Qui d’entre nous désirerait avoir du repos ? Et d’imaginer aisément ces milliers de mains qui se lèvent en ce moment sur les ondes ! Oui, nous avons besoin de repos, parce que nos agendas débordent de rendez-vous, parce que nous travaillons dans le stress du toujours plus avec toujours moins; oui, nous avons besoin de repos parce que la vie amène son lot de choses lourdes à porter comme la culpabilité, la maladie, la rupture, le deuil, l’inquiétude quant au lendemain, il n’est pas rare de rencontrer des gens fatigués mais comme le précise le comédien Robert Lamoureux dans son remarquable «Éloge de la fatigue», il y a comme 2 sortes de fatigues : celle qu’entraîne une vie creuse et morne, et la fatigue d’une vie donnée. Et je ne résiste pas à l’envie de vous lire un extrait de ce poème :
«Vous me dites Monsieur, que j’ai mauvaise mine,
Qu’avec cette vie que je mène, je me ruine,
Qu’on ne gagne rien à trop prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Oui, je suis fatigué Monsieur, mais je m’en flatte,
J’ai tout de fatigué: le coeur, la voix, la rate.
Je m’endors épuisé, je me réveille las,
Mais grâce à Dieu, je ne m’en soucie pas…
… Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s’est fait responsable.
Savoir qu’on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu’on est l’outil, qu’on est le lendemain.
Savoir qu’on est chef, qu’on est la source,
Aider une existence à continuer sa course.
Et pour cela, se battre à s’en user le cœur,
Cette fatigue-là, Monsieur, c’est du bonheur !»
Admirable poème, que connaissent bien nos aînés !
Alors, quand le besoin de repos se fait sentir, que faisons-nous ? Calé dans un fauteuil, nous écoutons une belle musique ou nous nous rendons dans un chalet tranquille là-haut sur la montagne ou alors nous restons bien au chaud sous la couette ou bien encore… un clic sur les sites «Agences de voyage». Et l’Évangile de nous faire une proposition supplémentaire : «Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau et je vous donnerai le repos.»
Venir au Christ, c’est désirer une proximité, comme par exemple celle que nous vivons au moment du culte, au temple ou à la radio et ressentir alors ce repos bienfaisant exprimé parfois par un « Cela me fait du bien.».
«Venez à moi et je vous donnerai le repos… prenez sur vous mon joug.» ajoute Jésus. Il y a là comme un paradoxe, une contradiction, car un joug peut résonner comme quelque chose de négatif, de lourd à porter, de contraignant. En effet, le joug se dit souvent d’une relation d’oppression, de domination vécue entre les personnes. Nous avons à la mémoire cette tradition chez les Romains qui consistait à faire passer sous le joug les vaincus pour les humilier, les rabaisser, leur rappeler leur condition de soumis désormais. Nous connaissons les expressions «le joug de l’envahisseur», celui de la tradition, le joug du religieux aussi. C’est de ce joug-là dont parle Jésus dans notre récit. Dans sa bouche, le joug, c’est la Torah, la Loi de Dieu. En effet, «prendre le joug» était une expression courante chez les rabbis, expression qui contient aucun sens négatif mais bien au contraire il y a comme une joie sous-jacente, car «prendre le joug» dans le judaïsme, c’est accueillir la Loi de Dieu pour vivre son existence. Mais qu’en a-t-on fait de cette Loi qui a été donnée pour que l’homme puisse vivre libéré et heureux au sein de son peuple ?
«Prenez mon joug !» Jésus s’adresse à des hommes et des femmes qui souffrent du poids du formalisme, du légalisme et du rigorisme qu’entretiennent avec zèle scribes et pharisiens de l’époque. Il y a peut-être parmi vous des personnes qui ont souffert jadis ou qui souffrent aujourd’hui du poids du religieux. Vous savez, lorsque la culpabilité de «mauvais chrétien» devient pesante, fardeau à porter : je devrais pardonner, aller me réconcilier, partager mes biens, aller plus souvent au culte, etc. et chacun de rallonger la liste selon sa dose de culpabilité et selon sa compréhension de la volonté du Christ qui parfois est à mille lieues de ce qui est contenu dans l’Évangile. «Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur.»
C’est avec cette Loi, celle de la douceur, de l’humilité, celle du cœur, que Jésus nous invite à accompagner notre existence. Jésus rappelle avec force et douceur l’esprit de la Torah : la Loi de Dieu est à vivre dans l’amour et non pas dans la crainte, l’esprit du devoir ou de la morale. Et l’amour rend toujours léger ! L’amour, c’est ce qui vous porte, vous transporte. Jésus est comme cette Torah faite chair, ce Jésus dont les paroles, les gestes, les regards ont toujours ouvert vers un horizon, un avenir, une délivrance, une joie. Il a toujours permis à l’homme de se déployer et non pas de se recroqueviller, se déployer comme le fait l’aigle pour prendre son envol.
C’est ce que n’avait pas compris le prophète Elie en massacrant 850 prophètes de Baal, croyant satisfaire le Dieu de sa Torah. L’acte terroriste n’est pas dans la Loi de Dieu. Elie ne comprend plus, il se sent abandonné de Dieu, avec en lui ce double désir de mourir et de vivre : lui qui demande la mort, pourquoi alors s’abrite-t-il à l’ombre d’un genêt au lieu de se laisser desséché à petit feu au soleil brûlant du désert ? Et c’est dans ce sursaut du vivre que Dieu, par ses anges et par deux fois, va le rejoindre et lui donner de l’essentiel: de l’eau, du pain, et une parole, afin qu’il puisse continuer sa route, route qui aboutira à la rencontre du Dieu véritable, un Dieu qui est dans la douceur, l’imperceptible, le souffle ténu… et pas celui qu’il s’était imaginé.
Le joug de la Loi de Dieu est semblable à celui que portent les animaux de trait : une pièce de bois qui ne se porte jamais seul et qui permet d’être relié à l’autre pour une commune charge, une commune route, et au rythme d’un même pas. Une sorte d’alliance sur le chemin.
Par ses anges, Dieu a fait route avec Elie, il l’a tiré au moment de sa dépression, de son découragement. Le Christ nous propose de venir à lui – et en toute liberté – pour partager ce qui est lourd à traîner dans notre vie. Attention : il ne dit pas «Venez à moi et vous n’aurez plus de problèmes !» comme le clament certains prédicateurs de rue peu honnêtes.
Non, dit le Christ, vous aurez toujours des poids à porter mais vous ne serez pas seuls à les porter, je ferai route avec vous. Ce Christ qui porte le visage d’un ami, d’une voisine, d’une communauté
Venir au Christ, c’est aussi venir vers son prochain, chercher la proximité de l’autre. L’Évangile nous invite à être auprès de nos frères et de nos sœurs pour porter avec eux leurs fatigues et leurs fardeaux, dans un même esprit de communion, là est peut-être l’essentiel de la mission de l’Église. Nous pensons en ce moment à la campagne de l’EPER, l’Entraide Protestante Suisse, et du DM Échange Mission, campagne intitulée «Les femmes en tête», un appel à nous tenir auprès de ces femmes du Mozambique, de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, dans leurs combats contre la pauvreté et le virus du Sida. Répondre généreusement à cette campagne. c’est prendre ce joug désiré par le Christ.
«Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, mettez-vous à mon école, et vous trouverez le repos de vos âmes.» Le repos, ce n’est pas quelques jours de vacances aux Maldives, le repos c’est être relié à l’Esprit, à ce souffle qui nous porte et nous pousse en avant pour que notre existence soit plus légère. C’est dans la prière que se trouve le repos promis par Jésus. Et rejoignons l’exhortation de l’apôtre Paul adressée aux Hébreux : «Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos !»
Amen !