"Moi, je sais où je vais dans la vie. Et puis j'ai la foi, donc je suis tranquille. Je récite mes prières, je vais à l'église tous les dimanches, je mets des sous dans la collecte. Moi, j'ai bâti ma maison sur du roc, bien sûr ! Je ne suis pas idiot !"
"Oui, c'est peut-être vrai. Mais j'aperçois comme une lézarde dans le mur de ta maison. Tu es sûr que c'est bien du roc, là-dessous ?"
"Mais oui, c'est du roc! En plus, je suis baptisé, alors tu vois. Dieu est avec moi, et je le dis haut et fort. Je montre aux autres qu'il m'aime. Il ne peut que m'aimer d'ailleurs, vu la profondeur de ma foi. J'ai une relation privilégiée avec lui. Et je me sens bien comme ça."
"Prends garde, ta maison penche dangereusement. Tu pourrais bien la ramasser sur la tête…!"
La foi ne suffit pas. Voilà ce que dit notre texte biblique. La foi brandie comme un outil, un instrument, la foi qu'on manie avec aisance pour son propre compte, elle ne suffit pas aux yeux de Dieu. Oh, nous pouvons tenter de devenir des champions de la foi, suivre avec rigueur un plan établi pour correspondre à une image de bon chrétien, apprendre à manier les commandements et les principes avec aisance pour nous sentir solides, protégés comme par une coquille. Le problème, c'est que même si la coquille est solide, ce qu'il y a dessous, ça branle et ça s'effrite…
Jésus attend plus de ses auditeurs du jour et de nous aussi. Il nous demande d'obéir à la volonté de son père qui est dans les cieux. Or Dieu nous demande l'amour : "Aime ton prochain comme toi-même." Jésus déclare que notre foi ne peut pas se limiter à un maniement d'outils qui peuvent servir. Elle ne devient foi véritable que si elle est une mise en pratique des commandements d'amour de Dieu.
Nous sommes invités à vivre de notre foi chaque jour, à en rayonner dans nos relations avec les autres, dans notre manière d'appréhender le monde. Si notre foi ne se reflète pas dans notre vie, si nous n'avons pas l'intelligence du cœur, alors notre maison repose sur du sable. Notre foi ne se nourrit pas, elle n'évolue pas si elle n'est pas aux prises avec notre réalité quotidienne, le regard des gens que nous croisons, avec qui nous vivons et travaillons. Jésus nous invite à faire de notre foi une colonne vertébrale plutôt qu'une coquille. Une colonne vertébrale appuyée sur la volonté d'amour de Dieu comme sur un roc.
Au premier abord, en entendant cela, nous pouvons justement nous sentir instables, comme sur du sable. Parce que mettre en pratique notre foi avec de l'intelligence du cœur en suffisance, ce n'est pas simple. Sans coquille, nous sommes vulnérables, renvoyés à notre humanité, à ses imperfections et ses souffrances. Et pourtant, c'est justement là que nous nous tenons sur du roc.
En poursuivant la réflexion, on peut dire aussi que le baptême en tant que tel ne suffit pas, s'il est pris juste comme un geste à tendance magique, pour protéger, pour soi-disant assurer au baptisé la protection de Dieu dans sa vie. C'est tout différent et beaucoup plus que ça : le baptême nous rappelle l'amour de Dieu pour toutes ses créatures, il nous rappelle que Dieu veut faire de nous tous ses enfants, que nous avons de la valeur et que nous sommes, chacune, chacun unique à ses yeux. Et puis le fait d'être baptisés nous appelle à nous engager dans notre vie de foi, à nous engager selon la volonté de Dieu, à apprendre à aimer notre prochain comme nous nous aimons nous-mêmes. C'est là une part des engagements pris par les parents de Célia et de Kilian aujourd'hui, et dont ils seront appelés à prendre la responsabilité plus tard. Le baptême, c'est le signe visible de l'amour de Dieu, qui appelle à vivre dans une foi indissociable de l'intelligence du cœur. C'est un appel à bâtir sa maison sur du roc.
De nouveau, nous pourrions avoir l'impression que le sable file sous nos pieds. Quel engagement, quelle responsabilité que le baptême, pour vous les parents des deux enfants qui l'ont reçu ce matin, pour nous tous ici ! Comment habiter notre baptême suffisamment, comment l'investir jour après jour en répondant à la volonté de Dieu? Et pourtant, c'est justement là, encore, que nous nous tenons sur du roc.
Ce roc, c'est justement, à la base, l'immense amour de Dieu pour toutes ses créatures, baptisées ou non, croyantes ou non. Cet amour est la base de notre vie, c'est par amour que nous avons été créés. Et c'est dans la sécurité et la douceur de cet amour que nous sommes invités à grandir, à vivre de notre baptême, à mettre en pratique notre foi selon la volonté de Dieu. Donc, devenir des champions du maniement de la foi, c'est superflu, ça ne nous est pas demandé et ça ne garantit rien ! Utiliser le baptême comme une sorte de porte d'entrée qui donne accès à l'amour et à la protection de Dieu, c'est en décalage et c'est inutile. L'amour de Dieu nous dépasse tellement, de toute façon, qu'aucune de nos constructions ou de nos volontés humaines ne sont à sa mesure. Nous sommes appelés, tous et toutes, à nous reposer sur lui pour toutes nos entreprises.
Pourtant, tout n'est pas que sécurité et douceur, il y a une exigence ferme, que Jésus exprime dans la parabole d'aujourd'hui: c'est l'exigence d'amour, l'appel à faire de notre vie un témoignage concret d'amour, à notre mesure et avec nos moyens. C'est l'appel à sortir de notre coquille pour courir le risque des autres, de la rencontre, le risque de tâtonner pour évoluer, le risque d'une foi intelligente, parce que consciente des actes et des paroles qui y sont liés. Cette exigence s'adresse à chacun, et en particulier, il faut le dire, à celles et ceux qui se réclament du nom de Jésus-Christ. Tout cela avec une certitude : l'amour de Dieu est premier, c'est la grâce, ce sont des bras ouverts pour embrasser quiconque souhaite se donner.
Amen !