Qui est le héros de ce petit livre de quatre chapitres plein d'humour et de drôlerie qui tient plus du conte oriental que de la narration historique ? Prenez une tempête à tout casser, jetez un homme à la mer et ajoutez un poisson avaleur de prophète qu'il s'ingénie à recracher vivant trois jours après ; plantez un ricin qui se paye la tête du même prophète au point de le faire sortir de ses gonds ; et pour faire bonne mesure, une mégapole qui se convertit comme par enchantement, tout ça pour un prophète mal embouché qui fait le contraire de ce qu'on lui dit et qui finit par transmettre à contrecœur un message auquel il ne croit pas !
Je ne sais pas vous, mais moi, cela me fait penser à Pinocchio, la marionnette de Geppeto et ses nombreuses aventures : le chat et le renard qui l’attaquent et le pendent; la fée bleue qui le sauve; son nez qui s’allonge à chaque mensonge; lui aussi est jeté à la mer, avalé par une grosse baleine dans le ventre de laquelle il retrouve son créateur, pour finalement se réveiller un beau jour transformé en petit garçon bien vivant.
Jonas n'est jamais qu'une caricature de prophète dont le message se résume à ces quelques mots : « Encore quarante jours et New York, pardon Ninive, sera renversée. » Il y a bien eu, à la cour du roi de Samarie, un prophète du nom de Jonas qui avait toutes les raisons de ne pas vouloir s'aventurer chez le puissant voisin assyrien qui a opprimé et dispersé en 722 les 10 tribus de l'Israël du Royaume du Nord. Mais à l'heure où le livret de Jonas a été écrit, il y a longtemps que Ninive a été rasée et les quelques 25'000 tablettes d'argile que l'on a retrouvées n'ont gardé aucune trace d'une quelconque conversion de ses habitants.
Le Jonas du psaume
Mais revenons plutôt au Jonas du psaume du chapitre 2 dont il faut bien convenir qu'il n'a pas grand-chose de commun avec le Jonas solitaire, râleur, entêté et déprimé du reste du livre, celui qui dort plutôt que de prier en pleine tempête et qui ne s'adresse à Dieu que pour exprimer ses désaccords et sa rancœur.
Rattrapé dans sa fuite, jeté à la mer à sa propre demande, Jonas a conscience qu'il va mourir; avant de devenir son canot de survie, le ventre du poisson représente rien moins que la mort. Aussi Jonas commence par exprimer son angoisse face à la situation désespérée qui est la sienne : plongé dans le gouffre d'un océan, submergé par les vagues, quiconque a déjà failli se noyer ou être asphyxié comprend ce que Jonas peut ressentir.
C'est aux prises avec la mort que Jonas repense au Temple de Jérusalem, qu'il crie le nom du Seigneur dont il est séparé et lui adresse sa prière. Le plus remarquable, c'est que son appel au secours comporte en même temps l'assurance de sa délivrance « de la fosse tu me feras remonter vivant » et se termine par l'annonce d'un chant d'action de grâces accompagné de sacrifices. C'est du fond de sa détresse que Jonas se tourne vers Dieu – son Dieu qu'il a voulu fuir – pour réaliser de lui-même que « au Seigneur appartient le salut ». La leçon a porté et le poisson peut vomir sur la plage son passager clandestin.
Le Jonas juif du repentir
Le Jonas du psaume, c'est le Jonas de la tradition juive, le Jonas du repentir et de la conversion, celui dont les communautés juives du monde entier vont lire intégralement le livre demain après-midi à l'occasion du Yom Kippour, la plus grande solennité juive du pardon de Dieu, marquée par 25 heures de jeûne absolu.
Pour les juifs, le livre de Jonas est essentiellement le livre du repentir, du retour sur soi-même et de la conversion, en hébreu teshouva : repentir de Jonas d'abord qui a rejetté dans un premier temps l'appel qui lui est adressé, mais qui finit par remplir la mission qui lui est confiée; repentir, aussi soudain qu'inattendu, des habitants de Ninive qui changent radicalement de comportement; enfin, repentir de Dieu qui, dans son amour pour l'humanité, renonce à mettre à exécution le châtiment annoncé, au grand dam de Jonas qui se sent trahi. Les Maîtres du Talmud ont vu dans la prophétie de Jonas, une leçon destinée à Israël, lui donnant comme exemple un peuple étranger qui s'est repenti au premier avertissement d'un prophète de passage, alors que le peuple juif, malgré les admonestations répétées de nombreux prophètes, résiste à la conversion du cœur.
Le Jonas chrétien ou le signe de Jonas
A côté du Jonas juif, il y a le Jonas chrétien, celui du fameux signe de Jonas dont parle Jésus à ceux qui lui demandent de prouver l'authenticité de son message par un signe ou un miracle. Pour les uns, ce signe, c'est la conversion des Ninivites, par opposition avec la génération récalcitrante des interlocuteurs de Jésus – que dire de la génération actuelle ? Pour les autres, ce sont les trois jours et trois nuits passés dans le ventre du poisson que les premiers chrétiens ont perçu comme une préfiguration de la mort et de la résurrection de Jésus.
C'est ainsi que l'on a retrouvé dans les catacombes toute une iconographie de Jonas et qu'aujourd'hui encore son livre est lu dans bon nombre d'Eglises au moment de Pâques. Déjà un Père de l'Eglise comme Origène a vu dans l'épisode du poisson de Jonas une évocation aussi bien de l'incarnation du Christ sur terre que de sa descente dans la mort et sa victoire définitive sur cette dernière.
Le Jonas musulman ou la miséricorde de Dieu
Jonas est aussi un prophète reconnu par les musulmans; son récit est mentionné à quatre reprises dans le Coran dont la dixième sourate porte même son nom, Yunus. Sa prière du fond des ténèbres est rapportée en ces termes : « Il n'y a de Dieu que toi. Gloire à toi ! J'avoue être du nombre des coupables. » Dieu le délivre de ses angoisses et l'islam se souvient de lui comme de celui qui a appelé à la conversion une population de 100'000 âmes. L'importance de Jonas ressort d'ue parole bien connue de Muhammad selon laquelle : « Pas un humain ne devrait dire : « Je suis meilleur que Jonas fils de Matta. »
Signe de l'humour de Dieu dont le livre de Jonas est rempli : le prophète qui ne voulait pas aller à la rencontre des païens de Ninive est devenu un point de rencontre, entre juifs, chrétiens et musulmans !
Jonas figure du croyant devant Dieu
Jonas est une parabole de l'aventure humaine de chaque fidèle dans sa relation à Dieu avec ses hauts et ses bas, ses ouvertures et ses blocages, ses repentirs et ses entêtements. Jonas, c'est chacun de nous lorsque nous sommes submergés par les difficultés, tentés de fuir ou de nous replier sur nous-mêmes.
Jonas nous dit en même temps la difficulté éprouvée par bien des chrétiens aujourd'hui de concilier leur fidélité à Dieu enracinée dans un héritage, façonnée dans une communauté particulière et la perspective d'un Dieu dont l'amour s'étend à toute l'humanité sans exception. Si Jonas se dérobe, c'est parce qu'à ses yeux s'engager pour Ninive – et risquer la conversion de ses habitants – revient à agir contre les intérêts de son propre peuple. La conversion de Jonas, c'est notre propre conversion à l'amour sans limite de Dieu; davantage, à la tendresse de Dieu qui se soucie de chacun de ses enfants sans distinction de nationalité, de culture ou de religion. Un Dieu qui n'abandonne pas plus la grande cité païenne que son prophète récalcitrant !
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