Qui n’a pas, ces derniers temps, participé de près ou de loin à ce regard vers le ciel, à la recherche, non pas du Christ mais de ce fameux nuage de poussières volcaniques paralysant et menaçant notre société du mouvement ? Vais-je pouvoir partir avec cet avion, … vont-ils revenir… aurons-nous encore de ces jours bienheureux de silence ? Mais un tel phénomène, ajouté à d’autres, ça vous assure des allures de fin du monde ! Et là aussi on aimerait bien savoir.
Est-ce le moment ? Autre temps, autres attentes, nous voici pourtant précipités dans la peau des disciples d’après Pâques, à se demander : qu’en est-il de la venue de la fin des temps ? Qu’en est-il de la venue du royaume de Dieu ? Que de questions et de soucis pour rien !
Les disciples aussi espéraient une réponse lorsqu’ils disaient : « Est-ce le temps où tu vas établir ton royaume ? » Et voilà que le Christ ressuscité répond de façon détournée : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments .» Pire, on pourrait même dire que coincé par ses disciples, il ne lui reste que le coup d’éclat : il se défile grandiosement en se faisant cueillir par les anges, ces mêmes anges qu’Il avait pourtant refusés sur la croix.
Voici que l’histoire du christianisme s’arrête, on a joué le dernier tableau, c’est fini, le chef de parti s’est éclipsé et le parti sombre dans l’oubli, on ferme ! Et l’on reste coi, à regarder vers le ciel. C’est pour cette finale que vous êtes là ce matin ? Mais où sont alors vos fleurs et vos couronnes, vos chapeaux noirs et vos mouchoirs. Nous enterrons l’Eglise du Christ !
Non ! C’est pour une autre finale que nous sommes réunis, une fête de la joie, une finale à l’image d’une Coupe du monde, une finale où l’on célèbre la victoire d’un vainqueur. Où sont vos drapeaux, vos trompettes, où est la coupe pour celui que l’on va sacrer vainqueur ?
Notre vainqueur a été élevé vers le ciel et nous sommes le nez dans les nuages. « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » Gens de Terre Sainte, auditeurs de ce jour, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Dieu par ses anges nous interpelle : « N’avez-vous rien compris ?» Jésus que vous avez vu s’élever vers le ciel n’a pas été s’établir sur un nuage, il est grand temps de détruire nos images d’école du dimanche. Jésus n’est pas – ni Dieu d’ailleurs – dans le ciel bleu de nos paysages familiers ou dans le ciel de Palestine. Jésus à l’Ascension n’est pas parti faire un petit voyage dans les airs.
Cette conception erronée a permis bien des erreurs. Le langage biblique nous joue de vilains tours. Car le ciel ici ne doit pas être compris comme un lieu de l’espace, mais c’est une image pour exprimer la gloire à laquelle Jésus est élevé. Il a été enlevé « pour » le ciel (Traduction Œcuménique de la Bible) donc pour la gloire. (Nous disons dans ce genre d’un rêveur qu’il est dans la lune).
Voici le vainqueur de la finale, c’est son heure de gloire, il a vaincu la mort et le mal, il a accompli sa mission terrestre, Dieu fait homme en Jésus-Christ peut maintenant reprendre sa nature divine. Dieu et Jésus ne sont plus qu’un, Jésus partage le trône de Dieu comme l’indique l’expression il est assis à la droite de Dieu.
En ce jour de l’Ascension, l’Eglise commémore l’entrée de Jésus dans son règne, c’est son couronnement, et tout comme les catholiques exultent à l’élection d’un Pape, criant : « Nous avons un pape », à l’Ascension le cri de la chrétienté tout entière doit être : « Nous avons un Roi », mais l’acclamer ainsi signifie le reconnaître, reconnaître son autorité et lui obéir.
Ainsi pour l’homme, à l’Ascension tout n’est pas fini, mais au contraire tout commence. Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? A nous de jouer maintenant, c’est l’inauguration du temps de l’Eglise, le temps de l’homme. Dieu veut maintenant que l’homme participe à son œuvre, il ne veut pas tout faire sans nous, il veut faire de nous des associés de sa création, des associés de son règne.
Un proverbe chinois dit : « Quand un enfant montre la lune avec le doigt, l’imbécile regarde le doigt. » On pourrait dire que quand le Christ montre son Royaume avec son Ascension, ces braves disciples et nous, pauvres chrétiens regardons l’Ascension. Plutôt que de saisir l’immense amour de Dieu qui veut faire de ce nouveau temps, notre temps, nous restons les yeux fixés sur le ciel à nous poser des questions sur le « comment » de l’Ascension, de la venue du Royaume de Dieu, tant de questions faisant partie du mystère de Dieu.
Essayez donc frères et sœurs, de rester un instant les yeux et le visage tournés vers le ciel, vers le plafond du temple, du lieu où vous êtes, (pour autant que vous ne soyez au volant). Qu’avez-vous vu autour de vous ? Que voyez-vous autour de vous en regardant tous dans la même direction ? Si l’on prenait le temps de se regarder, à droite, à gauche. Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?
C’est maintenant le temps de la responsabilité de l’Eglise à l’égard du monde. Nous n’avons pas à espérer être soustraits du monde à l’image du Christ. Nous sommes dans le monde, ayant reçu du Christ mission d’y vivre d’une façon nouvelle, qui soulève ce monde vers la transformation de gloire à laquelle Dieu l’appelle.
Quelle responsabilité ! Qu’en faisons-nous ? Que faisons-nous de notre mission par laquelle Dieu nous demande de regarder en bas, parmi nos frères et de mettre en pratique les préceptes de l’évangile, à commencer par l’amour du prochain ? Dans ce temps qui est le nôtre chaque acte, chaque relation humaine, prend sa juste signification : nos œuvres sont les préparatifs du Royaume auquel Dieu nous convie.
N’oublions pas que depuis l’Ascension du Christ, nous sommes les ouvriers du Royaume de Dieu et que commémorer l’Ascension c’est nous rappeler notre mission pour le monde, mais confesser également notre faiblesse pour l’accomplir. Depuis 40 jours, nous nous préparions à vivre l’Ascension, le couronnement du « Christ-Vainqueur-de-Pâques ». Il nous reste 10 jours avant Pentecôte fête du don de l’Esprit, 10 jours que nous pouvons mettre à profit pour demander avec persévérance et ferveur à Jésus-Christ de nous donner son Saint Esprit, afin que nous ayons le pouvoir de vivre comme il nous le demande. C’est aussi cela notre responsabilité pour notre vie ici-bas. Car c’est maintenant avec nous que Dieu entend établir son règne.
Il nous reste la question du « comment ? » et du « quand ? » C’est là qu’il nous faut bien comprendre le message que Luc, l’auteur des Actes des Apôtres veut nous donner. De la même manière que le Christ a été élevé dans sa gloire, ainsi il reviendra établir son règne sur la terre. C’est d’une manière miraculeuse qu’il reviendra dans un temps où l’homme aura pu répondre à son envoi en mission et confesser Jésus-Christ, seul Seigneur de sa vie.
Tout comme la résurrection du Christ est pour nous prémices de la résurrection de notre propre corps, de même l’élévation de Jésus dans sa gloire à l’Ascension est prémices de l’élévation de l’Eglise qui l’aura reçu et confessé fidèlement, les yeux fixés non dans le ciel mais sur la terre. Il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux.
« Seigneur Jésus, quand Tu es monté au ciel,
les anges disaient aux Onze :
‘Ne restez pas là à regarder vers le ciel !’.
Mais quinze jours auparavant,
Près du tombeau, ces mêmes anges
n’avaient-ils pas dit aux femmes :
‘Ne regardez pas vers le bas !
Il n’est pas ici. Il est ressuscité ? ’
Les anges seraient-ils capricieux
qu’ils changent aussi vite d’idée ?
Que faire Seigneur Jésus :
regarder en bas vers la terre,
ou en haut, vers le ciel ?
Vers les deux, nous dis-Tu :
‘Je suis au ciel,
regardez donc en haut,
vers moi, et priez.
Mais je suis aussi sur terre
dans tous les pauvres, les petits,
les malades et les pécheurs.
Il vous reste tant à faire en bas,
pour eux, et pour moi.
Provisoirement du moins. ’
Seigneur Jésus,
fais nous regarder vers le ciel,
sans oublier la terre,
et inversement.
Car tout ce que nous faisons sur terre
à ceux qui sont tiens
c’est à toi que nous le faisons. »
(Cardinal Godfried Daneels, archevêque de Malines-Bruxelles)
Amen !