Romains 9, texte célèbre, texte difficile : Dieu a son plan pour choisir les hommes : son choix dépend de l’appel qu’Il leur adresse et non de leurs actions.
Pour montrer qu’Il demeure fidèle à ce plan, Dieu a dit à Rébecca – alors que ses fils n’étaient pas encore nés et n’avaient donc accompli ni bien, ni mal – : « L’aîné servira le plus jeune. » Comme le déclare l’Ecriture : « J’ai aimé Jacob, mais j’ai repoussé Esaü. Que dirons-nous donc, Dieu serait-il injuste ? Certainement pas, car Il a dit à Moïse : « J’aurai pitié de qui je veux avoir pitié et j’aurai compassion de qui je veux avoir compassion. » Cela ne dépend donc pas de ce que l’homme veut, ni de ses efforts, mais uniquement de Dieu qui a pitié. Ainsi Dieu a pitié de qui Il veut et Il endurcit le cœur de qui Il veut. On me dira peut-être : S’il en est ainsi, qu’est-ce que Dieu reproche encore aux hommes, car qui peut résister à sa volonté ? Mais qui es-tu donc, toi homme pour contredire Dieu ? Le vase d’argile demande-t-il à celui qui l’a fabriqué : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier peut faire ce qu’il veut avec l’argile. A partir de la même pâte, il peut fabriquer un vase précieux et un vase ordinaire.
« J’ai aimé Jacob, mais j’ai repoussé Esaü. »
Chers frères et sœurs,
Ce texte de St-Paul est un chant à la liberté de Dieu ; c’est un hymne à la justice de Dieu ; c’est une déclaration en faveur de la toute-puissance de Dieu ; c’est enfin l’adoration devant la miséricorde de Dieu. Ce texte a été au cœur de ce qui constitue nos racines à nous, communautés réformées protestantes, au XVIe siècle. En effet, au temps de la Réforme, on a trouvé dans ce texte une réponse à l’angoisse de l’époque – une angoisse qui ressemble du reste à celle de notre époque : les hommes et les femmes de ce temps étaient obsédés par une mort constamment présente et ils voulaient savoir ce qui adviendrait d’eux après la mort. Seraient-ils sauvés ou ne le seraient-ils pas ? Iraient-ils au paradis ou croupiraient-ils en enfer ? Et vous savez très bien que, pour calmer cette anxiété, ils courraient les pèlerinages, ils achetaient des bouts de papier – ce qu’on appelait des indulgences qui étaient censées remettre des peines que nous devions subir après notre mort. On disait que quand la pièce d’argent par laquelle on achetait une indulgence tombait au fond de la caisse, l’âme s’envolait vers le paradis !
Il y avait une véritable angoisse dont l’église de l’époque tirait finalement un bon profit ! Et voilà que les réformateurs, appuyés sur cette parole de saint Paul, ont dit à leurs contemporains : Vous êtes libres ; ne vous faites pas de souci ; n’allez pas courir les pèlerinages pour être sauvés. Dieu vous a choisis. Dieu n’a pas fait attention à ce que vous faisiez ou vous ne faisiez pas, non, il vous a choisis : « J’ai aimé Jacob… » Du jour au lendemain, les choses se sont transformées : les gens ont abandonné leurs peurs, ils ont changé d’attitude religieuse. Ils ont rencontré un Dieu qui était un Dieu libre, un Dieu juste, un Dieu tout-puissant, un Dieu de miséricorde. Je crois qu’en abordant ce texte, il faut que nous soyons pénétrés de ces certitudes et que nous puissions adorer Dieu en toute confiance, mais vraiment en toute confiance.
Pourtant, voyez-vous, au XVIe siècle comme à notre époque, ce texte à la fois exalte et fait peur. « J’ai aimé Jacob… » Jacob, c’est nous, c’est chacune et chacun d’entre nous, que Dieu aime. Et puis il y a la seconde partie de la phrase : « …et j’ai repoussé Esaü. » et plus loin le texte ajoute : « J’aurai pitié de qui j’aurai pitié. » Certes, Dieu a pitié de chacune et chacun d’entre nous, mais que faire de la suite de la phrase : Dieu endurcit le cœur de qui Il veut.
Inévitablement, on ne peut pas ne pas se poser la question : est-ce que vraiment Dieu a pitié de moi ? Est-ce qu’éventuellement, tout de même, il n’y aurait pas, me concernant, une volonté différente de Dieu, qui, comme il l’a fait avec Esaü, me repousserait, qui ferait en sorte que je sois endurci et par conséquent que mon sort ici-bas, – mais surtout dans l’au-delà – serait peu enviable ? Comme si nous imaginions qu’il y a, d’une part, le royaume de Dieu – qui est le royaume de la grâce – et puis à côté, comme en parallèle, comme un rival, le royaume du mal, le royaume de Satan, qui n’a que les enfers comme terminus et auquel, peut-être, je serais destiné.
Il ne faut pas échapper à cette question. Il faut la poser. Je dirais même qu’il faut se battre avec cette question, car voyez-vous, elle pollue nos esprits, elle parasite notre foi. Il faut faire justice de cette idée qu’il y aurait d’une part un Dieu bon et miséricordieux et d’autre part un Dieu qui éventuellement nous ferait in fine un coup tordu.
Pour bien comprendre ce que signifie : « J’ai aimé Jacob, et j’ai repoussé Esaü. » pour nous aujourd’hui, il faut que nous tournions notre regard vers l’œuvre de Jésus-Christ. Que s’est-il passé au terme de sa vie ? Jésus est venu annoncer l’Évangile, c’est la Bonne Nouvelle, à tous les petits d’Israël. Il leur a dit des choses magnifiques et voilà que Jésus finit sa vie, lui qui est porteur d’amour, crucifié sur une croix.
Que se passe-t-il sur cette croix ? Cette croix, c’est le refus, par le mal, par la colère des hommes, de cet amour que Dieu leur voue. Dieu apporte la miséricorde et on le cloue sur une croix. Jésus, c’est Jacob cloué sur une croix, c’est l’amour de Dieu qui est cloué sur une croix. Mais ce n’est pas tout ! Et ce qui suit fait la spécificité de notre foi chrétienne ; dans le concert des religions, c’est cela que nous avons à dire, à annoncer et surtout à vivre, à savoir que ce n’est pas que la bénédiction qui est clouée sur une croix, car Jésus n’est pas seulement l’homme élu de Dieu qui est anéanti, car sur la croix, Jésus assume aussi le sort de tous les damnés. Quand Jésus meurt, on pense que c’est seulement un message d’amour qui meurt. En réalité, c’est beaucoup plus que cela : Dieu fait de cette croix, Dieu fait de son propre Fils, celui qui va faire mourir la mort.
C’est donc aussi Esaü, le repoussé, qui meurt sur la croix, c’est aussi cet endurcissement, signe de la colère de Dieu, qui est cloué sur la croix. Jésus, il est à la fois sur la croix Jacob qui meurt et Esaü qui meurt. La croix est l’endroit où tout le négatif de l’humanité est condamné par Dieu ; Dieu le cloue sur du bois. Or, qui est vraiment Jésus ? C’est à la fois, bien sûr, un homme, nous-mêmes, mais c’est aussi Dieu lui-même. Dieu fait tomber toute sa colère sur son propre fils, c’est-à-dire sur lui-même. Par la volonté de Dieu, Jésus est à la fois l’homme élu par Dieu et l’homme réprouvé par Dieu.
Vous le savez très bien, la croix - le Vendredi Saint - ne peut pas être dissociée de ce qui se passe après. Après, c’est le matin de Pâques, ce que nous appelons la Résurrection et qui signifie que tout ne s’est pas arrêté avec Jésus cloué sur du bois, avec la bénédiction clouée à la croix. Par la Résurrection, Dieu a voulu que la vie reprenne le dessus, il a voulu que Jacob ressuscite et qu’Esaü reste dans la mort, qu’Esaü n’ait plus d’importance, que l’endurcissement soit surmonté et n’ait plus d’avenir. La Résurrection, c’est la vie, c’est un signe que Dieu nous donne à chacune et à chacun, que, oui, définitivement, il a aimé Jacob.
Après Pâques, il faut dire non plus : « J’ai aimé Jacob », mais : « J’aime Jacob ». C’est au présent que Dieu nous dit cela. « Je vous aime, vous… », chacune et chacun. En revanche il faut prendre au pied de la lettre l’affirmation « …et j’ai repoussé Esaü. » C’est une chose qui est faite, définitivement, qui est derrière nous. L’endurcissement est une affaire du passé. Le Dieu auquel nous croyons, le Dieu que nous avons confessé tout à l’heure, le Dieu que nous prions, c’est le Dieu qui a, comme le dit magnifiquement Luther, « …pris notre malédiction pour nous donner la bénédiction. »
Il n’y a pas deux règnes en concurrence ; il n’y a plus désormais pour nous que le règne de la grâce, celui de la bénédiction. L’endurcissement n’est pas, n’est plus, dans le plan de Dieu pour nous. L’endurcissement, il a été englouti définitivement sur la croix. L’endurcissement, l’enfer, c’est nous qui nous l’appliquons à nous-mêmes, c’est nous qui le faisons subir aux autres. Ça n’est pas la volonté de Dieu. Il faut constamment dans notre foi, dans notre prière, dans nos pensées, que nous revenions à ce qui se passe sur cette croix et à la manière dont Dieu fait de cette malédiction, finalement une bénédiction.
Frères et sœurs, il y a bien sûr une question qu’on se pose qui est très légitime – une question qui à mon avis est une fausse question, mais on va quand même la poser ! En fin de compte, est-ce que Dieu veut que tous les hommes et toutes les femmes soient sauvés ? Je vais vous dire qu’on ne peut pas répondre à cette question, mais je vais vous dire quand même ce qu’on peut dire de cette question ! Si on répond par l’affirmative : Dieu veut que tous les hommes et les femmes soient sauvés, on met la main sur la liberté de Dieu. Moi, petit prédicateur dans une paroisse de campagne, je ne peux pas faire cela. Je ne peux pas vous dire : oui tout le monde sera sauvé. Mais je ne peux pas non plus vous dire non. Parce que si je vous disais non, Dieu ne veut pas que tous les hommes et les femmes soient sauvés, je mettrais la main sur la miséricorde de Dieu. Or, il est vrai que la résurrection dont nous vivons dès maintenant est le signe que la miséricorde va bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer.
C’est la raison pour laquelle il faut que nous posions une autre question : face à ce Dieu – le Dieu de l’Evangile – dont la miséricorde est la seule parole que nous puissions prendre au sérieux après le matin de Pâques – face à ce Dieu, qu’est-ce que je fais, moi ? Est-ce que je marche avec lui ? Est-ce que je me laisse faire miséricorde ? Est-ce que je renonce à me damner moi-même par toutes sortes de pensées absurdes, de gestes mortifères ? Est-ce que vraiment je suis prêt à recevoir ce Dieu, ce Dieu qui veut que je vive, ce Dieu qui véritablement me fait bénédiction comme Il le fait à Jacob ? Ou bien est-ce que je me laisse obséder par le sort d’Esaü ? Je vous donne un conseil : laissez Esaü, réduisez-le à un mot de quatre lettres que les cruciverbistes, les amateurs de mots croisés, aiment beaucoup et qui répond à la définition : « A vendu son droit d’aînesse contre un plat de lentilles » ! Laissons Esaü aux mots croisés et gardons Jacob, l’aimé de Dieu, comme vous, chacune et chacun, vous êtes aimés de Dieu.
Et retournez-vous constamment vers ce Dieu qui est libre, qui vous aime, qui est tout-puissant et dont la toute-puissance a définitivement dit à l’humanité : « Je choisis la vie, je tue la mort ». C’est cela notre vocation. En relisant ce texte de Romains 9, vous penserez que c’est Jacob qui vous concerne, que c’est la pitié de Dieu qui est pour vous et que finalement le pot que Dieu façonne avec votre être est un pot qui va servir à la bénédiction, qui va rafraîchir vos frères et sœurs en l’humanité, qui va vous aider à vivre vous-mêmes. Ne craignez pas de relire ce texte, il y a encore beaucoup de choses à en tirer et à en dire. Mais placez-vous face à la croix et à la résurrection de Pâques quand vous le lirez. N’ayez pas peur, mais tirez-en au contraire un dynamisme pour aujourd’hui, quel que soit l’état dans lequel vous êtes, un dynamisme qui vous fait placer un pied devant l’autre, un dynamisme qui vous permet de rayonner et de faire comprendre aux autres, ceux que vous côtoyez, qu’ils sont aussi des Jacob que Dieu veut aimer.
Amen !