Chers frères, chères sœurs,
N’est-ce pas étrange ? Nous sommes là, bien calmement assis à écouter. Et je pense aussi à vous tous qui m’écoutez à la radio, allongés ou assis, debout devant votre glace faisant votre toilette ou conduisant un véhicule. Et voilà non pas un tremblement de terre, non pas un incendie ou une tempête, non ! Voilà que passe un souffle puissant, mais doux. Voilà que la parole de Dieu passe, s’élève et s’en va et tout peut alors devenir différent, votre vie peut basculer – comme rien ne peut se passer !
Je ne sais pas comment le Saint-Esprit, l’Esprit de Dieu va vous parler aujourd’hui, enfourchant nos paroles d’homme pour se glisser subrepticement dans vos pensées. Mais je sais qu’il ne va pas s’imposer à vous, parce que Dieu ne s’impose pas, jamais ! Non, il se propose, tout simplement, murmurant doucement à votre oreille, frappant à la porte de vos cœurs, comme l’amant au volet clos de son amoureuse. Alors, il ne tient plus qu’à toi de savoir comment réagir, mon frère, ma sœur ! Vas-tu te précipiter pour ouvrir tout grand tes oreilles et ton cœur, au risque que rien ne soit plus jamais pareil ? Où vas-tu retourner te coucher sur ton confortable oreiller d’indifférence ? Si tu ne te précipites pas dés maintenant sur ton poste de radio, si tu ne te bouches pas les oreilles, alors écoute !
Ne l’entends-tu pas ? C’est l’Esprit de Dieu qui t’appelle à le suivre, à l’écoute de l’enseignement de Jésus-Christ tel que l’Évangile nous le transmet. À le suivre dans ta tête, dans le raisonnement, mais aussi dans ta vie, dans toutes les implications que t’inspireront cet enseignement.
L’évangile de Luc aujourd’hui ne contient pas un discours sur la manière de vivre ou de croire, mais une parabole. Une parabole qui met en scène, fictivement, un personnage. Et bizarrement, ce personnage, nous le retrouverons dimanche prochain, en chair et en os. C’est un publicain. Un homme public, si vous préférez. Un collecteur d’impôt. Je sais, actuellement ça a l’air banal, comme ça, mais à l’époque c’était quelqu’un ! Parce que le publicain était désigné à la détestation populaire par un parti d’extrême droite, un parti religieux extrémiste et populiste comme il n’en existe aujourd’hui qu’en Israël, en Palestine ou en Iran, par exemple. Ils auraient pu tout aussi bien diriger la haine du peuple contre je ne sais pas, moi ? les coiffeurs ou les femmes ! Regardez la femme adultère, par exemple. Mais non, pour eux, le publicain était la victime idéale, comme le fonctionnaire d’aujourd’hui ! Déjà haï par le reste de la population pour sa conduite malhonnête, ses pratiques brutales au service – qui plus est – de l’occupant romain ! Bref, l’antithèse même pour ceux qui, en face, se considéraient comme vertueux et se désignaient eux-mêmes sous le nom de pharisiens, ce qui veut dire « séparés ».
Ce collecteur d’impôts, cette semaine, n’a pas de nom. La semaine prochaine, il en aura un, Zachée, mais ici il demeure anonyme : « cet homme », c’est en fait un homme comme tous les autres, un homme comme nous. Voilà, je l’ai dit, l’histoire va pouvoir commencer ! Ou plutôt non, encore un dernier détail : ici, nous ne sommes pas en face d’un problème politique sur lequel Jésus voudrait prendre parti, comme l’Église a pu le faire parfois dans l’histoire. Il s’agit d’une parabole ! Et une parabole, voyez-vous, ce n’est pas un discours, mais une petite histoire par laquelle Jésus vise à intéresser son interlocuteur. Et même à l’intriguer.
Qui dit parabole dit contre-pied ! Vous écoutez l’histoire, elle vous paraît tout à fait banale ou révoltante, elle ne vous dit pas grand-chose au premier abord, puis tout à coup elle vous fait sens. Comme une histoire drôle un peu fine, de celles que l’on ne comprend pas toujours à la première écoute. Parce que son but est de vous atteindre un peu plus profondément qu’une histoire normale. De nous concerner vraiment, dans notre identité propre. C’est comme une histoire vaudoise, de celles que les vaudois aiment bien raconter sur eux-mêmes, même si elles les ridiculisent un peu, parce qu’elles les dépeignent bien et qu’ils savent qu’il est sage de se moquer de ses propres travers. L’humour, c’est alors d’en accepter la leçon et d’en tirer des conséquences pour éviter le ridicule qui, lui, peut tuer. Mieux vaut se faire moquer de soi gentiment que de se faire ridiculiser par une ironie mordante qui, elle, veut faire mal !
Ici, c’est la même chose. Il y a un détail qui va faire que l’histoire n’est pas aussi banale et moralisante qu’il n’y paraît. La parabole, c’est la spécialité de Jésus ! Il aime bien enseigner les choses comme ça, l’air de rien. Il faut alors y réfléchir d’un peu plus près pour y trouver la « perle de prix » qui y est cachée : quelque chose qui va nous obliger à changer notre point de vue. Jésus a beau parler là à des pharisiens de son époque, l’évangile a beau raconté cette histoire à des Grecs qui vont la comprendre autrement, au-delà des anachronismes et des décalages culturels, il nous appartient de l’entendre et de savoir ce qu’elle nous dit à nous aujourd’hui.
« Deux hommes montèrent au Temple pour prier. » Bon, le contexte est différent, nos temples ne sont pas, comme le Temple de Jérusalem, des lieux consacrés où la présence de Dieu se fait plus manifeste qu’ailleurs aux yeux des juifs pieux de cette époque. Monter au Temple, c’est vraiment se mettre en présence de Dieu.
« Deux hommes sont devant Dieu. » Belle unanimité, entre celui qui aime bien s’y montrer et celui qui se tient à distance. Bizarre, c’est lui qui est séparé des autres, mais ils prient tous les deux en même temps, même si la parabole les sépare pour plus de commodité.
« L’un était Pharisien, l’autre collecteur d’impôts. » Déjà, de les mettre sur le même plan, ça ne colle pas ! Imaginez à la télé un face-à-face entre un télévangéliste américain sudiste et un Africain membre de l’ONU soupçonné de détournement de fonds ! Imaginez l’état d’esprit des téléspectateurs, pour qui il va d’instinct prendre parti ? C’est trop simple, il y a le bon et le mauvais. Et encore trop simple d’inverser la situation et de faire en sorte que le plus humble gagne : « En effet, quiconque s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »
Bien sûr, il y a la première lecture, qui nous fait dire : « bravo, le publicain ! Ça, c’est beau, de savoir reconnaître ses torts ». Et « bouh ! Le pharisien ! C’est pas bien d’écraser ses petits camarades ! » On peut en déduire que Jésus n’aime pas les pharisiens et leur préfère les publicains. Ce serait tomber dans le panneau. Jésus ne cherche pas la provocation gratuite, son but n’est pas de se faire éjecter par les pharisiens, de les renvoyer à leur vision sectaire de la vie. Non ! Jésus au contraire veut les amener à réfléchir. Sont-ils obligés de se comporter ainsi simplement parce qu’ils portent l’étiquette « pharisiens » ? Est-ce que de se mettre à part et au-dessus est la meilleure manière de vivre sa religion ? Est-ce qu’en s’élevant ainsi au-dessus des autres hommes à force de bonnes actions ou d’exploits physiques c’est vers Dieu que l’on s’élève ou vers plus de vanité ? Ne confondent-ils pas le ciel avec les nuages ? En montrant comment la personne qui leur paraît la plus éloignée de leur idéal peut parvenir à un meilleur résultat qu’eux par une simple vision lucide de lui-même, il leur montre la voie à suivre. Une autre que celle qu’ils considèrent à tort comme la meilleure, qu’ils défendent avec acharnement contre toutes les autres et qu’ils espèrent même imposer à ceux qui les entourent. C’est ainsi qu’une idéologie qui propose des mesures simplistes pour arriver au paradis s’enferre dans ses propres slogans sans plus pouvoir en sortir.
Mais ici, il y a la parabole. Et parce qu’elle présente deux voies toutes humaines pour « tomber juste » dans son comportement, il vaut la peine de les évaluer toutes les deux. Car ne nous méprenons pas sur la morale de l’histoire ! Une parabole, pour ça, c’est comme une fable ou un conte, qui sont faits justement pour nous montrer de façon claire, presque caricaturale, des « types » humains auxquels nous pouvons nous identifier rapidement. C’est plus facile, finalement, pour nous qui ne sommes ni pharisiens, ni publicains, de nous identifier à chacun d’eux. L’un représente notre face claire, l’autre notre face cachée.
Je suis pharisien chaque fois que «je te remercie, Ô Dieu, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes qui sont voleurs, mauvais et adultères.» Lorsque j’oublie bien volontiers que je prends des libertés avec la loi ou l’autorité, à chaque fois que la surveillance se relâche. Dites-moi donc sinon pourquoi certaines radios signalent les radars de la police, hum ! On est tous concernés là, au moins pour les quelques minutes où l’on aurait oublié de regarder notre vitesse tout en continuant d’appuyer sur le champignon. Et ce n’est là qu’une image de tout le reste, pour lequel nous déployons une imagination fertile. Je préfère ne pas trop vous dire quand nous sommes « voleurs, mauvais et adultères » « comme le reste des hommes ». Mais y a-t-il un seul homme honnête qui m’écoute et qui pourrait vraiment dire : « Je ne le suis pas » ? Honnêtement ? C’est comme avec la femme adultère : « Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés ! et Jésus resta seul »
Je suis publicain chaque fois que je me tiens à distance de mes frères et sœurs par honte de ce que je suis, de ce que j’ai fait. À chaque fois que je n’ose pas me confier à quelqu’un, que je garde en moi ma culpabilité, authentique ou supposée. Ou lorsque je redoute le poids du qu’en-dira-t-on au point de ne plus sortir de chez moi. Ou encore simplement le poids du regard des gens sur mon handicap ou mon infirmité.
Je suis pharisien chaque fois que « je te remercie, Ô Dieu, de ce que je ne suis pas comme ce collecteur d’impôts. » À chaque fois que je juge celui que je regarde, chaque fois que je mesure l’autre à ma mesure pour me trouver mieux que lui. Et surtout à chaque fois que je le condamne sans appel, sans même l’avoir approché.
Je suis publicain chaque fois que je n’ose « pas même lever les yeux vers le ciel » que ce soit par honte de ce que j’ai fait, ou parce que je n’en attends plus rien ou enfin parce que pour moi il n’y a rien là-haut, rien au-dessus de moi pour me rattraper.
Je suis pharisien chaque fois que je me pense « en règle », juste aux yeux de Dieu et des hommes, parce que je ne fais que mon devoir et pense que cela suffit pour construire une société fraternelle. Surtout si l’on pense qu’être chrétien, c’est faire quelque chose pour être bien vu de Dieu, alors même que Jésus nous apprend que l’important n’est pas de faire, mais d’être et d’être aimant, aimant Dieu et aimant les hommes.
Je suis publicain chaque fois que je me frappe la poitrine en disant : «Ô Dieu, aie pitié de moi, qui suis un pécheur ! » J’en vois déjà qui sourient en disant : le voilà bien, le christianisme, cette religion qui pense que faute avouée est pardonnée ! Mais ils n’ont pas compris. Car avec Jésus, la faute est déjà pardonnée avant même d’être avouée. Se reconnaître pécheur, ce n’est pas faire une longue liste de tout ce que l’on a commis, en actes, en pensées ou en l’imaginant. C’est simplement reconnaître que l’on ne pourra jamais, par soi-même, sortir de notre péché. Tout comme personne ne peut se délivrer de ses pensées et encore moins de son inconscient, mais simplement les accepter et vivre avec le mieux possible en essayant de se dominer. La solution de cette équation a de nombreuses inconnues, c’est Jésus qui nous la donne : le iX est un Ki, celui de Christ. Dans le fait même de demander pardon à Dieu, il y a la foi en la promesse de pardon telle que Jésus nous l’a apportée. Promesse qu’il a scellée de son sang.
Publicains ou pharisiens qui m’écoutez, ne craignez rien ! Dieu nous a entendus, il sait notre soif de délivrance, notre angoisse de vivre dans un monde fermé, borné par le temps et l’espace. Et il nous aime assez, nous autres pauvres créatures humaines, pour nous préparer encore une place dans la maison de son Père, pourvu que nous entendions son appel.
C’est cet amour qui doit te permettre, ma sœur, mon frère, d’être dans ce monde, dans ce pays, là où tu es, tel que tu es, témoin de Jésus-Christ. Sans croire les sirènes de la réalité matérielle dont le chant ravissant veut te détourner de cette parole claire, mais ténue qui murmure au fond de ton cœur. Et qui te dit : « ne méprise pas les autres, et sache qui tu es vraiment, tout faible et plein de contradictions. C’est ainsi que tu sauras quel prix tu as vraiment aux yeux de Dieu ».
Amen !