"Elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et le déposa dans une mangeoire."
C'est là que notre lectrice s'était arrêtée dans le texte : et là, ce n'est pas encore tout à fait Noël.
Qu'avons-nous entendu ? Nous avons entendu le récit d'une naissance, avec une femme enceinte, un accouchement, des langes et un berceau rudimentaire; les conditions de cette naissance nous paraissent bien précaires à nous les habitués des maternités occidentales, mais elles ne le sont pas plus que pour des milliards d'autres naissances qui ont eu lieu ou qui se produiront encore sur notre terre. La naissance de Jésus, une naissance en marge des feux de la rampe, comme des milliards d'autres, une naissance proche de la terre, proche de la poussière.¨
Un peintre flamand du 16e siècle, il s'appelle Breughel, l'a bien compris. Et là je reviens à un tableau que certains d'entre vous connaissent déjà, mais sous un autre angle.
Dans ce tableau, exposé à Winterthur, il a représenté la Nativité en marge, mais vraiment tout en marge d'une scène villageoise hivernale : si l'œuvre ne portait pas de titre, vous auriez de la peine à identifier les personnages d'une nativité classique, car on y voit surtout, sous la neige, des soldats et paysans affairés à leurs besognes quotidiennes.
Marie n'y figure que dans un recoin du tableau, comme insignifiante femme qui s'abrite de la tempête de neige : elle est assise sous un avant-toit, à moitié cachée par un muret, et son encapuchonnement grossier laisse juste apparaître un fragment de visage et une main.
En regardant très attentivement, vous remarquez qu'elle tient sur ses genoux un petit être juste ébauché qui se confond avec elle, et au fond, se détachant à peine d'un mur sombre, vous discernez une silhouette qui doit être celle de Joseph.
En marge et dans l'ombre, une naissance comme il y en eut, et comme il y en aura encore, des milliards.
Là, comme je vous le disais, ce n'est pas encore tout à fait Noël. Pour arriver vraiment à Noël, nous devons encore nous éloigner. Nous devons laisser Marie, Joseph et l'enfant dans leur abri de fortune. Nous devons quitter le cadre pauvre, mais quand même rassurant du village de Bethléem, nous devons sortir du monde des sédentaires et nous aventurer de nuit dans les champs, là où commence le territoire sans limites des nomades, le territoire des bergers, ces gens sans domicile fixe, ces hors-la-loi de toute civilisation traditionnelle, loin, très loin de tout establishment.
Prière :
Regarde-nous, Seigneur. Nous sommes l'humanité en attente et criant vers la lumière.
Nous voici, Seigneur, entrés dans la salle commune. Nous sommes l'humanité recensée dans ses faiblesses, avec des chutes, des mensonges et des solitudes, mais aussi des baisers, des vérités et du courage.
Nous voici, Seigneur. Nous sommes l'humanité dénombrée dans ses violences et ses générosités, inventoriée dans ses incertitudes, avec ses divorces et ses usines de chômage, mais aussi avec sa tendresse recommencée et sa recherche de droit et de dignité.
Nous voici, Seigneur. Nous sommes l'humanité recensée dans son espérance de beauté. Viens, Seigneur, il nous faut ta présence dans la salle commune du monde.
Selon "Chemins d'Avent 1990"
C'est loin de tout, parmi les bergers, aux franges du monde habité que soudain, du fond de la nuit, éclate la lumière. C'est là, dans le no man's land de l'empire que, subjugués par l'irruption du divin autour d'eux, quelques nomades comprennent que cette naissance est révélatrice de Dieu : cette naissance-là, cette nuit-là, dans ce village-là, à l'exclusion des milliards d'autres naissances passées et futures.
Et quand ils iront s'incliner devant ce nouveau-né, leurs yeux ne verront qu'une nativité très ordinaire. Mais leur regard intérieur, illuminé par la vision nocturne, apercevra l'auréole autour de la tête de nouveau-né, et la lumière qui émane de tout son corps, ces attributs miraculeux absents chez Breughel, mais présents dans tant d'autres nativités.
Il en va de même pour nous devant la crèche, sitôt que nous portons sur cette prosaïque naissance de Bethléem le regard de la foi, il devient possible, dans la pénombre de cet événement très particulier, d'y discerner les flots de lumière et les chœurs célestes.
Dieu, naissance de l'homme, tu prends visage d'enfant, quand le vieux monde croule entre ses remparts et se ferme à l'avenir.
Dieu, aurore de l'homme, tu prends le cri d'un enfant quand le vieux monde guette au fond de sa nuit un matin qui ne vient plus.
Dieu, promesse de l'homme, tu brilles aux yeux d'un enfant quand le vieux monde cherche de nouveaux puits aux mirages de sa soif.
Amen.