La vérité sort de la bouche des enfants !

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Ah, le petit gars, la crapule, le chenapan, nous faire ça à nous, ses parents... filer, disparaître, trois jours, sans rien dire... Vous pensez si on était en soucis !

Bien sûr, d'abord, on ne s'est pas inquiété. On doit même avouer qu'on ne s'est pas rendu compte. On était bien, c'était la fête. On était monté de Nazareth (c'est notre village) à Jérusalem la capitale, pour célébrer la Pâque (vous savez cette fête qui rappelle la sortie d'Egypte). On avait rencontré nos amis de partout, puis, après sept jours, on avait repris gentiment le chemin de la maison. La routine quoi. Comme on fait chaque année.

Lui ? On ne le voyait pas - vous savez c'est pas un gosse très couvé - on pensait qu'il était derrière, avec des cousins ou des copains du village... Mais le soir du premier jour de marche, on a bien dû se faire à l'évidence, il n'était pas là. Introuvable `

Alors ni une ni deux, on est retourné à Jérusalem et on l'a cherché partout. C'est facile de s'imaginer les scénarios qu'on se fait dans ces cas-là..." on l'a séquestré...", "est-il en vie ?"... On se faisait un souci monstre. Avec la fête, il y a de tout, vous savez. On a été d'abord voir chez des parents, puis dans les souks, dans les arrière-cours, partout où on pensait le trouver... et on ne le trouvait pas. Trois jours de recherche. Quelle angoisse. Quand je le raconte, j'en ai encore des frayeurs rétrospectives.

Tout à coup, Marie (ma femme s'appelle Marie), Marie m'a dit : "si on allait au temple, on y est venu plusieurs fois pendant la fête et c'est le seul endroit où on n'est pas passé regarder". Elle voyait juste. C'est là qu'on l'a trouvé (j'sais pas pourquoi on n'y avait pas pensé avant...). Il était là, assis, comme un grand, pas derrière, non. Devant il discutait avec les docteurs de la loi (des profs de théologie en quelque sorte). Et non seulement il leur posait des questions, mais lui aussi proposait des réponses et ces messieurs étaient impressionnés de ses réponses et de sa sagesse.

En tout cas nous, on ne s'est pas laissé impressionner. La bordée qu'on lui a mise à ce petit, et devant tout le monde, temple ou pas. Il l'a sentie passer, je peux vous le dire. Partir trois jours sans rien dire, ça ne se fait pas ! Et lui tout calme, sous savez ce qu'il a dit ? Il a dit "Pourquoi me cherchez-vous ? Ne savez-vous pas que je dois être chez mon Père"? De mon Père qu'il a dit... là alors j'ai rien compris, Son père c'est qui ? J’ai vraiment rien compris. J'étais fâché, voilà tout. On l'a embarqué et on est rentré vite fait à la maison....

Ca fait deux mois de cela maintenant. Le temps a passé, la pression a baissé et les choses se sont tassées. J'ai réfléchi. J'ai mieux compris, je crois. Je vais essayer de vous le dire.

D'abord, il faut bien que je l'admette, Marie et moi, nous y étions allés un peu par tradition à cette fête. Ca se fait chez nous d'aller au temple une ou deux fois par année. On y conduit aussi les enfants, pour qu'ils sachent de quoi il est question. C'est la coutume quoi. Mais lui, notre fils, il nous a fait dépasser ou revoir cette conception... Il a compris que ce n'était pas du cinéma. Nous on était passé apporter notre don et puis voilà. Lui il avait écouté ce que disaient les prêtres.

Et moi j'ai même compris que derrière (et dans) ces pratiques habituelles se cachent en fait des choses fondamentales qui peuvent être vitales pour toute l'existence si on va un peu derrière les apparences, ce qu'il a fait. C'est fou ce que le regard des adolescents peut être subtil quand on essaie d'entrer dans leur monde...

Mais ce n'est pas tout. Sur le moment je n'ai pas dit grand-chose, c'est Marie surtout qui a parlé, mais en réfléchissant dans mon atelier - vous savez, on a le temps quand on scie et rabote des planches - j'ai réalisé une chose : ce qu'on fait pour nos enfants, nous les parents, c'est bien, c'est nécessaire... mais c'est pas suffisant. Il faut qu'ils fassent aussi leur chemin à eux. On peut pas le faire à leur place. Ils ont besoin de trouver des choses solides sur lesquelles fonder leur vie. Et notre fils, en allant voir les maîtres de la loi et en discutant avec eux avait compris ça.

Bien sûr, il a fait une fugue, mais finalement n'était-ce pas un langage pour nous que de me dire : "je dois faire ma vie, je dois prendre mes distances pour trouver ma personnalité à moi"...

D'ailleurs, depuis cet esclandre, vous me croirez si vous voulez, mais on est beaucoup plus proches, mon fils et moi. On discute, on échange. Il s'est passé quelque chose entre nous, c'est devenu presque un vis-à-vis. Il faut le voir, on a l'impression qu'il a grandi de dix centimètres. C'était un gamin, c'est devenu presque un jeune homme...

Une chose encore, peut-être la plus importante. Vous vous souvenez, lorsqu'on l'avait retrouvé dans le temple, il avait dit une parole qui m'avait littéralement mis hors de moi : "il faut que je sois chez mon Père". Son père, son père adoptif en tout cas (pour moi je ne fais pas de différence d'avec ses frères), c'est moi, que je sache. C'est moi qui le nourris, qui le loge, qui l'habille, qui l'éduque et j'en passe... et il m'a dit :"il faut que je sois chez mon Père". Ca a été terriblement dur... comme s'il me renvoyait....

Mais maintenant j'ai saisi. Encore une fois, il m'a ouvert une piste... Il parlait du Père de l'humanité, de Dieu, de l'invisible, de l'essentiel. "Il faut que je m'occupe de l'essentiel, c'est le plus important, ça change la vie... Moi je m'apprêtais à agrandir mon atelier pour travailler avec lui et lui regardait déjà plus loin. Je me suis rendu compte que ce Père (avec un grand "P"), c'est aussi le mien, et que moi aussi il faut que je m'en occupe un peu. Depuis ce jour-là, j'ai plus de facilité à croire, je me suis rapproché de lui, eh oui.

Mon fils et moi, et tous les autres hommes et femmes, si on a tous le même Père, on est tous frères, et de fraternité, c'est peut-être ce dont on a le plus besoin.

C'est fou ce que la vérité sort de la bouche des enfants. Je ne vous raconte pas.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Organiste : Rolf Hausamann
Musique
Chorale : "Chante Jura"