Sale journée pour Jésus !

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D’abord, sa famille de sang lui en fait baver : ils veulent le mettre à l’écart parce qu’ils le croient fou, ils croient qu’il a perdu la tête. Sa famille voudrait arracher Jésus à sa mission. Sa propre famille ne lui fait plus confiance. Et puis les autorités s’en prennent à lui et remettent en cause sa personne : «Il a Béelzébul en lui, disent-ils ; c’est par le prince des démons qu’il chasse les démons.» Quelle logique implacable, quelle raisonnable évidence, quelle certitude définitive et catégorique dans cette accusation ; en effet, si Jésus peut chasser les démons, c’est bien qu’il les commande, qu’il est en dernier ressort lui-même possédé par le démon auquel il obéit ! Alors… ?
Alors, Jésus répond à ces accusations en mettant à jour les différentes contradictions dont se nourrissent ses adversaires, comme autant de dévoilements successifs vers davantage de vérité. Pour la première fois, il utilise une parabole, celle du royaume divisé.
Rien ni personne ne peut œuvrer ou tendre vers le bien en se divisant ainsi lui-même : royaume, ville ou famille, jusqu’aux personnes elles-mêmes, ne peuvent vivre et se construire sur la division qui se trouve être toujours « contre », jamais « pour ». La puissance de la division ne conduit qu’à l’illusion et finit par détruire.

Et Jésus va encore plus loin : c’est lui qui « ligote » celui – ou ce - qui liait, qui délie celui qui est lié, qui délivre de l’enfermement. Le règne et la maison de Satan ne sont pas seulement divisés, ils sont maintenant attaqués par le règne de Dieu. Et ceux qui remettent en cause l’autorité de Jésus sont des blasphémateurs et dans une ambiguïté toute propre à l’évangéliste Marc, les scribes et la famille de sang de Jésus deviennent tout à coup bien semblables, bien proches, proches dans leur manque de confiance, dans leur peu de foi.
Jésus jette alors un regard sur ceux qui étaient dans la pièce et déclare que sa vraie famille, il la situe non dans la parenté charnelle, mais dans ces hommes et ces femmes qui écoutent sa parole, ceux qui font la volonté de Dieu. Ce sont eux qui sont ses frères, sa famille. Jésus vient inaugurer un monde profondément nouveau. Avec Jésus, il y a désormais d'autres solidarités, qui dépassent celles de nos parentés terrestres. « Quiconque fait la volonté de Dieu, c'est lui mon frère, ma sœur, ma mère... »
Jésus ouvre la porte à d'autres horizons, il entraîne à expérimenter la vie qui vient de mille différentes manières. Il propose un autre modèle, une nouvelle famille, de nouveaux liens. Des liens qui n’ont rien de restrictif, qui n’enferment personne.
Jésus rompt avec sa famille spirituelle, les scribes, et avec sa famille de sang pour créer un autre état des choses. Ses disciples, la foule qui l’entoure et qui répond à Dieu, voici sa nouvelle famille. Il ne s’agit pas seulement d’entretenir avec eux une quelconque fraternité spirituelle de surface, molle et bien lisse, mais d’avoir une vraie intimité, de partager complètement sa vie avec ceux qui se réclament de Dieu.

Si l'on prend au sérieux cet appel à dépasser le petit cercle des solidarités familiales, ce que Jésus dit de sa vraie famille peut libérer en tout homme une force qu'on n'a jamais fini de mesurer. Mais, cette force qui nous est offerte est une force coûteuse. Elle suppose un arrachement, qui sera douloureux, souvent mal compris. Peut-être pas beaucoup mis en pratique. En tout cas tant que nous ne saurons que rester dans nos conceptions étriquées, tant que nous nous confinerons dans notre confort bien établi, tant que nous ne déciderons pas de nous lancer, vraiment.
Parce que quand il est question de la vie avec Dieu, on est tous dans le bain jusqu’au cou. Pas moyen de se défiler, de ne se mouiller qu’un tout petit peu. Nous sommes engagés complètement. On ne choisit pas avec qui ; le dicton populaire le dit bien : « On choisit ses amis, mais pas sa famille. » Eh bien non, on ne choisit pas avec qui on vivra l’aventure de la foi. On compose, on avance avec les gens présents, avec les différences, avec les étrangetés. Et on tente de faire de toutes nos rencontres des occasions de partage véritable, parce que finalement, c’est à chaque fois Dieu que l’on découvre dans ceux qui croisent nos routes.

Etre chrétiens ensemble, ce n’est pas juste se saluer cordialement et se faire de jolis sourires tout mielleux. C’est vivre ensemble, c’est échanger, mais c’est aussi batailler, se dire les choses, écouter les autres, pour qu’encore et toujours l’actualité et la pertinence de la parole de Dieu dans notre monde soient exprimées, rappelées, proclamées.
Dans l’Eglise, « on n’est pas meilleur qu’ailleurs », on entend ça assez souvent, et c’est vrai. Combien de manques de foi avons-nous tous à notre actif ? Combien de querelles mesquines, de jalousies inavouées, d’égoïsme, de faux-semblants nous opposent les uns aux autres ? Le profit personnel, la gloriole que nous retirons de nos actes, tout cela ne fait que nous diviser, nous fermer les yeux sur ce qui est à partager.
Nous avons tendance à faire de notre Eglise, une famille clôturée, bien en place, installée sur le trône de ses victoires. Mais une Eglise installée est dangereuse. La peur du changement, la peur de l’avenir, la peur du vide nous confine dans nos acquis et fait de notre Eglise une Eglise en place, établie. Le danger d’une Eglise qui s’installe, c’est comme lorsqu’une relation s’installe : les habitudes nous jouent des tours et chacun est prêt à invoquer le règlement, la tradition, pour justifier des comportements. Il n’y a qu’une seule manière d’envisager les choses : la sienne. Parce qu’on se sent menacé, parce qu’on a peur, parce que c’est comme ça.

Si Jésus a renversé toutes les conceptions de l’époque sur la famille, il s’en prend aussi à ceux qui ont fait de la religion un système fermé, qui ne supporte pas de fonctionner autrement. La parole de Dieu est libératrice, elle nous libère de « Satan », de tout ce qui nous coince trop dans notre humanité, de tout ce qui nous replie sur nous-mêmes. Elle nous pousse hors de nous-mêmes à la rencontre des autres, elle nous pousse vers des projets remplis de sens et d’avenir.
Il y a 300 ans, des paroissiens de la région se sont unis pour demander aux autorités politiques qu’une église soit construite à Sornetan. Dans ce petit bout de pays reculé, des gens ont osé s’engager pour leurs convictions, ils se sont risqués ensemble. Cet exemple n’est peut-être pas le plus extraordinaire qui soit, il y en a d’autres bien plus spectaculaires dans l’histoire. Mais il a le mérite de nous rappeler que nous n’avons pas besoin d’être des surhommes ou des demi-dieux pour mériter d’appartenir à la famille de Dieu. Non, juste des personnes qui y croient, qui font confiance.
Oh ! tout n’a sûrement pas été tout rose dans cette entreprise de la construction de l’église ; vous le savez bien : il y a toujours des étincelles sur un chantier ! Mais se dire les choses, donner son avis, débattre, ce n’est pas être divisé, au contraire, c’est commencer enfin à vivre vraiment ensemble, à construire ensemble.
Il est plus que temps que nous devenions une famille unie qui ne se cache pas les yeux quand il y a des problèmes, il est temps de faire face ensemble à un avenir pas forcément engageant, il est temps de vivre libre de nos préjugés, il est temps de donner une place à chacune et chacun. Il est temps d’arrêter d’être des « tiédards » de la foi.
Osons, risquons. Vivons vraiment.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christoph Moosmann
Musique