'impression que les gens ont dû prendre avec eux à peu près toute leur maison. Et je m'étonne presque de ne pas voir au sommet du chargement la bonne et le canari !

Ce sont des arrangements incroyables, qui défient les lois de la pesanteur. Il semble que le seul but ait été de reconstituer au maximum le cadre de vie habituel sur le lieu des vacances. Les préparatifs au départ ont consisté à prendre le plus de choses possibles, afin de ne pas changer avec les habitudes confortables de la maison.

Qu'il est difficile, parfois, de se préparer au départ et de faire ses valises ! Il y a tellement de choses à prendre que la plupart du temps, l'on finit par devoir s'asseoir dessus en famille pour parvenir à les fermer. Je connais des gens qui ne peuvent pas partir sans prendre leur oreiller, leur duvet, ou leur cafetière favorite...

Donc la question cruciale est celle-ci : qu'est-ce que je vais prendre avec moi au moment du départ ? Et son effrayant corollaire : qu'est-ce que je vais devoir laisser ?

Ces questions m'habitent au moment des préparatifs, quand je pense au départ et que je m'imagine en train de partir. Partir ! C'est le rêve de la plupart d'entre nous, depuis la modeste visite à la famille jusqu'aux palmiers des Tropiques...

Partir et découvrir d'autres cieux, partir et quitter le train-train quotidien, partir et vivre une certaine liberté, loin des contraintes et des soucis; partir pour devenir plus léger et respirer un autre air. Le temps des préparatifs, c'est donc un moment privilégié où l'imagination, le rêve, marche à fond.

Mais partir, c'est aussi un certain souci : "Est-ce que tout va bien se passer?", et une crainte face à l'inconnu. Alors pour me rassurer, je vais prendre un maximum de choses, de ces objets qui me tiennent à cœur et sans lesquels ma vie ne serait plus tout à fait ma vie.

Alors peut-être bien que charger sa voiture et bourrer sa valise, c'est une manière de partir sans vraiment partir. Partir sans rien quitter. Partir dans le confort et la sécurité. Partir sans risques, partir sans rien lâcher.

C'est là que les instructions de Jésus aux disciples nous rejoignent par leur sobriété. Les disciples se préparent au départ, eux aussi, et c'est vraiment un plongeon dans l'inconnu et une mission difficile qui les attendent.

Or ce que leur dit Jésus pour les préparer c'est justement : "N'essayez pas de tout prévoir, laissez-vous surprendre". En somme, Jésus les invite à se préparer à leur voyage sans pour autant vouloir le programmer complètement par avance.

Et c'est à travers l'équipement des disciples que l'essentiel va être dit. Dis-moi ce que tu prends avec toi en voyage et je te dirai qui tu es ! La chemise, c'est l'apparence extérieure, l'image de soi qu'on propose aux gens de rencontre; l'or et l'argent représentent la facilité de s'offrir quelque chose rapidement, un mode de relation où l'on paie les autres pour ne pas avoir à les rencontrer vraiment.

A l'inverse, Jésus invite les disciples à viser un certain désencombrement : laisser tomber les masques et les facilités, pour mieux s'ouvrir à l'autre, à l'inconnu, à tout ce que je ne peux pas prévoir. C'est la même sobriété qui est de mise au moment où le peuple d'Israël se prépare à partir vers la Terre Promise.

Avant de partir, l'essentiel c'est donc mon propre état d'esprit. Le principal préparatif, c'est de développer cette attitude juste, qui me permettra de me laisser surprendre par ce qui vient. Cette attitude va faciliter mon départ et le rendre possible. Plus besoin de prendre avec soi le coussin, le canari ou la bonne !

Rentrer en soi-même, le livre des Actes va jusqu'à dire: faire un jeûne. Ce que l'on pourrait traduire par : trier ses bagages. Et ça, c'est un exercice que je dois apprendre à faire toute ma vie. Car il n'y a pas que lors des départs en vacances que je suis appelé à faire le tri. A chaque fois que je m'engage dans un chemin nouveau, que je m'apprête à vivre un projet neuf, à chaque étape où quelque chose change dans ma vie, c'est comme un nouveau départ.

Et il est peut-être bon, à ce moment, de faire une sorte de jeûne préalable pour me demander : qu'est-ce qui est nécessaire ? Qu'est-ce qui est le plus important, la base, l'essentiel de ma vie ? Si je pars avec toutes mes conditions de vie antérieures, avec une montagne indescriptible de bagages, alors je ne quitterai jamais mon chez-moi. Partir ne me servira à rien. Non seulement mon départ n'aura rien changé, mais à chaque déplacement, je vais me trouver de plus en plus chargé, jusqu'à ma complète immobilisation.

Alors, quels bagages ? Comment s'y prendre ? Chacun est appelé à faire ses choix, et ces choix sont personnels. Mais il y a en tout cas un bagage qu'il faut se préparer à emporter obligatoirement : et c'est justement soi-même! Notre propre personne, impossible de la laisser à la maison, même si parfois, on voudrait justement la laisser derrière et ne plus rien en savoir.

Je vis dans une dangereuse illusion si je crois pouvoir partir sans moi, sans mes façons de réagir, sans tout ce qui rend ma vie lourde et épaisse. Parfois, j'imagine pouvoir me fuir moi-même en partant très loin, ou en rompant radicalement avec un aspect de ma vie. Mais c'est bien moi que je retrouve de l'autre côté de la planète, moi-même que je n'ai pu m'empêcher d'emporter, même dans le plus maigre des sacs de voyage !

C'est pourquoi les recommandations de Jésus aux apôtres, ou les indications qui précèdent le voyage missionnaire de Paul, tout cela vise à nous alléger, et à nous permettre de faire la paix avec nous-mêmes. Partir entier, partir réconcilié, partir centré.

C'est tout un patient travail pour élaguer et revenir à l'essentiel. Opérer le tri, limiter les bagages, faire preuve de sobriété: voilà la meilleure optique pour des préparatifs.

Et c'est en même temps un travail de retrait, jusqu'au centre de moi-même, jusqu'au cœur, là où tout bouge, là où je vis, là où tout se met en place et se décide, là aussi où je rencontre Dieu.

Sans quoi, je risque une fois de plus de devoir m'asseoir sur mes valises pour arriver à les fermer. Et de charger ma voiture, celle de ma vie, de tout un bric-à-brac qui m'encombre et dont je n'arrive pas à me dégager.

Il est urgent de renouer avec le cœur de ma personne, là où tous les préparatifs de ma vie prennent leur racine, là où je suis ouvert à la présence de Dieu. C'est la base et la source vivifiante de tous mes départs, de toutes mes initiatives, de tous mes projets. Là que se vivent, dans la joie ou dans la douleur, tous les changements de mon existence.

Désencombrer mon cœur, c'est retrouver l'accès à ce qui est le centre de ma vie et de mes projets. C'est laisser la vie de Dieu imprégner la mienne, c'est pouvoir partir vraiment, parce que débarrassé du superflu et libre, comme les disciples, comme le peuple d'Israël ou comme Paul pour son voyage missionnaire.

Alors ma voiture ne va plus plier sous le chargement, mais je pourrai librement partir, "le cœur ouvert à l'inconnu" comme le dit la chanson.

Seigneur,
Permets-moi de retrouver le cœur de ma vie,
là où il n'y a plus que l'essentiel,
là où ta vie devient la mienne.
Viens me donner vie,
afin que je puisse partir ou repartir
avec élan et sérénité,
avec liberté et confiance,
sur ma route où tu chemines aussi.

Amen.