«Tu veux me suivre ? Très bien, viens. Mais sache une chose importante : je ne me repose jamais. Je n’ai pas d’endroit où poser ma tête. Je marche sans cesse, je dois répandre le message que j’apporte. Ce message vient de Dieu. En fait, c’est une invitation, tu sais. Je vais de ville en ville, de village en village pour inviter les gens à la tendresse, au respect, à l’écoute, à la fraternité. Viens avec moi, tu peux me suivre si tu veux, mais ne compte pas sur des vacances ! C’est urgent, le monde se meurt de manque d’amour, il s’étouffe dans ses lois et ses règlements. Tu comprends, le monde se trompe de relation avec Dieu. Il confond le Père avec une liste interminable de commandements, de préceptes.
Viens, tu peux marcher à ma suite, mais tu seras moins bien logé que les renards et les oiseaux. Tu risques d’avoir froid, et ta tunique sera maculée de poussière bien souvent. Tu ne pourras plus compter sur personne d’autre que Dieu, si tu me suis. Est-ce que tu comprends ? Je n’en suis pas sûr. Je ne suis d’ailleurs pas sûr de comprendre moi-même. Il m’a envoyé, mon Père, parce qu’il voudrait que tous les hommes et toutes les femmes découvrent dans leur vie un Dieu Père tout d’amour : lui. Imagine l’immensité de ma tâche ! Même si je sens confusément où je vais, je découvre les chemins à mesure que je marche.
Des visages se dessinent devant moi, comme le tien. Vous êtes ma raison d’être présent au monde. Je vous aime. D’un amour infini et très exigeant. Tiens par exemple, toi, si tu veux me suivre, c’est maintenant. Tu n’as pas le temps d’aller enterrer ton père. C’est terrible qu’il soit mort. Mais il est parti, tu sais, et maintenant tu ne peux plus rien faire pour lui. Tu me regardes fixement, tu pâlis, tu rougis ; tu pâlis de nouveau. C’est ton père, n’est-ce pas ? Il y a des choses qui ne se font pas ! Dire au revoir, c’est important. Mais dis-moi, ne serait-ce pas plutôt un devoir religieux auquel tu te sens obligé ?
Tu te révoltes parce que ton père, tu l’aimes, bien sûr. Ne va pas croire que je n’accorde pas d’importance à l’amour : c’est ce qui me constitue tout entier. Pleure ton père dans ton cœur. Je suis là, je t’aime et je t’accompagnerai si tu veux de ma tendresse infinie pour toi. Viens, et vis ! Viens et trace avec moi la route de la grande nouvelle venue de Dieu. Ne reste pas trop longtemps au bord de la tombe, ne laisse pas s’en aller celui qui t’offre d’aller ailleurs et plus loin. Prends dans ton cœur le trésor de ton amour pour ton père. Moi, je prendrai sur moi ton chagrin. Et mets-toi en route : suis-moi !
Suis-moi ! C’est ainsi que je suis fait. Je marche sans fin, dans le sable et les pierres, au bord du lac et de la rivière, sous les oliviers aussi, et dans l’ombre des maisons. Si je m’arrête, c’est pour te rencontrer, toi. Tu as une famille, tu as des liens affectifs et des racines. C’est bien, tu n’es pas dans la solitude. Tu sais ce que c’est que d’aimer, de lutter pour les siens, tu connais le sens du partage. Tu es en sécurité aussi. Eh bien moi je t’appelle : laisse derrière toi ton refuge, tes sécurités, ce qui te lie aux tiens, et suis-moi ! Renonce à tout cela, ne dis même pas au revoir. A quoi bon ? Fais-moi confiance, ne crains rien, mon appel résonne pour bâtir, pour tisser, pour pétrir la pâte humaine afin que mon Père y fasse germer son Royaume.
Tu souris ? Tu me dis que tu n’es pas fou ! Que même pour un empire tu ne laisserais pas les tiens, ni tes sécurités affectives ! Tu ne vois pas pourquoi tu devrais renoncer à tout ce qui fait ton bonheur au quotidien. Tu trouves que je suis contradictoire, parce que je parle l’amour et que j’essaie de déchirer tes liens avec les tiens. C’est mon langage imagé, c’est ma manière de venir te cueillir au creux de ton existence humaine pour t’emmener avec moi sur les chemins de Dieu ; ça t’érafle un peu les oreilles sans doute. Je suis venu te provoquer, te déranger dans tes convictions. C’est parce que je t’aime ! Oui, c’est vrai, même si ça t’écarquille les yeux !
Tu pourrais peut-être les ouvrir « autrement », pour trouver derrière ces images le dessein de Dieu. Et tes oreilles, si elles entendaient derrière les mots le cadeau qui t’est offert. Tu vis là où es, entouré des tiens, de tes amis, et c’est bien ainsi. Mais si tu renonçais à t’y agripper pour tout remettre aux mains de Dieu ? Si tu me donnais la première place dans ta vie ? Alors, entre eux et toi, il y aurait comme un grand souffle de liberté, non ? Tu ne leur appartiendrais plus, tu ne dépendrais plus d’eux ni eux de toi ! Au milieu, il y aurait la tendresse infinie de mon Père, ton Père, le leur aussi ! Plus de contraintes, plus de devoirs et d’obligations, plus de relations possessives. Là, sur ce terrain dégagé en toi, sur ce chemin de vent et de poussière, la vie pourrait avancer et grandir en toi, et en eux tous aussi.
Viens, suis-moi. Pour aller où ? Voilà ce qui te fait peur, n’est-ce pas ? Je voudrais t’emmener vers la vie, tout simplement ! Là où elle chante, où elle vibre au fil des saisons et des âges. Je t’invite à la vie sans les bagages d’hier, sans autre charge que la légèreté des souvenirs doux nichés au fond de toi. Je voudrais t’emmener vers ma vie, là où l’amour a secoué de ses pieds la terre des tombeaux pour accrocher au soleil le souvenir des visages perdus ; là où toute rencontre est richesse, où l’avenir est en germe en permanence, dans un présent ouvert à la saveur de chaque heure.
Suis-moi. Renonce à ce qui te pèse, laisse couler les larmes qui t’étouffent, efface les devoirs qui te font traîner les pieds. Ne regarde pas en arrière, le passé est aux mains de mon Père, ton Père, celui que je viens annoncer. Viens, suis-moi ! Il n’y a pas beaucoup de repos au long de cette vie de nomade de l’amour, mais tu auras toujours un refuge, une sécurité. Regarde derrière mes paroles qui te font douter de ton élan à me suivre : dis, tu n’y vois pas la main de lumière tendue vers toi ?