Pourquoi es-tu ici, Elie ?

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Écouter le culte :

« Pourquoi es-tu ici, Elie ? » Et nous, pourquoi sommes-nous là, en ce jour et au lieu où nous sommes, alors même que nous entendons, par ma bouche, cette parole de Dieu qui nous interpelle aussi ?
Il était une fois, il y a très longtemps, bien loin d’ici, un homme, dans une caverne, qui entendit Dieu l’appeler ainsi : « Pourquoi es-tu ici, Elie ? » Et cet écho dans la caverne résonne encore en nous aujourd’hui, comme un vieux conte ou une légende fait résonner en nous nos cœurs d’enfant. Et cette question de Dieu nous renvoie à nos questions à nous, sur notre existence, sur notre vision de Dieu, sur notre foi, sur nos angoisses et nos découragements. Comment se fait-il ? Pourquoi reprendre à nouveau la réflexion ? Alors même que depuis les temps anciens, génération après génération, des multitudes de gens se sont posé les mêmes questions. C’est que, génération après génération, la même question – une question de foi ! – se pose à chacun d’entre nous ! Pour nous aider à y répondre, je vais suivre Elie pas à pas, pour écouter l’écho de son pas dans notre foi d’aujourd’hui.

Il était une fois un homme qui s’appelait Elie. Un type banal, comme toi ou moi ? En fait on n’en sait pas grand-chose, sauf que lorsque Dieu en fait son prophète et l’envoie parler de sa part au roi de son pays, le roi d’Israël, il y va et menace le roi. J’allais dire : sans hésiter, parce que Dieu lui parle en direct.
Je ne sais pas si nous aurions ce courage… quoique avec des messages envoyés en direct du Ciel… De plus, ce super-prophète a le pouvoir de retenir la pluie selon son bon plaisir. Alors, fort de ce pouvoir, sans en avoir reçu l’ordre divin, de sa propre initiative, sans réfléchir (et sans prier plus !) investi, pense-t-il du « zèle de l'Eternel » – mais en fait victime de son fanatisme, n’est-ce pas ? – il massacre de sa main 450 prophètes de Baal ! A-t-il alors conscience de sa cruauté, de s’être laissé aller à la tentation totalitaire ? Il ne se sent plus soutenu dans sa lutte contre l’autorité royale. Il prend peur de la colère de la reine, se sauve au désert et s'y couche en attendant la mort ! (v. 4)
Que s’est-il passé? En clair, un burn-out, ce mot anglais qui désigne maintenant la dépression au travail. Hé bien, la dépression guette aussi la militance ! Malgré sa foi, malgré l’admirable travail accompli, malgré le dévouement et les résultats obtenus… Lequel d'entre nous, engagé en paroisse ou en ville, dans les soins, un ministère, une ONG ou une société locale, n'a pas connu ce moment sombre de l'existence, où apparaît soudain comme un trou, un déficit de sens ? Lorsque tout ce qui nous tenait jusque-là ne semble plus qu'une apparence trompeuse. Lorsque toute la force morale que les autres nous reconnaissent s'évanouit comme une fumée, devant la faiblesse immense qui nous tombe dessus sans crier gare ! Lorsque cette admirable efficacité que nous nous reconnaissions s'efface dans la vulnérabilité... Mais c’est dans la foi que se manifeste son découragement, c’est à Dieu qu’il adresse sa plainte. « Je n'en peux plus ! maintenant, Seigneur, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères (v. 4) ».


Elie se croit seul dans son désert brûlant, mais il ne l'est pas. « Un ange » lui est envoyé, avec une galette et une cruche pour lui redonner des forces. Mais il commence par le toucher… Importance du contact humain… Importance du geste, du non-dit. Il parle de lui-même, comme tous ceux que l'on invente pour manifester sa sympathie aux personnes que l'on accueille ou que l'on rencontre : une poignée de main, un verre ou une tasse de café, toucher un bras ou un dos, dans une ébauche d'embrassade... Dans la rue, à l'hôpital, en prison, ces gestes prennent toute leur signification. N’avez-vous jamais rencontré d’ange, d’envoyé de Dieu ? Réconforter et nourrir d'abord: telle est la mission d'un ange comme les autres, passer puis disparaître, sans autre forme de procès....
Cet ange, ce peut être n'importe qui, pas forcément conscient de l’être, pas forcément croyant, venu à notre aide dans la détresse. Et bien souvent tout à fait inattendu : c'est cette auxiliaire roumaine qui plaisante deux minutes avec vous sur votre lit d'hôpital, c'est le sourire d'un enfant dans la rue, c'est la sollicitude d'une mamie qui vous demande : « Ça ne va pas ? » ou le soutien du CSP pour vous épauler dans un moment difficile, d’un organisme qui accepte de vous prêter de l'argent alors que vous ne l'espériez plus, celui qui vous propose, enfin ! du travail ou un apprentissage. En l’absence de l’ange providentiel, dans les Eglises des signes sont là, qui pour être symboliques n’en sont pas moins utiles pour reprendre des forces : le baptême nous introduit à la source vive, la Sainte Cène est partage du manger et du boire avec d’autres qui peuvent nous soutenir ou pour lesquels nous pouvons être un soutien !

Mais parfois tous les efforts paraissent vains, même pour un envoyé de Dieu : « Elie mangea, il but, puis se recoucha. » C'est raté, c'est encore insuffisant ! Le réconfort ne suffit pas. Il a soif de bien plus. Il a soif d’une illumination, d’une nouvelle découverte de son Dieu. Alors, avec patience, Dieu lui renvoie l'ange qui, non content d'avoir réconforté Elie, ouvre sa pensée vers le chemin qui l'attend. Il donne un but à celui qui ne faisait qu'errer dans le désert, dans son Exode à l'envers. Le voyage se transforme en pèlerinage aux sources, pour retrouver l'élan fondamental de sa vie, de sa foi, de sa mission.
Et nous voilà de retour à la caverne, comme si Elie se confiait à la Terre. Cette caverne, qui est celle où Moïse prit du repos avant de rencontrer Dieu au même endroit, est témoin de cette Tradition. Mais elle peut aussi symboliser cette position de force que l'on trouve en se retranchant au plus profond de soi. Cette caverne est-elle tombe ou ventre ? Elle est le lieu d’une renaissance. Avec la question de base de toute existence, presque intra-utérine : « Pour quoi es-tu ici ? » qui l’oblige à reconnaître : « Je ne peux plus supporter. », aveu de faiblesse, encore, après cette course revenue au point de départ.
Et puis, au sortir de la caverne, c’est la découverte brutale d’une réalité menaçante, la montagne un jour de grand vent, qui brise les rochers, qui tremble et brûle ! Elie affronte la tempête de sa foi confrontée au réel, ce réel qui se défend contre la foi ! Mais qui mène enfin, lorsque le calme revient, à la découverte du Père Céleste, apaisante, rassurante… Dans nos vies, il n’est pas forcément nécessaire de tomber dans le burn-out pour trouver des temps, des lieux où retrouver notre Dieu, où revenir à cette question de base de notre vie : « Pour quoi es-tu ici ? » Après être rentrés en nous-mêmes, après avoir entendu la question, sortons notre foi de sa cachette pour l’éprouver face au réel, l’amener à sa maturité sereine. Pour retrouver nos raisons de vivre, nous avons à faire un pas en-dehors de nous-mêmes, au-delà de nos réalités matérielles, pour accéder non pas à une plus haute spiritualité, mais à cette rencontre de foi qui nous fait reconnaître Dieu dans le silence.

Ce Dieu de l’Ancien Testament, toujours inattendu, si divers, se révèle ici dans la discrétion. Eloquent, mais invisible. Elie accepte de ne rien voir, d'avancer encore dans le mystère, puisqu'il « se voile le visage de son manteau », comme l’avait fait Moïse avant lui. Elie déjà fait le deuil d'une révélation définitive, qui se manifesterait avec toute la force de l'évidence, pour reconstruire sa foi sur cette simple trace : la Parole de Dieu. Il avance dans la même espérance, fortifié par la seule Parole. N’avez- vous pas entendu Romains 8 comme moi tout à l’heure : «…voir ce qu’on espère n’est plus espérer: ce que l’on voit, comment l’espérer encore?»
Alors, parce qu’il sort de lui-même, parce qu’il s’avance avec courage dans le vent, le Seigneur s'exprime dans une voix audible. Il y a là une expression difficile à traduire, le fameux « sound of silence » que Levinas traduit « une voix de fin silence ». Et la foi, ne passe-t-elle pas par l'écoute précisément de ce silence subtil, qui parle dans les Ecritures et dans le souffle du Saint-Esprit, au plus profond des cœurs ? Lorsque se taisent enfin en nous les rumeurs du monde, lorsque nous faisons taire « toute autre voix que la sienne », l’entendons-nous ou n’est-ce qu’une illusion ? Non, ce « fin silence » si ténu n’est pas illusion, mais espérance ! C’est pour cela qu’il parle !
Pourtant il ne fait que poser de nouveau à Elie cette question lancinante : « Pourquoi es-tu ici ? » Comme si cette démonstration de puissance et de douceur allait permettre à Elie de changer de discours. Pourtant, elle se heurte à l’obstination d’Elie, enfermé dans un discours militant, qui ne lui laisse pas d’ouverture, qui l’enferme dans sa colère et son chagrin. Prenons garde nous-mêmes, lorsque nous avons à témoigner de notre foi, à ne pas tomber dans le piège de l’idéologie, pour rester ouverts à la Parole créatrice. Surtout si nous sommes épuisés de défendre les mêmes idées ! Nous avons aussi le droit de dire : « Je ne supporte plus l’indifférence de ce monde, la méchanceté de ce monde », tout en disant notre espérance que ce monde aura une fin heureuse.
La suite, ici, est étonnante : on ne l’a pas relue, mais Elie doit repartir pour Damas, oindre non seulement un nouveau roi pour Israël mais aussi son successeur, Elisée, "comme prophète à ta place". A la fois une solution au problème politique et au problème personnel du prophète épuisé. Que voulez-vous ? Nul n'est indispensable, c'est peut-être cela qu'il a compris, ce qui lui donne la force d'accomplir son retour. Contrairement à ce qu'il croit, Elie n'est pas seul ! Il reste encore 7'000 fidèles cachés en Israël !
Non, nous non plus ne sommes pas seuls pour œuvrer et témoigner dans ce monde et nous ne sommes pas non plus indispensables ! Comme Elie, cette perspective seule doit nous soutenir dans la mission qui est la nôtre, qui est de témoigner de la présence de Dieu en ce monde et de l’évangile du Christ Jésus : « Espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance. »

Il est une foi, la nôtre. Dans les moments de doute et de découragement, sachons retrouver les sources de notre foi, nous remettre à l'écoute de la voix divine, espérer des Eglises comme lieux de nos ressourcements: Dieu nous attend ! Il prépare déjà la suite et nous donne toujours quand il le faut la force nécessaire, pour repartir en mission ou passer le relais à quelqu’un d’autre. Car même si elles nous apparaissent cachées, de grandes ressources ont été préservées qui gardent la foi en ce monde. Et dans notre jeunesse, tout d’abord. Ne nous décourageons pas, résistons à l’indifférence apparente de ce monde et nous trouverons les forces nécessaires à la mission de l’Eglise. Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Edith Dubler
Musique
Choeur d'homme de Poliez-le-Grand, direction Edwige Clot (30 p.)