Ah, ces mains ! Elles sont souvent empruntées. Lorsque nous sommes sur une scène ou devant les autres, nous ne savons pas qu’en faire et elles commencent à se tortiller. Et là, aujourd'hui, dans cette chaire, est-ce que j'ose vous montrer l'état de mes mains ? Il se pourrait bien qu'elles manifestent quelques émotions en tremblant un peu !
D’ailleurs, les mains sont souvent utilisées dans des expressions qui en font le symbole de notre attitude intérieure ou de notre action. Je vais vous citer quelques-unes de ces expressions parlant des mains. Dans la Bible, le geste de lever les mains et souvent rattaché à la prière.
Alors les expressions à propos des mains ont parfois des sens contradictoires, mais en même temps elles nous donnent chacune à leur manière un éclairage sur la prière. Elles nous aideront aussi à donner un sens aux gestes de Moïse dans l'épisode entendu ce matin. Dans cette histoire la position de ses mains est vitale pour son peuple. En haut, en bas, tout le destin et la survie du peuple d’Israël sont en jeu.
Et de une : si vous êtes à l’école ou dans une assemblée, vous « levez la main » pour demander la parole. Vous levez la main pour avoir le droit de vous exprimer. En levant la main, vous manifestez que vous voulez prendre votre place pour dire votre avis ou poser une question. Vous entrez dans la discussion.
En reliant cette tradition à la prière, nous mettons en évidence que la prière est une prise de parole. En levant la main, je ne vais pas rester muet face aux circonstances, face à tel ou tel événement. En levant la main, je manifeste mon intérêt, mes questions, mes demandes, j’entre en dialogue avec Dieu, même si c'est pour lui dire ma colère, ma révolte ou mon incompréhension.
Celui qui «lève la main», en se mettant en prière refuse de fuir la réalité. Celui qui «lève la main» refuse de fuir les difficultés. Celui qui «lève la main» prend la responsabilité que Dieu lui donne. Il refuse le fatalisme, qui affirme : «de toute façon on n’y peut rien ». Il lève la main pour prendre la parole devant Dieu.
Une autre : dans les films celui qui est attaqué par un malfaiteur ou arrêté par la police, s'entend dire : «Haut les mains !» Il a intérêt à s'exécuter pour montrer sa volonté de ne pas se défendre, de laisser à l’autre l’autorité, l’initiative sur le cours de l’événement. Cette position, les deux mains en l'air, est plutôt humiliante.
Et pour prier il faut de l’humilité et à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il faut de l'humilité pour reconnaître un manque, admettre que nous avons besoin d’aide et nous placer sous l’autorité de Dieu. Petit souvenir à l'opposé de cette idée : lorsque j'étais toute jeune, paraît-il, j'avais l'habitude de dire, lorsque quelqu'un voulait m'aider: « A'ive moi! », («J'arrive, moi !» sous-entendu, laissez-moi faire toute seule !) Et à force d'essais, je finissais par réussir ce que j'avais entrepris... enfin pas toujours.
L'humilité consiste à reconnaître que même si nous pouvons et voulons faire une part du travail, contribuer à ce que nous demandons à Dieu, nous ne voulons, ni ne pouvons faire sans lui.
L’humilité est aussi présente dans l’impossibilité de contrôler le résultat de notre prière. Nous demandons, mais après que se passera-t-il ? Nous ne savons pas, nous croyons. Attention, comme pour le bâton de Moïse, il n'y a rien de magique. Nous ne pouvons pas maîtriser la réponse de Dieu. Mais Dieu répond toujours – à mon avis – Dieu répond toujours, mais pas toujours là, où et comment nous l’aurions imaginé.
Prier, c'est aussi accepter humblement là, où et comment Dieu a choisi de nous répondre.
Le fataliste, lui, n’a même pas «levé la main» pour remettre la situation dans la prière ! Puisqu’il croit que : «de toute façon nous sommes condamnés à nous en remettre plus loin ! A quoi bon ?» Et bien il ne risque pas de voir que Dieu lui a répondu d'une manière ou d'une autre.
Et une dernière : La position les deux mains en l'air est éventuellement rigolote, mais vite fatigante. L’Exode nous parle de cette fatigue physique de Moïse qui baisse les bras petit à petit. Et bien, ça aussi c'est une expression : «baisser les bras», nous baissons les bras quand nous sommes découragés. Comment d'ailleurs ne pas baisser les bras, quand le temps de l'exaucement se fait tellement attendre ?
Mais, je trouve dans la Bible des fortifiants pour mains fatiguées en paraphrasant le message d'espoir du prophète Esaïe qui disait à son peuple découragé : «Fortifiez les mains fatiguées.» (Esaïe 35, 3) Dans cette histoire du combat contre les Amalécites, je vois justement des « fortifiants pour mains fatiguées».
Premier fortifiant : la longueur du temps.
La longueur ou la répétition de la prière au fil des jours, des mois, voire des années, ne servent pas à convaincre Dieu ! Par contre, le temps est utile pour nous. Dieu prend le temps de nous transformer au travers de notre prière. Nos demandes évoluent, notre attitude intérieure peut se transformer. De manière plus large, il faut du temps pour transformer le monde. Dieu nous attend, il attend que l’humanité soit prête pour son règne.
Courage, donc, mains fatiguées. Le temps qui passe ne signifie pas que Dieu nous abandonne, mais il est signe de l'ampleur de son oeuvre et de sa patience envers tous les hommes. Accepter la longueur du temps est donc un fortifiant pour les mains fatiguées.
Deuxième fortifiant : la connaissance de Dieu.
Qui est vraiment notre Dieu? La Bible nous parle d'un Dieu qui est amour. Il a voulu les hommes pour être ses enfants. Et ce choix change tout. Dieu, le Dieu qui écoute nos prières est aussi celui qui nous choisit. En Jésus, Dieu a souffert. Il a préféré donner sa vie, plutôt que de s’imposer aux hommes. Et par Jésus aussi, Dieu prend part aux combats des plus petits de ce monde. Nul ne nous aime autant que lui. Adressons-nous à lui sans crainte !
Courage, donc, mains fatiguées, celui à qui nous nous adressons est celui qui est la plus attaché à nous ! Oui, il est fortifiant de connaître toujours mieux notre Dieu.
Troisième fortifiant : la communauté.
Voyez Aaron et Ur, les soutiens de Moïse. Ces deux hommes sont un symbole de la force et de l’utilité de la communauté croyante. Nous ne sommes pas seuls devant l’adversité. L’Église, sous la forme de chacun de ceux qui prient, est là pour partager notre demande et la soutenir. L'Église est multiple, les formes de sa prière sont diverses. Toutes ces prières se portent les unes les autres, constituent dans un monde invisible à nos yeux un ensemble solide et solidaire. Toutes ces prières nous portent les uns et les autres, ici et partout où vous êtes à l'écoute.
Courage, donc, mains fatiguées, même si nous ne le voyons pas toujours, il y a autour de nous une famille spirituelle qui soutient nos mains.
Oui, mains fatiguées courage, grâce à la longueur du temps, à la connaissance de Dieu, et à l’appui de la communauté chrétienne, vous avez de bons fortifiants ! Ah ces mains ! Nos mains !
Nous n’avons pas l’habitude de manifester notre prière de manière visible. On apprend bien aux enfants à croiser les mains, fermer les yeux. Cette attitude peut aider à se concentrer sur la prière. Mais à vrai dire, peu importe la forme et la formulation.
Nos mains ? Nos mains en prière nous conduisent à réfléchir à notre attitude intérieure par rapport à la prière. Il n’y pas de formules magiques, pour assurer l'exaucement, mais le Christ a ouvert pour nous le chemin d'une prière espérant même face au pire.
Je vous donne ce dernier exemple : face à l'imminence de sa mort, Jésus a pu dire à Dieu, son Père «Ta volonté et non la mienne». Cette prière ne l’empêcha pas de souhaiter éviter ce moment terrible, puis de souffrir atrocement. Par contre, cela ne tarit pas sa prière. Et au-delà de la mort, il connut effectivement la victoire et la résurrection.
Nos mains ? Nos prières sont peut-être pareillement troublées face à des perspectives noires, des ennemis sur notre route, un exil loin de la terre de notre enfance, mais nos prières ont droit à la même promesse, celle d'une victoire, d'une vie plus forte que toute mort !
Nos mains ? Qu'elles se lèvent donc pour prendre la parole devant Dieu, qu'elles soient en haut avec humilité, qu'elles ne se baissent pas, découragées, et portent notre prière encore et encore. Courage, mains fatiguées !
Amen !