Écouter le culte :
Aujourd’hui commence la Semaine Sainte.
Avec l’entrée de Jésus à Jérusalem, nous sommes quasiment arrivés au terme du Carême, ce voyage qui nous a menés des tentations dans le désert jusqu’à aujourd’hui. Certes ce voyage ne s’arrête pas là, avec cette arrivée triomphale de Jésus à Jérusalem, monté sur un ânon. La foule est en liesse. C’est la joie. Elle acclame le Messie. Mais quel Messie acclame-t-elle vraiment ? Au-delà de cette joie encore tangible dans l’Evangile, presque 2000 ans plus tard, qu’attendaient-ils au fond ces hommes et ces femmes de Jérusalem qui mettaient leurs manteaux sur le sol et brandissaient des branches de palmes ?
La Semaine Sainte commence aujourd’hui. Pour nous chrétiens, il n’y aurait pas de Semaine Sainte sans ces jours qui vont suivre cette entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem. Il n’y aurait pas non plus de christianisme sans ces mêmes jours dont nous allons nous souvenir cette semaine...
Tout débute un peu comme un film, avec de belles images, un large panorama sur une verte contrée, de beaux paysages, des fleurs et des oiseaux. Tout semble s’annoncer pour le mieux. Une véritable super production avec un personnage central, Jésus, une foule probablement un peu comme les foules d’aujourd’hui, toujours prête à acclamer sans nuance ce que demain elle sera prête à renier.
Nous qui connaissons la suite de ce « film », nous savons que tout ne va pas être pour le mieux pour Jésus. Le Jeudi Saint, il y aura ce dernier repas partagé avec ses disciples, selon la tradition juive. Il y aura aussi la trahison, l’arrestation; le vendredi saint, il y aura la condamnation et l’exécution jusqu’à la mort sur une croix; le samedi, ce sera le temps du silence, le temps de l’absence et du vide. Restera ensuite le matin de Pâques, cette pierre roulée devant le tombeau vide; la résurrection rapportée par des apparitions furtives.
Je ne me lasserai jamais de rappeler que la Semaine Sainte est un pèlerinage, un pèlerinage qui nous invite à suivre les pas de Jésus, mais aussi un pèlerinage intérieur, un pèlerinage jusqu’au bout de nous-mêmes. Une invitation au partage, au silence mais aussi une invitation à accepter la résurrection comme une hypothèse possible, malgré les échecs de la vie.
Et cela, chers amis qui êtes présents ce matin à Saint-Germain, ou vous qui nous écoutez sur Espace 2, n’est pas seulement une histoire du passé. C’est une histoire d’aujourd’hui. Une histoire qui nous rejoint là où nous vivons, là où nous sommes en ce moment, en week-end ou au travail, confortablement installés chez vous ou dans cette église genevoise. Nous aurions bien tort de croire que l’histoire de Jésus s’inscrit dans un monde irréel ou imaginaire. Comme dans une super production cinématographique un peu romantique et gentillette.
Les textes bibliques de ce matin nous invitent à entrer dans un mouvement, dans une dynamique d’espérance - où la mort n’a pas le dernier mot de l’histoire, mais la vie, la résurrection. Ces textes nous invitent à saisir que la Passion de Jésus dont nous allons faire mémoire durant cette Semaine Sainte, cette Passion est comparable à tant d’autres passions vécues par nos contemporains. Je pense ce matin aux abandonnés de la vie, aux personnes seules, isolées, oubliées, aux malades, aux personnes désespérées, pour qui le mot même d’espérance n’a pas de sens. Certaines de ces personnes nous écoutent peut-être ce matin. Je pense à toutes celles et ceux qui ont l’impression que la vie leur file entre les doigts. C’est à eux en priorité que s’adressent ces récits de la Passion, non pour les écraser un peu plus, mais surtout pour les inviter à se rappeler que malgré ces situations apparemment sans issue, il existe une lumière, celle de la résurrection. Mais cette résurrection n’est possible qu’au terme d’un chemin d’humilité, de renonciation à soi-même, de don de soi. C’est là le message de l’Evangile, le message du christianisme, le message de Jésus.
L’évangile des rameaux (Luc 19, 35) nous donne ici un indice : l’ânon, le petit d’une ânesse. Saint Augustin commentait ainsi ce passage dans une homélie le jour de la fête des Rameaux dans les années 400. Je cite : « Jésus afin de nous donner l'exemple de la patience et de l'humilité, oublia la grandeur qu'il puise dans son égalité et sa ressemblance parfaites avec le Père. Il s'assit sur le dos d'un ânon, et il entra ainsi plus que modestement, mais, par là même, avec gloire dans Jérusalem. O l'étonnante charité ! Merveilleuse bonté de notre Dieu ! Le Créateur de l'univers a daigné s'asseoir sur un ânon ! Il est assis sur un ânon, Celui qui tient le monde entier dans le creux de sa main, et c'est pour nous élever jusqu'au troisième ciel !
Que, pour s'environner ici-bas de prestige et de gloire, les rois et les princes de la terre montent sur des chars d'or, sur des chevaux richement caparaçonnés et couverts d'or, de soie et de pierres précieuses : notre Roi, lui, va livrer bataille; mais ses armes sont celles de l'humilité, sa monture de combat est un ânon. « Ceux-ci sur des chars, ceux-là sur des chevaux ». Nous, nous triomphons avec notre Roi sur un humble ânon. C'est pourquoi le Prophète a dit de lui : « Dites à la fille de Sion : Voici que ton Roi vient à toi plein de douceur et assis sur le petit d'une ânesse ». Fin de citation.
Oui, comme le dit Saint Augustin, l’humilité est requise pour suivre Jésus et comprendre le message de l’Evangile. Tout comme est requis l’entraînement à l’espérance, comme de grands sportifs. C’est ce que nous dit la lettre aux Hébreux. Nous devons apprendre à espérer « avec endurance » car la route de la vie est souvent rude et décourageante. Raison de plus de s’entraîner à espérer.
C’est aussi cette invitation que nous devrions méditer aujourd’hui. Car tant de personnes imaginent que croire, n’est que de la crédulité pour des gens naïfs, plus ou moins illuminés. Or croire, c’est justement le contraire. C’est suivre le chemin d’humilité de Jésus et s’entraîner de façon énergique et exigeante pour rendre en nous palpable et contagieuse l’espérance qui nous habite.
Ainsi perçue, le film de l’entrée de Jésus à Jérusalem peut être compris bien au-delà des apparences. Il est une anticipation de la joie qui nous est promise lorsque nous serons auprès de Dieu, lorsque nous serons dans la résurrection, avec l’immense foule des hommes et des femmes qui depuis des siècles ont aspiré à la vie plutôt qu’à la mort. Et comme Jésus entre modestement sur un ânon dans Jérusalem, que nous entrerons nous-mêmes dans la Jérusalem céleste, image de ce que naïvement nous appelons le « ciel ».
Mais d’ici-là, comme des pèlerins dont le chemin n’est jamais terminé, nous sommes appelés à aller jusqu’au bout de nous-mêmes, à mettre en œuvre cette simplicité et cette espérance, pour marcher vers la résurrection, pour aller vers Pâques.
Amen.