« Tu me persuades presque… »ou la liberté de la conscience

image

Écouter le culte :

Hommage à Sébastien Castellion à l’occasion de son jubilé (500ème de sa naissance).


Paul vient d’être arrêté à Jérusalem pour trouble à l’ordre public. Il est transféré à Césarée afin de comparaître devant des acteurs de la politique locale, dont le roi Agrippa 2, petit-fils d’Hérode le Grand, le restaurateur du Second Temple de Jérusalem.
Pour sa défense, Paul raconte l’expérience spirituelle qui l’a transformé et conduit à devenir un disciple du Christ. Son témoignage impressionne le roi au point que ce dernier finit par lâcher : « Tu me persuades presque de devenir chrétien… »

Commençons avec ce petit mot, « presque », oligos en grec. Il est ici l’expression la plus pure du face à face d’un homme avec lui-même. Ce presque laisse deviner le for intérieur où se débattent les grandes questions qui nous sont posées par l’existence. Il montre un homme aux prises avec Dieu par l’intermédiaire de la prédication qui lui est adressée.
Ce presque nous invite à la retenue. Dans le secret du cœur de chacun se pose la question de Dieu. A cette question, il y a beaucoup de réponses : oui, non, peut-être, je ne sais pas, presque… Avant de prendre sa décision, le for intérieur examine, soupèse, balance. Je crois, viens au secours de mon incrédulité.
Un tel débat revêt une dimension quasi sacrée, puisque le message chrétien voit l’être humain comme le temple symbolique où Dieu doit être adoré. De ce lieu saint, on approche sur la pointe des pieds, avec pudeur et respect.

Pour Sébastien Castellion, la conscience est cela même. Elle est la dimension intouchable qui se tient au cœur de l’être humain et qui le définit. Le forcement de la conscience - dans la langue du XVIe siècle, forcer c’est violer - est pour lui le problème des problèmes. Il ouvre la boite de Pandore de toutes sortes de calamités, tant privées que publiques. Porter atteinte à la conscience, c’est porter atteinte à ce qui fait la dignité humaine.

Force est de reconnaître que, pendant des siècles, le forcement de conscience fut le problème des problèmes dans la chrétienté.
Un jour, l’Église encore jeune a décrété qu’elle avait toute autorité sur les choses spirituelles et qu’elle devait régner sur le for intérieur et sur les âmes. Pour régner efficacement, elle a fait appel à la contrainte exercée par un empereur acquis à sa cause, un certain Théodose (379-395). Tout cela a été amplement théorisé par Saint Augustin, penseur immense par ailleurs, et repris pieusement par l’Inquisition. À compter de ce jour, les mal-croyants, les mal pensants, les hérétiques sont devenus des criminels punis de mort. Une opinion divergente sur tel point de la foi vous menait tout droit au bûcher.

Contrairement à une illusion d’optique fréquente, la Réforme n’a pas mis fin à cet état de fait. Elle ne fut pas un combat pour ce que nous appelons aujourd’hui la tolérance.
Ainsi, il ne s’agissait pas pour Calvin d’organiser à Genève un quelconque pluralisme confessionnel. Il s’agissait de planter la seule vraie Église à ses yeux, comme on plante une forêt, avec le concours actif et la protection du gouvernement légitime de Genève. Puisque le magistrat est considéré comme un ministre de Dieu, à ce titre il lui appartenait de faire régner en son entier la vraie doctrine de Dieu. Calvin combat pour la vérité telle qu’il la conçoit, il ne combat pas pour la tolérance religieuse.

La Réforme a certes été un profond mouvement de renouveau spirituel, mais accompagné d’un principe de vérité intransigeant nullement soucieux de pluralisme. Les réformateurs n’envisagent à aucun moment que les droits de la vérité théologique puissent être négociables. Ils n’ont pas admis que d’autres puissent croire autrement que la droite doctrine ne l’enseigne.

Évidemment, une telle posture ne peut que déboucher sur l’intolérance. De fait, la Réforme s’est montrée persécutrice à l’égard des non-conformistes, voyez les anabaptistes. Mais à l’époque, la mal pensance ou la mal croyance sont aussi dangereuses à Genève qu’à Rome, à Zurich qu’à Wittenberg ou La Sorbonne. Où qu’il se rende, Michel Servet aurait à coup sûr péri dans les flammes. La notion de tolérance n’a tout simplement pas cours. Elle n’est pas encore née. Elle n’a pas encore été inventée.

La grandeur et le génie de Castellion auront été de tirer le signal d’alarme, quitte à braquer contre lui ses contemporains de tous bords. La conscience est libre et intouchable parce qu’elle appartient à Dieu. Dieu parle à travers elle, si vous prenez la peine d’écouter sa voix: « Apprenez de vos consciences à ne forcer celles des autres… » Et bien peu de ses contemporains se sont alors doutés que cet intellectuel atypique, avec ses idées dérangeantes qui énervaient tout le monde, parlait le langage de l’avenir. Il disait de lui-même qu’il n’était pas prophète. Je fais appel de ce jugement !

Revenons au point de départ. « Tu me persuades presque… » Bien sûr qu’un chrétien a le droit - et même le devoir - de répandre le message ! L’apôtre Paul a le droit d’argumenter, de débattre, de faire valoir son point de vue. Il a le droit de chercher à emporter la conviction et l’adhésion d’Agrippa. La tolérance dont Castellion a posé les bases philosophiques n’est en aucun cas un affaiblissement de l’Évangile ou un quelconque relativisme. Au contraire, la tolérance telle qu’il la conçoit réclame de la force. Elle est une conquête sur soi-même pour permettre à un débat équitable d’avoir lieu. Être tolérant, c’est débattre équitablement, à l’abri de la contrainte ou de la menace.

L’exercice est infiniment délicat. Le presque d’Agrippa pourrait impatienter plus d’un chrétien zélé. Cette impatience peut se transformer en tentation de forcer la conscience de l’hésitant ou du récalcitrant. C’est là le danger, quand l’Inquisiteur qui dort en nous se réveille…

Castellion n’a rien inventé. Il a lu la Bible de manière conséquente comme Parole de Dieu. Il martèle : « Une guerre spirituelle doit être menée par les armes de l’Esprit et le royaume du Christ n’est point de ce monde ». Tout est là.

Du coup, l’Église, cette machine collective dont Castellion se méfie, doit rester en retrait, à sa vraie place de témoin et d’instrument. Elle témoigne de la transcendance en ce monde et offre un instrument au service de la vie spirituelle des gens. Mais elle ne peut prétendre à aucune autorité sur les âmes et les consciences. Et plus elle se tient à l’écart des pouvoirs politiques, mieux c’est.

La tolérance découle entièrement du respect de la conscience personnelle. Si la conscience est libre, croire autrement ou diverger d’opinion n’est pas un crime. Ce n’est pas une faute d’examiner, de critiquer, de douter. Si le doute n’est pas permis, la foi ne l’est pas non plus.

Seulement, pour être tolérant, il faut commencer par fixer les limites de l’intolérable. Et l’intolérable n’est pas la divergence de foi. L’intolérable, c’est l’inhumain, l’atteinte à la vie, au mouvement, à l’être. L’intolérable, c’est invariablement la destruction de la personne. Une croyance est intolérable dès qu’elle devient un appel au meurtre. «Tuer un homme, ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme». Il n’a jamais existé un bon droit à brûler un être humain.

En tirant ce signal d’alarme de la liberté de conscience à destination d’une chrétienté infidèle à son Maître, Castellion a posé la première pierre de la pensée occidentale de la tolérance. Reprise par les générations suivantes, elle s’est élargie au domaine civil jusqu’à constituer notre bien commun.

Peut-être jugerez-vous que, vu d’aujourd’hui, Castellion enfonce des portes ouvertes... Des portes ouvertes pour nous, Européens post-modernes qui sommes encore merveilleusement préservés. Pensez donc, nous ne sommes même pas obligés d’aller à l’église le dimanche…

Mais nous devons ce confort à des ancêtres courageux qui ont consumé leurs forces, leur pensée et leur vie pour que l’être humain l’emporte sur sa barbarie atavique. Un peu de gratitude historique ne nous fera pas de mal. On a eu mille fois raison d’écrire que la publication du Traité des Hérétiques a marqué une étape importante dans l’histoire de l’humanité.

Au reste, jusqu’à quand croyons-nous que nous serons préservés ?
Le présent est de moins en moins confortable. La propagande assaille notre temps de cerveau disponible. Le prêt-à-penser nous formate. La liberté d’expression est sur la sellette. La surveillance des citoyens se généralise. Les spécialistes de la manipulation mentale ont pignon sur rue, on les appelle les « spin doctors ». Des absolutismes religieux d’un nouveau style font surface. Sans oublier la légitimation religieuse de la violence qui prolifère à travers le monde. Bref, le non-respect de la conscience est partout.

Alors que faire ? Ce que Castellion fit.
Un : Trouvons du sens dans notre époque sombre en prenant au sérieux la parole de Dieu.
Deux : Ne restons pas les bras croisés, mais engageons-nous concrètement afin que le pire n’advienne pas.
C’est ainsi que certaines vies, par la grâce de Dieu, sont des sources d’inspiration pour les autres.

Culte dans le cadre du Jubilé Sébastien Castellion à Vandoeuvres. 
A l’occasion du 500ème anniversaire de sa naissance, le Jubilé Sébastien Castellion propose un cycle de conférences, une exposition et une grande fête villageoise.

Grande figure de la Réforme, père de la laïcité, précurseur de la tolérance, apôtre de la liberté de conscience, annonciateur des Lumières ! Que d’adjectifs élogieux pour évoquer un seul homme ! Un homme pourtant totalement méconnu, voire presque inconnu, même dans la « Rome protestante », peut-être en raison de sa brouille avec Jean Calvin, dont il avait été le disciple. Théoricien de la liberté de conscience, penseur de la tolérance, partisan de la séparation de l’Église et de l’État, bibliste et pédagogue, il reste l’une des figures les plus émouvantes.Un buste de Sébastien Castellion est installé tout proche du parvis du temple, près de la chaire de Vandoeuvres qui fut la sienne. C'est l’occasion, enfin, de rendre hommage à ce grand homme et de se rappeler que la célèbre phrase que l’on a pu lire des centaines de fois depuis les événements dramatiques qui ont endeuillé Paris et atterré le monde au mois de janvier dernier lui appartient : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une idée, ce n’est que tuer un homme ».

Détails

Avec la participation de
Bruno Miquel
Orgue
Anne Boëls
Musique
Cindy Favre-Victoire, soprano