Courage de l'engagement

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Chers frères et soeurs, entre la lâche neutralité et le courage de l'engagement, notre choix n'est-il pas vite fait ?

Une Eglise neutre comme Pilate avec son cynisme : « Qu'est-ce que la vérité ? » et sa façon de se laver les mains et d'envoyer le Juste à la mort ou une Eglise engagée sur les champs de bataille de la justice, de la paix et de la sauvegarde de la Création? Et nos vies neutres et aseptisées ou lancées sur les chemins de ce monde au nom de la foi, de l'espérance et de l'amour... Notre programme n'est-il pas tout tracé ?

Ce monde nous attend, et nous le savons. Le monde de la douleur de la Bosnie et de l'angoisse du Burundi. Le monde de l'injustice des pays pauvres, toujours plus pauvres. Mais aussi le monde de la société à deux vitesses qui s'implante chez nous. Et puis, peut-être derrière la cloison de ma chambre à coucher, le monde des cris de l'enfant battu et de l'isolement de ses parents. Le monde de ce jeune que je croise dans l'escalier et qui ne trouve plus de sens à la vie. Le monde de l'étranger renié, de l'ami, du voisin chômeur. Le monde de la nature maltraitée.

Et là où nous sommes, nous nous savons témoins du Ressuscité. Nous savons que nos liturgies, notre vie intérieure, notre vie fraternelle ne nous sont pas données pour nous enfermer, mais pour nous lancer justement dans ce monde que Dieu aime !

Nous le savons et nous voulons le vivre.

Or, qu'arrive-t-il ? Voilà que, plus souvent que nous ne le voudrions, trop souvent, nos Eglises nous déçoivent, et nous nous décevons nous-mêmes. Voilà qu'avec toute notre foi et notre vie chrétiennes, nous nous retrouvons butant contre nos limites incompréhensibles, nos silences, nos inactions. Voilà que tombe sur nos épaules la vieille image de Péguy, cette image que nous avions cru dépassée: "Ils ont les mains pures, mais ils n'ont pas de mains"! Vraiment, qu'arrive-t-il ?

Bien sûr, il y a nos faiblesses. Ne faut-il pas toujours à nouveau les confesser, en demander pardon et lutter pour nous en délivrer ? Nos indifférences, nos immobilismes, nos désunions. Notre crainte de perdre nos positions acquises. Reconnaissons et corrigeons tous ces manques de foi.

Mais aujourd'hui, n'avons-nous pas aussi à regarder en face d'autres difficultés qui tiennent au temps même que nous vivons, et qui demandent un effort de lucidité, un effort qui fait aussi partie de la foi ? Pourquoi ne pas le reconnaître : sale temps pour l'engagement !

Temps d'aujourd'hui où le mal, la guerre, l'oppression, la xénophobie, la finance pourrie semblent disposer de moyens toujours plus grands, tellement plus grands que ceux dont dispose le bien. Temps aussi où, comme dit l'humoriste, "tout se complique" à tel point qu'il devient difficile d'entreprendre quoi que ce soit sans provoquer des effets contraires.

Ainsi notre siècle, commencé dans l'idéalisme, n'est-il pas en train de nous engluer dans une sorte d'individualisme inquiet sur fond de production-consommation ? En même temps, jour après jour, une multitude de courants psychologiques et spirituels viennent nous suggérer que le fin du fin, c'est notre autoépanouissement. L'épanouissement de nous-mêmes et, qui sait aussi, de notre auto!!

Ailleurs, la religion prend le masque de l'intégrisme. On massacre, on persécute et on renie toute humanité, et la question se pose : est-il encore possible de faire des choix vigoureux sans être intégriste...

Et en même temps, pour beaucoup, pour toujours plus de personnes, la vie s'est durcie à l'extrême. C'est peut-être le cas pour vous, mon frère, ma soeur, qui vous affrontez à la perte de votre emploi ou de votre logement, à l'irruption du sida ou aux conséquences sournoises du dépaysement ? Quand on en est à lutter pour sa propre survie, le mot d'engagement peut-il avoir encore un sens ? Encore un sens ?

C'est ici, je crois, que nous rejoint l'évangile de ce jour, le récit étonnant de cette dernière phase du procès du Christ. Avez-vous remarqué, frères et soeurs, à la différence de tous les héros des "affaires" dont nous avons pris l'habitude aujourd'hui, avez-vous remarqué l'extraordinaire silence de Jésus ?

Jésus sait parler. Il l'a fait avec quelle tendresse parmi les humbles, et quelle force au milieu des grands! Il a aussi maté la tempête, purifié les lépreux, bousculé les marchands du temple... et voici que maintenant, il ne dit plus rien, il ne fait apparemment rien. Il l'avait annoncé :"On ne me prend pas la vie, je la donne". Et c'est ce qu'il fait : il donne sa vie. Cependant que les disciples, détail qui n'est pas sans importance, tous les disciples sont absents.

Alors nous assistons, comme si nous y étions, au lobbying de mort des dignitaires ecclésiastiques infiltrant la foule de leur propagande haineuse:"Libérez Barabbas!" La clameur gronde : "Crucifie!" dans cette foule qui, au départ, n'est certainement pas plus sanguinaire que n'importe quelle autre foule. Voici la femme de Pilate qui donne libre cours à ses frayeurs païennes. Et voici Pilate lui-même, Pilate qui va prendre la décision que l'on sait, Pilate soi-disant symbole de neutralité, mais dont on connaît aujourd'hui la cruauté, la ruse et l'antisémitisme. C'est ainsi que l'évangéliste nous fait tout voir et tout regarder en face.

Mais en même temps, il nous communique sa conviction : là, dans le prétoire de Jérusalem, en l'an 30 de notre ère, au coeur de ce paroxysme de la haine et de l'incroyance, c'est le salut du monde qui s'accomplit. Il s'accomplit dans le silence de Jésus, qui joue ici sa liberté souveraine de se donner. Et ce silence dès lors ne devient-il pas Parole, Parole ultime ?

Alors, frères et soeurs, quels repères pour nous aujourd'hui ? Quels repères pour vivre ensemble et personnellement ici la réalité de nos engagements ? A l'évidence, le premier repère n'est-il pas, encore et toujours, celui du courage ? Courage de savoir que le Christ en son procès nous précède à jamais devant tous les Pilate, toutes les foules, toutes les manipulations. Courage renouvelé de ne pas abandonner la partie, de ne pas se taire, mais d'agir et de se donner de manière conséquente au près et au loin, dans notre entourage comme dans la politique et l'économie. Courage.

Mais le courage a une source. A l'heure où nous voyons les certitudes s'effondrer, les peurs se renforcer, et les crispations identitaires se durcir, n'est-il pas temps pour nous, croyants, de revendiquer paisiblement et dans le respect d'autrui ce qui fait notre identité ? Et de rappeler que cette identité se situe en amont des paroles et des actes puisqu'elle est celle de la foi, de notre acceptation toujours neuve de ce que le Christ a fait pour nous, et sans nous. La foi, eau vive à laquelle se ressource notre liberté, mais aussi source claire qui n'oublie pas l'humour ni la légèreté des recommencements...

Les recommencements justement, et la lenteur et la persévérance ne seraient-ils pas aussi, aujourd'hui, un repère ? En nous rappelant, dans un monde qui privilégie la vitesse et l'immédiateté, que l'heure du procès n'est pas encore celle de la délivrance, les semailles pas encore la moisson et que le chemin continue...

Les recommencements. Et puis, peut-être bien, face au spectaculaire, à l'arrogance et au vacarme du mal aujourd'hui, le repère de la discrétion. Ainsi votre combat mon frère, ma soeur clouée sur un lit d'hôpital, et vous qui luttez peut-être seul dans telle situation qui paraît sans issue, votre combat auquel le Christ participe, n'est-il pas au-delà des apparences, de ceux qui changent la face de la terre ?

Comme d'ailleurs, le combat de tant de communautés chrétiennes aujourd'hui, qui ne peuvent pas toujours parler sur la place publique, mais dont nous savons qu'elles s'affrontent à des situations limites dans l'obstination du dialogue et de l'espérance...

Or, depuis son procès, le Christ ressemble à tous les sans-voix, à tous les sans-pouvoir, auxquels il faut ajouter aujourd'hui, c'est sûr, les générations à venir qui n'ont pas encore la parole et la nature elle-même qui ne peut se défendre. N'est-ce pas auprès d'eux que le Seigneur nous donne à jamais rendez-vous ? N'est-ce pas auprès d'eux que nous sommes assurés de le trouver ?

Son don est pour tous. En nous donnant à sa suite, n'ayons aucune crainte, ni pour notre identité, ni pour celle de l'Eglise, ni pour notre avenir. N'ayons aucune crainte en nous donnant aux côtés de tous ceux qui, parfois sans le savoir, se donnent comme il l'a fait. Au contraire, réjouissons-nous : c'est ainsi que nous nous retrouverons.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Choeur paroissial, dir. Jean-Louis Dos Ghali