Un nouveau printemps

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Un passage inutile
Aujourd'hui, c'est donc la fête de la Pentecôte : jour où nous nous souvenons de l'effusion de l'Esprit sur les disciples, réunis quelque temps après la résurrection et la disparition de celui qui a bouleversé leur vie. Oui, l' " effusion de l'Esprit " et on pourrait se demander si le récit de cette effusion était bel et bien nécessaire et nécessaire, du coup, la fête de la Pentecôte.
Tout d'abord parce que, si l'on y réfléchit bien, depuis le matin de Pâques en fait, l'essentiel a été dit : le Christ est venu parmi les hommes pour leur apporter la bonté et leur rappeler à quel point l'exigence de cette bonté est au centre de toute vie digne de ce nom ; puis il a tenu bon, il est resté fidèle à la bonté, alors que la fureur des hommes s'est déchaînée contre lui ; enfin, il a été ressuscité, montrant ainsi que pour celui qui aime, la vie ne s'éteint jamais. C'est déjà un incroyable programme en soi que voulez-vous y ajouter ?
Ensuite, on peut se demander si l'événement de Pentecôte n'est pas un post-scriptum inutile, parce que, ce qui nous en est dit est tout de même bien diffus et bien compliqué. Ces disciples, pris par cette sorte de transe, qui parlent dans toutes langues et comprennent toutes les langues, alors qu'ils ne les ont jamais apprises, c'est tout de même peu raisonnable, voire franchement effrayant pour un lecteur éclairé ! Pourquoi donc rajouter de l'étrange et de l'incompréhensible aux pages si belles et si claires de l'Evangile ?
Vous l'aurez compris d'emblée : je pense bien évidemment que l'événement de Pentecôte n'a rien d'accessoire et n'est pas un simple appendice anecdotique. Au contraire, à mon avis, c'est la conclusion indispensable à toute l'histoire du Christ, à sa vie, à sa mort, à sa résurrection. Sans Pentecôte, tout cela ne serait qu'un détail dans l'histoire du monde et, surtout, n'aurait servi à rien ! De quoi s'agit-il donc ? Que fêtons-nous au juste, en ce jour ?

Un nouveau printemps
Pentecôte, c'est l'émergence d'un nouveau printemps. Dans la vie fatiguée, blessée, désillusionnée des disciples, c'est l'arrivée d'un souffle nouveau qui leur redonne l'énergie de vivre, de penser, de comprendre et de croire. C'est bien gentil de garder en soi le souvenir du maître, la nostalgie de la tendresse dont il rayonnait, de l'énergie dont il disposait pour guérir les autres et pour raviver chez eux le feu de l'espoir. C'est bien gentil de se souvenir de ses paroles et des recommandations qu'il leur a laissées pour qu'ils poursuivent l'œuvre qu'il a entreprise. Mais tout cela est bien vide et bien inutile pour eux, s'ils ne retrouvent pas d'abord, tout au fond d'eux-mêmes - tout à la racine de leur être - le souffle pour se lever, l'énergie pour se remettre en route et le feu intérieur pour se montrer chaleureux, communicatifs et rester en éveil.
Oui, c'est d'un nouveau printemps, dont ont besoin nos disciples dans leur vie comme nous, d'ailleurs, si souvent, dans nos existences à nous. Car il y a des jours où nous avons beau nous souvenir qu'il n'y pas de vie sans amour; mais la force, tout simplement, nous manque pour aimer ! Il y a des jours où nous avons beau vouloir nous montrer ouverts, chaleureux et patients; mais la force nous manque pour être cohérents avec nous-mêmes ! Il y a des jours où nous aimerions tellement rester confiants, comme l'Evangile nous y invite; mais la force nous manque pour espérer !
Le jour de la Pentecôte, alors qu'ils étaient réunis, voici donc soudain que le souffle se lève, les enveloppe et les saisit et que, dynamisés de l'intérieur, ils retrouvent cet enthousiasme et cette énergie qui les avait quittés quelques semaines plus tôt. Le Christ est ressuscité et monté au ciel ; maintenant, c'est à leur tour de ressusciter - de retrouver leurs forces et leur élan vital - pour continuer à être pleinement vivants et à semer la bonté sur la terre. Et à leur suite, 2000 ans plus tard, ne sommes-nous pas invités, nous aussi, à nous relever, avec eux, et à retrouver l'énergie pour continuer à perpétuer la vie évangélique dans ce monde ?
Le vent se lève, le feu descend du ciel et voici que les disciples se comprennent les uns les autres, nous dit le texte. Malgré la différence des langues et malgré tout ce qui peut les séparer, ils sont comme " sur la même longueur d'ondes ", unis les uns aux autres et ils se mettent à chanter les merveilles de Dieu. Le premier effet de l'arrivée de l'Esprit, c'est donc la force de sortir de soi-même, l'énergie pour s'ouvrir et se relier aux autres. N'est-ce pas d'ailleurs, chers frères et sœurs, ce dont nous avons le plus besoin ?

Un don à accueillir
Mais comment faire ? me direz-vous à juste titre. Comment faire pour participer à l'événement de Pentecôte ? Comment faire pour avoir part, très concrètement, dans notre vie à nous, ici et maintenant, à l'effusion de l'Esprit et bénéficier de son dynamisme ?
Pour être tout à fait franc, je n'en sais rien ! Et le récit que nous avons réentendu tout à l'heure ne nous aide pas beaucoup, en la matière. "L'Esprit souffle où il veut", dit l'Ecriture, et nul ne peut le maîtriser. Et pourtant, il y a un détail qui peut nous mettre la puce à l'oreille. Souvenez-vous : le Christ avait dit à ses disciples, avant de les quitter, qu'il leur enverrait l'Esprit, qu'il leur donnerait le souffle et la force dont ils auraient besoin pour continuer la route sans lui. Le jour de la Pentecôte, ils ont donc bel et bien été surpris par ce qui s'est passé, certes ; mais ils l'attendaient !
Et nous, est-ce que nous attendons, aujourd'hui encore, dans notre existence, qu'un souffle nouveau nous soit donné ? Sommes-nous toujours ouverts à l'Esprit qui viendrait nous visiter ? Car j'en ai la certitude et j'en refais l'expérience toujours à nouveau avec le même étonnement : l'Esprit souffle autour de nous. Et même je crois qu'il ne s'agit pas d'un mince filet d'air frais qui toucherait tantôt l'un, tantôt l'autre d'entre nous. Non, j'ai l'impression que nous nageons dedans, comme le poisson nage dans la mer.
Pour avoir part à l'Esprit, il n'y a donc rien à faire, si ce n'est de l'attendre, de se rendre disponible, de se laisser envelopper par lui, de s'ouvrir à lui et de le laisser agir sur notre être. Et, j'ajoute tout de suite : il se pourrait bien qu'il ne se manifeste que très rarement de manière aussi démonstrative et apocalyptique que ce jour-là, à Jérusalem. D'ordinaire, me semble-t-il, il s'exprime et nous touche plutôt au travers des éléments les plus simples et les plus ordinaires de nos existences.

Lorsque le sourire d'un passant ou une bonne discussion avec mon amie me sort de ma morosité et me redonne un peu d'élan, n'est-ce pas l'Esprit qui m'a visité ?! Lorsque j'écoute quelques mesures d'une musique, que je lis quelques pages d'un bon livre ou que j'assiste à une célébration qui m'apaise, n'est-ce pas l'Esprit qui a passé ? Dans le soleil qui me réchauffe le visage, à la vue d'un paysage de montagnes éclatantes, dans les gestes de tendresse de ceux qui m'entourent, dans leur simple présence à mes côtés, l'Esprit vient à moi comme dans mille et une autres circonstances de ma vie. Il se glisse dans les êtres, les choses et les événements, à leur insu, pour m'insuffler la force et l'élan dont j'ai besoin pour avancer. Par petites doses, mais tous les jours un peu.
Non, il n'y rien à faire pour avoir part à l'effusion de l'Esprit ; simplement à se laisser toucher. Depuis que j'ai compris, dans mon existence, que dans bien des domaines, je n'ai rien créé de mes propres mains pour accéder au bonheur ou à la consolation, mais que j'ai d'abord à percevoir et à recevoir ce que la vie me donne, mon existence a profondément changé. Aujourd'hui, je n'ai pas de recette à transmettre mais cette certitude et cette confiance : que Dieu vient bel et bien à nous par son Esprit, quotidiennement, pour autant que l'on accepte l'idée qu'il pourrait se cacher dans les petits miracles et les petites étincelles de la vie ordinaire.

Un mouvement universel
Chers frères et sœurs, j'aimerais ajouter encore une chose importante : la venue du Saint-Esprit n'a rien avoir avec l'appartenance à une Eglise ou à une autre ; ce n'est pas l'affaire d'une culture particulière, d'une caste particulière ; ça n'a pas de lien ni avec un quelconque vocabulaire, une technique de prière ou des formules incantatoires. L'Esprit Saint, c'est pour tout le monde ! Pour toute personne qui se laisse toucher par le souffle de confiance, de tendresse, d'amour et de fraternité qui traverse ce monde, discrètement, en filigrane.
Il est intéressant, à ce propos, de noter qui étaient les personnes présentes, dans notre récit, lors de la première Pentecôte. Des Juifs de Galilée et des Juifs de toutes les régions connues : de Rome, en passant par la Grèce et l'Egypte, jusqu'à l'Iran actuel. Oui, des Juifs de pure souche et des expatriés ; il y avait même des prosélytes (c'est-à-dire des nouveaux convertis). Pas des croyants 18 carats, en fait ; non, un peu de tout. Des gens de la campagne et des gens de la ville, des gens instruits ou et des gens sans beaucoup de culture. Et tout ce petit peuple bigarré et hétéroclite perçoit, ce jour-là, quelque chose d'un souffle nouveau qui se répand sur le monde. Non, l'effusion de l'esprit, ce n'est pas particulièrement, ni pour les purs, ni pour les super religieux.

Souhait de paix
Pentecôte, jour, où il n'y a rien de grandiose à voir ou à contempler. Jour, où je suis tout simplement invité à percevoir la douceur de Dieu dissimulée dans ce qui m'entoure, dans ceux qui viennent à moi comme dans la tendresse qui repose au fond de mon être pour en être transformé et redynamisé et recevoir la force de marcher, dans le monde d'aujourd'hui, à la suite du Christ, en poursuivant son style de vie, son œuvre.
Le Seigneur m'a fait voir, dit Saint François d'Assise, que la plus haute activité de l'homme et sa maturité ne consistent pas dans la poursuite d'une idée (ou dans l'édification de constructions grandioses), mais dans l'acceptation joyeuse de ce qui nous entoure. L'homme qui poursuit son idée (et passe sa vie à édifier) reste enfermé sur lui-même. Il ne communie pas vraiment aux êtres. Il ne fait jamais connaissance avec l'univers. Il lui manque, le silence, la profondeur et la paix. La profondeur d'un homme est dans sa puissance d'accueil. L'homme qui accueille la réalité qui l'entoure entendra l'Esprit lui parler.

Esprit saint, nous t'attendons.
Ouvre nos yeux, ouvre nos cœurs.
Dans les petits miracles et les événements ordinaires,
Donne-nous de percevoir ta tendresse.
Au contact des petits miracles de la vie
Allume en nous le feu qui ne s'éteint jamais.
Fais naître dans notre vie un nouveau printemps.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Anne-Lise Vuilleumier
Musique
Choeur Alphega