L'engagement du célibat

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Notre Dieu ne se trompe pas. Il ne commet aucune erreur. Il savait pourquoi, alors qu'adolescente je me trouvais avec cette question : « Pourquoi demandes-tu la confirmation dans l'Eglise ? », là, dans un temps mis à part, de réflexion, de prière, Dieu se révélait à moi comme mon Sauveur, un Père qui m'aimait. Aussi, dans un élan de coeur et de foi, je lui donnai ma vie pour l'aimer, le servir. C'est dans la solitude de ma chambre de jeune fille de 16 ans que suivit un dialogue pour ne pas dire un combat devant une destinée qui me dépassait. Or, je comprenais que Jésus-Christ me faisait une offre incroyable personnelle, à le suivre pour Le servir. Ma réponse fut tout aussi incroyable : je te donne ma vie pour être missionnaire ou diaconesse. Et je savais, avec le coeur, ça ne s'explique pas avec la raison, que je resterai célibataire.
Plus tard, j'ai compris qu'en fait j'avais reçu le don du célibat dont parle l'apôtre Paul. Dieu donne ce qu'il ordonne. Et je l'ai véritablement reçu comme une grâce. Je n'ai aucun mérite, car c'est l'oeuvre du Saint-Esprit en moi, ce même Esprit qui m'a conduite à 20 ans à concrétiser la parole donnée en entrant dans la Communauté des diaconesses de Saint-Loup. A la question souvent posée : avez-vous eu des combats, des tentations ? J'ose dire non, pas dans le sens du doute ou de remise en question. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas pleinement femme. Vivre la chasteté ne veut pas dire être asexuée. Non, au contraire, j'ai l'impression de vivre pleinement ma féminité avec ses fragilités et ses forces, heureuse de l'être. Et j'ai la pensée que j'aurais pu être tout aussi heureuse en servant le Seigneur dans le mariage. Mais il avait besoin de moi à cette place. Dieu ne se trompe pas !

Le célibat fait partie du plan de Dieu dans la Nouvelle-Alliance. Il est comme une anticipation à la vie du Royaume céleste, pas que le royaume des cieux soit exclusivement réservé aux célibataires, mais comme étant des prémices, en recevant la parole où Jésus nous dit que dans le Royaume des cieux l'on ne se mariera pas. Par contre, avec l'Eglise fidèle, appelée à devenir l'Epouse du Christ, je participerai un jour aux Noces de l'Agneau. Quelle glorieuse perspective !
C'est pourquoi notre vocation est justement de manifester la vie du Royaume. C'est d'ailleurs la vocation de tout chrétien. "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force. Tu aimeras ton prochain comme toi-même."

Il semble bien que notre relation à Dieu soit une question d'amour. Oui, parce que Lui nous a aimés le premier. Qu'Il a tout donné en Jésus et qu'il continue de se donner à nous. Il désire ardemment avoir communion avec ses enfants. Il met sa joie en nous. Tu feras la joie de ton Dieu, nous dit le prophète Esaïe. Christ, notre premier amour, oui, mais pas le seul amour. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même." Nous pouvons avoir des amitiés, aimer nos frères et soeurs, nos soeurs de la Communauté. Quelle famille ! Que de gens à aimer, servir. Pas de place pour l'ennui, ou une petite vie étriquée, égoïste ou monotone. C'est que l'amour nous mobilise, nous met en marche. Car le propre de l'amour est qu'il est don de soi.

Comme diaconesse, l'engagement au célibat me rend plus disponible, d'abord pour la vie communautaire, puis plus disponible en force, en temps que je peux dispenser à une famille élargie. Je crois de plus en plus que le sens de mon célibat aujourd'hui dans la cinquantaine est pour dire cet amour, fruit de la grâce, capable de combler nos vies, aussi sur le plan affectif, et de le manifester à ceux qui viennent à nous.

Dans mon ministère d'accueil, de relation d'aide, j'ai une oreille, un coeur pour tant de personnes qui vivent un célibat non choisi, aux circonstances de la vie souvent douloureuses, frustrantes parce qu'elles ne trouvent pas l'âme soeur, ou vivent l'abandon, l'échec à cause de ruptures, du divorce dans le mariage. Qui sont solitaires, déçues, trahies par des attentes non comblées. Eh bien, mon bonheur, ma vocation aujourd'hui est de pouvoir, parce que j'y crois de tout mon être et que je l'expérimente, partager, prier avec ces personnes aux coeurs brisés, afin qu'elles reçoivent la consolation et la guérison.

Leur annoncer la bonne nouvelle que quelqu'un les aime et les accepte qui s'appelle notre Père et que son amour est répandu dans leurs coeurs par le Saint-Esprit pour leur redonner une dignité, un avenir, une espérance.

Cet amour-là ne nous trompe jamais.

PREDICATION PRONONCEE PAR LE PASTEUR Claude SCHWAB
Texte : Jean 12, 1-8 et Jean 20, 11-18
Thème : l'engagement du célibat

Le chemin de soeur Elisabeth est d'être célibataire par vocation, pour répondre en pleine disponibilité à l'appel de Dieu et aux demandes des humains. Mon chemin est d'être homme, marié et père de quatre filles et un garçon. Votre chemin est peut-être semblable à celui de soeur Elisabeth ou au mien, mais il peut aussi être un chemin de célibat forcé et difficile à assumer, un chemin de solitude, après un veuvage, une séparation ou un divorce, un chemin d'attente, plein de promesses ou d'angoisses, un chemin où, comme on dit, on essaie de "refaire sa vie", un chemin de désirs, de partages ou frustrations avec une personne de même sexe, un chemin de couple chahuté par une crise profonde ou anesthésié par la chape d'une indifférence qui maintient la façade, mais qui est minée par un lent désamour, ou simplement votre chemin, votre chemin à vous, irréductible aux mots et aux catégories, où vous tentez de vivre en homme ou en femme votre histoire à vous...

Qui que nous soyons, quels que soient nos amours, nos bonheurs et nos peines, nos maladresses, nos réussites, nos dérapages, nos désirs, nos jouissances, nos échecs, nos plénitudes, tous, nous sommes les enfants d'un Dieu qui nous aime. La manière dont Jésus s'est approché des plus humbles, des rejetés, de ceux qu'on ne remarquait pas est un signe décisif. Son amour ne connaît aucune barrière, que nous nous sentions bien aimés ou mal aimés! La pire des choses est d'avoir inventé des premières et des secondes classes dans le train du Bon Dieu, une discrimination entre des chemins meilleurs ou pires, justes ou faux. On a pu dire : le célibat, c'est mieux, c'est le chemin par excellence, comme on a dit : le mariage, c'est mieux, c'est la voie normale. Toute une tradition chrétienne a unilatéralement valorisé le célibat au détriment du mariage. Les quelques textes de Paul ou de Jésus faisant allusion au célibat ont été durcis au point d'en faire la condition d'un salut certain.

Parmi tous les textes qui ont fleuri dans ce sens au 4e siècle et qui ont eu une influence considérable sur nos mentalités, je me contenterai d'en citer un seul, très représentatif de cet état d'esprit. Les gens mariés, même les plus saints, ceux dont le lit conjugal est resté pur, ne peuvent pas être comparés aux célibataires, car la place qui est assignée à ceux qui restent vierges n'est pas seulement le royaume des cieux commun à tous les élus. Leur lot est avec les saints anges, afin que le mode de vie plus noble et plus excellent qu'ils ont choisi trouve sa récompense (pseudo Clément). Dans cette optique, le célibat n'est pas une question de disponibilité, mais d'intérêt :"faites le deuil de vos amours humaines et votre paradis sera plus confortable"!

Dans le sens contraire, on a pu considérer le mariage comme la norme, au point de soupçonner les personnes qui n'en prenaient pas la voie. Dans le monde d'aujourd'hui, où la sexualité a envahi tous les domaines, la chasteté apparaît comme suspecte. J'ai assisté à une rencontre entre de jeunes adolescents et une religieuse du monastère de la Fille-Dieu: ils n'arrivaient même pas à concevoir qu'on puisse être heureuse et vivre sans un homme dans son lit ou dans sa tête. Dans cette espèce de conformisme où la relation sexuelle devient la norme, celles et ceux qui vivent pleinement et heureusement leur célibat apportent une originalité que je salue. J'ai même rencontré des diaconesses heureuses et épanouies : un grand scoop à notre époque ! Vous représentez-vous la photo de soeur Elisabeth en dernière page du Matin ? C'est cela qui ferait sensation, surtout si cet engagement est vécu dans la gratuité, dans cet élan qui ne calcule pas.

"Marie prend donc un parfum, une livre de nard pur et de grand prix. Elle en enduit les pieds de Jésus et les essuie de ses cheveux".

Le geste de Marie, soeur de Marthe la raisonnable, est déraisonnable, il ne part pas de la tête, il n'est pas contrôlé, censuré par la tête, mais il vient du coeur. Qui peut comprendre la force de cet élan d'amour, folie, pure folie, que ce parfum pur répandu sans compter offert sans retenue, geste fou et pourtant si vrai, si juste, si émouvant ? Geste d'enfant, geste de femme, geste de Marie, geste de foi!

Le texte même de l'évangile qualifie le parfum d'un mot très rare qui signifie "digne de foi, fiable, non trafiqué". Le mot "foi" se retrouve jusque dans le mot qui qualifie le parfum, comme si nos présents parlaient pour nous... Mais qui peut comprendre ce geste de Marie ? Un parfum versé, ce qu'il y a de meilleur, le don de soi, de son affection, de sa sexualité : Marie essuyant de ses cheveux les pieds de Jésus. Scène magnifiquement incarnée. Le corps n'y est pas nié, au contraire, il y est de la tête aux pieds, présent, bien présent, donné, offert comme un excès de foi. Geste pourtant qui trouble les spectateurs, partagés dans leurs réactions. Faut-il se laisser aller à l'émotion de Judas, mon frère (que je me garderais bien de charger de tous les péchés du monde)? Il a "raison" : c'est vrai qu'avec tout cet argent on aurait pu faire autre chose, qu'il y a du gaspillage dans ce don. Faut-il se laisser gagner par l'émotion simple, par l'odeur du parfum qui remplit la maison ? Le geste de Marie n'est pas seulement affaire privée, entre elle et Jésus, il embaume l'entourage, il crée un climat, il transforme l'atmosphère. L'offrande de soi est contagieuse. Quand se produit le geste gratuit et plein, cela change tout alentour... l'amour déborde, la générosité provoque un trop-plein, il y a des odeurs qui lui font du bien, qui permettent de respirer un air de fête! Dans un premier temps, Jésus ne dit rien. Il accepte le cadeau de Marie. Pourquoi toujours des mots quand les émotions sont fortes ? Mais ensuite, il doit parler quand Marie est mise en cause; il doit parler pour répondre à ceux qui se placent sur le seul terrain de la raison. Jésus prononce alors une parole énigmatique : "Laisse-la !"

Elle observe cet usage (où elle garde ce parfum) en vue du jour de mon ensevelissement. Ce qui est en tout cas sûr dans la compréhension de ce texte, c'est d'une part que Jésus accueille le geste de Marie et que d'autre part, il évoque sa propre mort et le deuil qu'elle provoquera. Car l'élan d'amour le plus pur est fragile, il est marqué de notre condition d'humanité, il est hanté par le spectre de la mort.
Et c'est Marie, une autre Marie, Marie de Magdala, qui se retrouve seule, seule à pleurer au champ des morts, seule à pleurer le corps qui a été enlevé. Le célibat comme le mariage, comme tous nos chemins d'affection ne peuvent éviter la mort; nos élans les plus purs se retrouvent un jour crucifiés : que faire quand le feu est devenu cendre ? Comment repartir quand on a tout donné et que l'on se retrouve brisé(e) au bord d'une tombe vide, dans un monde vide, avec le coeur vide ? Seul. Vraiment seul.
"Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?"

Un geste, un sourire, une parole, une simple parole, une parole simple, une présence qui me touchent, qui me vont droit au coeur, qui me restaurent, qui me révèlent le secret de la fidélité. Car nos fidélités de célibataires, de veufs, de mariés, de séparés, de divorcés, de solitaires, nos fidélités en profondeur, malgré nos infidélités de surface, ne sont possibles qu'à la lumière de la résurrection. Là où nous nous heurtons à une impasse, il y a une issue. Quand nous croyons que tout est fini, il y a un recommencement. Si nous sommes ensevelis par la mort, il y a promesse de vie. Marie. Un seul mot, son nom et elle est reconnue. Ce n'est plus le temps de donner, mais celui de recevoir. Marie ! Elisabeth ! Pierre ! Jean ! Béatrice ! Nos chemins de fidélité peuvent continuer, car nous avons été rejoints dans nos larmes, retrouvés au coeur de notre désir de donner. Nos chemins d'affection seront toujours des chemins mystérieux, mais la résurrection les oriente, leur donne un souffle nouveau.

Aucun don n'est jamais perdu. Aucune offrande folle n'est de trop. Aucun élan de tout l'être n'est illégitime.

C'est tels que nous sommes que nous sommes acceptés et envoyés, comme Marie qui court annoncer aux disciples que Jésus est vivant. Ce Jésus qui, dans sa crèche, nous éclaire de sa simplicité. Ce Jésus qui, sur la croix, nous ouvre à l'écoute de l'obéissance, ce Jésus qui, ressuscité, nous accueille, célibataires, mariés, veufs et séparés, nous qui pouvons comme Marie avec son petit mot de Rabbouni, lui répondre dans nos patois d'affection : mon maître.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Sr. Edmée Perrenoud
Musique
Groupe Molécule