Passage à l’Acte : en guise de rappel pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion d’écouter le culte il y a deux semaines, mon collègue le pasteur Stefan Wild nous a présenté le discours de l'apôtre Pierre à la Pentecôte en faisant un lien fort entre la figure du roi David et celle de Jésus le Messie. Ce discours d’évangélisation a été fondateur de la foi chrétienne tout en l’enracinant dans ses racines juives.
Passage à l’Acte à nouveau dimanche dernier, lorsque mon collègue le pasteur Innocent Himbaza nous a raconté dans quelles circonstances Saül a vécu une conversion spectaculaire et le bouleversement qui s’en est suivi pour lui et pour son entourage. Alors qu’il s’approche de Damas pour y persécuter les chrétiens, Saül est soudainement aveuglé, puis une voix descend du ciel en s’adressant à lui. C’est Jésus qui lui parle
“Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ?” Dès qu’il comprend qu’il était en fait en train de persécuter l’envoyé de Dieu pour réconcilier l’humanité avec lui, Saül choisit de devenir disciple de ce Jésus qu’il rejetait et se met immédiatement à annoncer l’Evangile avec zèle et persuasion. Cependant, de nombreuses personnes à Damas puis à Jérusalem, où il s’est réfugié, cherchent à le faire mourir. Finalement, il repart pour Tarse, sa ville natale, et la Bible ne parle plus de lui pendant une dizaine d’années. Y a-t-il fondé une communauté chrétienne ? A-t-il repris son métier de fabricant de tentes ? Tous les deux sont fort probables.
Passage à l’Acte encore aujourd’hui, où nous retrouvons Saül quelques années plus tard. L’ancien persécuteur des chrétiens est non seulement devenu un disciple de Jésus, mais un leader expérimenté. C’est pourquoi Barnabas lui propose de le rejoindre à l’église d’Antioche (actuellement en Syrie, près de la Méditerranée) pour y faire un sorte de stage préparatoire avant son départ en mission (Actes 11.25-26). Puis vient notre texte que je vous laisse découvrir. Il s’agit du livre des Actes du Saint-Esprit accomplis en collaboration avec les Apôtres.
Lecture biblique : Actes 13.1-12
Cette histoire est vraiment surprenante, voire dérangeante. Elle braque le projecteur sur un de ces moments où tout semble basculer, et en général nous n’aimons pas trop cela. Et pourtant, ces temps-là sont souvent le creuset de changements nécessaires. C’est ce que l’on appelle des temps de métamorphose. J’aimerais prendre une image pour illustrer cette idée de métamorphose : si vous allez au bord de la mer cet été, je vous invite à observer attentivement ce moment très particulier où la marée descendante cesse de descendre. Il s’ensuit une période chaotique, pendant laquelle il semble que l’eau ne sait plus tellement quoi faire : les vagues et les courants vont dans toutes les directions. En termes de marine, c’est ce que l’on appelle la renverse. Puis, progressivement, un nouveau rythme s’impose, et la marée se met à remonter.
Comme la mer lors de la renverse passe par un moment de chaos, de même les protagonistes de cette histoire et peut-être nous aussi ce matin.
Commençons par identifier ce qui est si perturbant à la lecture de ce texte : nous allons nous intéresser à l’église d’Antioche, à l’appel de Dieu, aux personnages de ce récit et, enfin, aux relations entre ces personnes. Je vais nommer sept éléments :
1. L’église décrite dans ce récit contraste avec la nôtre : nous découvrons une église jeune et dynamique, vivant sa foi à l’écoute du Saint-Esprit, généreuse au point de laisser partir deux des cinq responsables cités comme leaders pour entreprendre un voyage aventureux afin de diffuser l’Evangile au loin. Cette église jeûne et est jeune : ses membres sont marqués par la hardiesse de la jeunesse et elle choisit de s’abstenir de nourriture pendant certains repas afin de se rendre plus disponible pour écouter le Saint-Esprit. D’ailleurs, il parle avec précision : “réservez-moi Barnabas et Saül pour le service, pour la mission à laquelle je les ai appelés.” Et dans votre église, comment le Saint-Esprit parle-t-il ?
2. Dieu a des projets pour les humains : n’en déplaise à Voltaire, il n’est pas comme un horloger qui, après avoir construit son chef-d’œuvre, le regarde fonctionner tout seul. Non, il communique de multiples manières avec nous et nous prend comme des collaborateurs associés. Dans une société aussi individualiste que la nôtre, il est difficile de croire que Dieu désire se servir de l’Eglise comme le lieu où il s’adresse à nous.
3. Le temps mis par Dieu pour adresser cet appel : comment se fait-il que le Saint-Esprit ait attendu plus de 10 ans avant d’initier ce 1er voyage missionnaire ? Peut-être que l’Eglise ou les chrétiens n’y étaient pas encore prêts. Prendre le temps de se former à l’écoute du Saint-Esprit et de se préparer à aller à la rencontre des autres, c’est très important.
4. L’activité de ces envoyés laisse perplexe l’auditeur du 21e siècle : Barnabas et Saül s’adressent à des gens d’une religion différente pour les inciter à se convertir à la foi chrétienne. Appelez ça de l’évangélisation, de la mission ou du prosélytisme, peu importe. Reconnaissons qu’il n’y a pas chez eux cette réserve, cette pudeur bien réformée, cette crainte de déranger l’autre dans ses convictions.
5. La rencontre d’un magicien : Elymas ou Bar-Jésus en hébreu, ce qui signifie “fils de Jésus ou de Josué”. Quel drôle de prénom pour quelqu’un qui s’oppose de manière si malveillante à Jésus de Nazareth. Faisait-il des tours de magie ? Dans ce cas-là, on devrait plutôt l’appeler un prestidigitateur, même si c’est plus difficile à prononcer que magicien. Ou alors était-ce un manipulateur des forces occultes ? C’est ce que semble démontrer son attitude d’opposition au témoignage des apôtres. Il est décrit comme un faux prophète, un imposteur qui prétend connaître l’avenir grâce à la sorcellerie. Pas évident tout de même comme premier public pour se lancer dans l’évangélisation !
6. La façon dont Barnabas et Saül vont gérer cette rencontre est plutôt surprenante : il est dit que Saül, poussé par le Saint-Esprit, fixe son regard sur ce magicien et l’apostrophe d’un ton menaçant : “toi qui es pétri de ruse et de méchanceté, fils du diable, ennemi de toute justice, ne vas-tu pas cesser de fausser les plans du Seigneur” lui dit-il. Quand même, voilà une parole agressive. Oserions-nous aujourd’hui nous exprimer ainsi ? Menacer au nom de Dieu, n’est-ce pas une attitude de terroriste ? Ça n’a pas bonne presse par les temps qui courent. Saül en remet une couche en devenant l’instrument de la cécité de ce magicien. Voilà qui ne cadre guère avec cet idéal de l’aide au prochain qui porte notre religion de manière toute particulière. Cette action nous met un peu mal à l’aise : pourquoi tant de violence ? Est-ce vraiment cela le christianisme ? Voilà qui s’accorde mal avec l’Evangile que nous voyons plutôt comme un message de paix et d’amour. Il est vrai, d’un autre côté, qu’à force de chercher la réconciliation, ne sommes-nous pas devenus trop consensuels, trop mous dans notre façon de protester contre l’injustice ou contre l’instrumentalisation de la religion ?
7. Discussion et action : Saül, pour convaincre le proconsul (= gouverneur) de Chypre, lui expose la parole de Dieu. Il s’ensuit une discussion où Saül peut constater l’intelligence de son interlocuteur. Une bonne discussion théologique, voilà qui ne nous étonne pas de la part de Saül, ce grand théologien qui va écrire à lui seul le ¼ du Nouveau Testament. Et nous, quand était-ce la dernière fois que nous avons discuté, argumenté, essayé de convaincre un interlocuteur au sujet de l’Evangile ? Mais pour Saül, cela ne s’arrête pas là : à la persuasion de sa parole, il ajoute une démonstration d’autorité spirituelle. Il impressionne le gouverneur par le signe effrayant dont il est l’acteur avec l’aide du Saint-Esprit. Après les paroles, passage à l’acte pour Saül.
Il y aurait encore bien d’autres sujets d’étonnement. Voilà décidément une drôle d’histoire, car elle ne se conforme pas à ce qui nous est familier. Et pourtant, elle est tout à fait centrale pour comprendre l’histoire du christianisme. Elle illustre trois métamorphoses vécues dans l’Eglise dite primitive et qui ont de quoi nous interpeller aujourd’hui encore.
La métamorphose de l’église
Pour la 1ère fois peut-être de l’histoire, un homme se forme à la mission interculturelle dans le cadre d’une église. Appelé de Tarse par Barnabas, Saül reste une année dans cette église cosmopolite et innovante d’Antioche. Cette église est vraiment intéressante, car elle fonctionne différemment des autres : on peut parler de changement de paradigme. Non seulement ses membres célèbrent le culte, jeûnent, prient et écoutent le Saint-Esprit, mais ils sont ouverts à explorer de nouvelles expériences spirituelles. C’est une sorte de laboratoire d’église en mission, une espèce de start-up ecclésiale qui va conquérir le monde avec son message et son modèle. Voici quelques-unes de ses spécificités :
• Des juifs chrétiens annoncent l’Evangile à des non-juifs pour les intégrer dans leur église. C’est révolutionnaire ! C’est comme si aujourd’hui les chrétiens sortaient de leur église pour annoncer l’évangile aux immigrants d’autres religions. Ça ne plairait peut-être pas à tout le monde, mais dans le fond, savons-nous ce qu’en pense le Saint-Esprit ?
• Cette jeune église va encore plus loin : elle reconnait l’appel reçu par deux d’entre eux de partir en mission au loin pour y apporter l’Evangile. On peut dire que c’est à partir de ce moment-là que se concrétise la dimension universelle de la foi chrétienne.
• C’est aussi à Antioche que, pour la première fois, les disciples de Jésus ont été nommés les chrétiens.
Au cours de cette année de formation, Saül …
• approfondit sa foi dans un compagnonnage avec d’autres chrétiens ;
• affine sa manière de témoigner de l’Evangile dans un contexte multiculturel ;
• élabore une perception théologique chrétienne du monde.
Tout cela lui sera très utile pour la suite de son ministère. Cette communauté chrétienne vit une métamorphose ecclésiale : la transformation d’une église prospère en une église missionnaire, prête à reconnaître l’appel de Dieu et à former ses membres pour les envoyer en mission. Cela donne l’impression d’une marée montante. Cette histoire invite notre église à être non seulement prospère, mais aussi à revaloriser la formation au témoignage interculturel, pour ici et pour ailleurs. Je me souviens de ce prédicateur estimant que la prospérité d’une église ne se mesure pas à ses finances, mais à sa capacité d’envoyer des missionnaires.
Une métamorphose personnelle
Barnabas et Saül sont parmi les plus talentueux leaders de l’église d’Antioche. Ils reçoivent un appel missionnaire, une véritable vocation. Cela ne vient pas de leur propre initiative, mais du Saint-Esprit : cela ne se fait pas sans l’église, mais par l’église. Quand j’entends des gens me dire “je n’ai pas besoin d’aller à l’église pour connaître Dieu”, j’ai envie de leur répondre “oui, vous avez raison, par contre vous avez besoin de l’église pour reconnaître et confirmer votre vocation”.
Pour Saül, ce changement est illustré par l’ouverture au monde romain qu’implique l’utilisation de son nom latin : désormais, on l’appellera Paul. C’est le signe de la nouvelle dimension que prend son ministère : annoncer l’Evangile à des gens qui n’en ont pas connaissance et étendre l’église au-delà des cercles habituels. Paul sera appelé l’apôtre des nations. Il écrira dans une de ses lettres : “je me fais tout à tous afin d’en gagner au moins quelques-uns” pour l’Evangile.
Paul sait bien qu’il n’est pas infaillible, qu’il ne possède pas la vérité et qu’il n’est pas meilleur que les autres, mais il sait qu’en Jésus se trouve toute la plénitude de Dieu et que le meilleur cadeau qu’il puisse faire à quelqu’un c’est de l’aider à rencontre le Dieu vivant par Jésus-Christ. Il connaît la bonne nouvelle et désire la transmettre, quitte à être parfois confrontant, quitte à prendre une autorité spirituelle pour affirmer sa foi. Et il va d’ailleurs rapidement en avoir l’occasion.
Paul vit une métamorphose personnelle lui permettant de passer du statut de disciple de Jésus-Christ à celui d’apôtre, c’est-à-dire envoyé pour Jésus-Christ. Cette histoire invite chaque chrétien à se poser la question : quel décentrement de mon identité suis-je prêt à faire pour aller à la rencontre de mon prochain, quelle que soit sa culture, pour lui transmettre la bonne nouvelle de Jésus-Christ ?
Une métamorphose proposée
Il faut être en chemin soi-même pour aider les autres à se mettre en chemin à leur tour, et c’est l’expérience de métamorphose que Paul va proposer à Elymas et au gouverneur de l’île de Chypre, à chacun sa manière et sur son terrain. Puissance et persuasion :
• concernant Elymas, rien de plus parlant pour contrer un pouvoir occulte que de démontrer un pouvoir encore plus fort. J’ai entendu lors d’un temps de prière de délivrance “celui qui est derrière toi, il est plus fort que moi”. Face aux pouvoirs occultes, il ne s’agit pas d’être gentil, mais d’être autoritaire.
• pour le gouverneur, il en va tout autrement : Paul présente, argumente et persuade. Dans ce récit les deux approches sont combinées. Elymas et le gouverneur ont de quoi avoir leurs idées et références spirituelles sens dessus dessous. C’est la renverse, et s’ils le veulent bien, la marée montante de la présence du Christ en eux.
Pour rappeler le contexte, souvenons-nous que ce qui a provoqué la conversion de Paul à la foi chrétienne a justement été la perte momentanée de la vue sur le chemin de Damas. Or, cette expérience douloureuse lui a permis de prendre conscience de son aveuglement spirituel. Et voilà qu’Elymas est frappé à son tour de cécité. Paul sait par expérience personnelle que l’aveuglement des yeux peut permettre à la lumière du Seigneur de jaillir dans l’obscurité de l’esprit.
Selon la perspective de Paul, loin d’être une punition ou une malédiction, la cécité d’Elymas est vue au contraire comme une opportunité, comme l’occasion d’un changement radical dans sa vie vers le bien, vers une bénédiction. Paul ne veut pas du mal à cet homme, mais essaye de l’ouvrir à autre chose, il lui tend une perche pour un changement de vie. Paul a lui aussi connu la cécité ; il sait donc qu’elle peut mener à la “clairvoyance” spirituelle.
La bonne nouvelle commence par une mauvaise. C’est comme si Paul disait à Elymas : “du point de vue spirituel, tu es à côté de la plaque et ta vision du monde est faussée, découvre la lumière qui vient lorsque tu reconnais que Jésus est le Seigneur, qu’il est le Christ”. Le texte ne dit rien sur la suite de la vie d’Elymas : est-il resté magicien, est-il devenu chrétien, on n’en sait rien. Mais c’est comme si cette histoire nous invitait à nous imaginer un instant à la place d’Elymas : qu’aurions-nous fait ? En tout cas, le premier spectateur de cette scène, le gouverneur, un homme intelligent, a été suffisamment impressionné pour reconnaître dans ce fait un signe probant de la véracité de l’Evangile. Il a accepté de se laisser métamorphoser par la foi en Jésus-Christ : il est le premier gouverneur chrétien !
Cette histoire du premier élan missionnaire structuré par l’Eglise nous invite à considérer cette triple métamorphose sous l’inspiration du Saint-Esprit : celle de l’église d’Antioche, celle des personnes qui la composaient et celle des personnes recevant le témoignage des apôtres. Elle a eu pour conséquence la transformation d’un petit groupe religieux en la religion la plus répandue dans le monde. Ce qui s’est passé à ce moment-là a de quoi nous interpeller 2000 ans après sur la nécessité à oser certains changements, nous aussi, afin de nous laisser décentrer par le Saint-Esprit et favoriser l’annonce de l’Evangile pour que l’Eglise croisse. Il ne s’agit pas de faire de nous tous des Paul ou des églises d’Antioche, mais de rester ouverts au Saint-Esprit pour voir où il nous guide.
C’est pourquoi, plutôt que de se demander : “que peut faire Dieu pour moi aujourd’hui ?”, mettons-nous à sa disposition en lui disant “que puis-je faire pour toi aujourd’hui ?” Cela ne manquera pas de métamorphoser notre vie et nos églises, notre société et notre monde en profondeur. Au commencement, l’expansion incroyable du christianisme est venue d’une petite église syrienne, accueillante, cosmopolite, spirituelle, formatrice et missionnaire. Retrouvons la saveur du souffle du Saint-Esprit qui la traversait… et participons à la renverse !
Revenons à nous-mêmes. Peut-être venons-nous de vivre nous aussi une métamorphose : en écoutant cette histoire, nous ne l’avons peut-être tout d’abord ni comprise ni aimée : elle descendait dans notre estime. Puis est venu ce moment chaotique pendant lequel plein d’observations interpellantes fusaient dans tous les sens : la renverse. Enfin, comme une marée montante, nous goûtons de plus en plus à tout ce que la parole de Dieu transmise par la Bible peut nous apporter.
Que Dieu vous bénisse,
Amen.