Écouter le culte :
Nous avons besoin de pardon pour ne pas rester enfermés dans nos culpabilités, nos remords, dans le sentiment de nos fautes. Parce que, dans ce que nous faisons au quotidien, il y a des choses que nous ne faisons pas à la hauteur de ce que nous avions imaginé ou espéré, et il arrive de nous en sentir coupables.
Dans nos relations avec nos proches, il nous arrive de les blesser, la plupart du temps sans le vouloir, parfois même sans nous en rendre véritablement compte et cela vient entacher nos relations.
Il nous arrive, nous, d’être blessés par une parole, par un comportement, par un geste, par un regard ou par un silence et dans toutes ces circonstances-là, nous avons besoin de pardon.
Nous avons besoin de pardonner à ceux qui nous ont blessés, à ceux qui nous ont fait du tort, pour ne pas rester enfermés dans cette relation abîmée qui a peut-être engendré de la méfiance ou de la distance.
Nous avons besoin d’être pardonnés de telle manière à pouvoir repartir, nous redresser, nous reconstruire. Nous avons besoin de pardonner et nous avons besoin d’être pardonnés, nous avons besoin du pardon des autres, nous avons besoin de pouvoir pardonner aux autres.
Et nous avons besoin de notre pardon pour nous-mêmes, aussi parce qu’il nous arrive de nous sentir coupables ou mal à l’aise parce que nous n’avons pas été à la hauteur de ce que nous attendions de nous-mêmes. Et parfois le juge le plus impitoyable sur notre vie ce n’est pas l’autre, mais c’est nous-mêmes.
Nous avons besoin d’un pardon qui va parfois au delà de nos possibilités de pardonner ou de demander pardon.
Nous avons besoin d’une assurance qui nous dise que quelles que soient les fausses routes sur lesquelles nous nous sommes engagées, il nous sera possible de nous réorienter sur une route plus adéquate.
Nous avons besoin, lorsque nous sommes dans une impasse, de savoir qu’il y a une possibilité de sortir de cette impasse.
Nous avons besoin d’un pardon qui dépasse nos possibilités et qui nous permette de recevoir une parole de grâce, une parole d’amour, une parole de tendresse, une parole qui nous redresse, alors même que nous pensons que cette parole est humainement impossible.
Nous avons besoin de savoir vivre, d’expérimenter qu’il y a un lieu, un « quelque part » où nous sommes écoutés, accueillis et pardonnés tels que nous sommes.
La Bible rend témoignage à ce « quelque part », à ce lieu-là. Et ce « quelque part », ce lieu-là, la Bible l’appelle Dieu. Elle l’appelle Dieu et affirme qu’Il se donne à connaître, se donne à expérimenter pleinement dans un homme qui a vécu dans notre humanité et dont elle raconte l’histoire, un homme qui s’appelle Jésus.
Un homme si proche de Dieu dans ce qu’il a fait, dans ce qu’il a dit, dans sa manière de se comporter avec les autres, y compris avec ses adversaires, y compris avec ceux qui lui veulent du mal. Un homme qui a été si proche de Dieu que je peux l’appeler Fils de Dieu. Mais un homme si proche de moi aussi dans mon humanité que je peux l’appeler Fils de l’homme, et que je peux le découvrir comme mon frère.
Ainsi donc, la Bible est un témoignage de ce qu’il existe un pardon possible pour moi. Et pourtant le texte de la Bible de ce matin, le texte de l’Évangile de Matthieu que nous avons lu, nous dit une chose de plus dérangeante: il nous dit que le pardon de Dieu serait limité; que le pardon de Dieu ne s’étendrait pas à toutes les situations, qu’il serait restreint. Voilà qui nous heurte dans notre compréhension d’un Dieu de bonté, un Dieu d’accueil, d’amour de pardon de grâce.
Quand le pardon de Dieu est limité alors cela vient conforter en moi l’image d’un Dieu terrible, d’un Dieu juge, d’un Dieu surveillant, d’un Dieu inquisiteur, dont l’action est génératrice d’exclusion et donc forcément de violence. Et cette image d’un Dieu excluant et violent sert les intérêts des intégristes de toutes sortes, conforte l’idée courante selon laquelle la foi en Dieu génère automatiquement exclusion et donc de la violence.
Alors c’est difficile et pourtant il faut l’admettre, en dépit de la sincérité de notre foi, de la sincérité de notre recherche spirituelle, que cela est parfois vrai, et que la religion, y compris la mieux intentionnée, peut parfois générer de la violence. Il ne faut pas être naïf sur ce débordement possible de notre vie religieuse, mais c’est une autre histoire qui vaudrait une prédication à elle toute seule!
Revenons à notre texte et constatons, en toute lucidité et peut-être à notre grand regret, que le texte de ce matin est sans appel: il y a des fautes que Dieu ne pardonne pas.
On peut certes choisir de fermer les yeux sur ce texte, choisir de ne pas lire cela, considérer que cela fait partie des scories d’un passé ancien, que ces textes sont à exclure de notre horizon. Mais si on fait cela avec tous les textes bibliques qui nous heurtent ou dérangent, il ne nous reste pas grand chose de la Bible: 2 ou 3 généralités sans grande portée existentielle. Une vision naïve d’un univers de bisounours qui ne tiendra que très difficilement le choc de la réalité.
Il y a quelque chose qui nous dérange et qui résiste: Dieu pardonne, certes, mais pas tout. Il y a là nettement une limite posée à son pardon. Cette situation, je l’ai déjà dit, peut être angoissante, très écrasante ou génératrice de violence. Mais j’aimerais vous inviter à aller au-delà de ce simple constat, pour aller plus loin, pour découvrir que cette limite peut aussi être structurante.
Regardez la psychologie et la pédagogie, toutes les deux l’affirment: la limite est nécessaire pour grandir. Les psychologues et les pédagogues nous le disent sans relâche: « Un enfant ne peut devenir un adulte responsable et épanoui que s’il a été confronté à des limites, à la gestion de la frustration, s’il n’a pas été confronté à un non ».
Si l’on veut qu’un enfant puisse dire OUI à la vie, à l’ouverture, à l’autre, à l’amour; il faut qu’il ait été confronté à un NON. Sans limite, pas de structuration interne, et c’est le règne de l’enfant roi.
Tout l’art, disent psychologues et pédagogues, c’est de donner des limites avec bienveillance et de savoir les assumer. Alors si ce que les psychologues et les pédagogues nous disent à propos de la fonction structurante du non et de la structuration nécessaire par la limite pour l’épanouissement de l’enfant s’appliquait aussi à notre vie spirituelle, à notre quête de sens, à notre relation avec Dieu ?
La limite que Dieu pose au pardon est alors nécessaire pour grandir devant Dieu comme un adulte responsable, comme un adulte qui est un partenaire de Dieu et non comme enfant gâté qui multiplie les caprices. Enfant aimé, oui, nous le sommes; enfant roi, non.
Car il faut toujours nous souvenir dans toute cette histoire de limite que l’Évangile est Bonne Nouvelle. Elle est là pour nous donner d’expérimenter dans notre relation à Dieu et aux autres un surplus de vie, une vie en abondance. La limite posée par l’Évangile de Matthieu au pardon ne détruit donc pas l’image d’un Dieu d’amour. Au contraire, elle vient crédibiliser la compréhension d’un Dieu d’amour en nous montrant la pédagogie et le réalisme. Mais il est aussi temps de s’intéresser à ce qui est exclu du pardon dans l’Évangile de Matthieu: le fameux péché contre l’Esprit. De quoi s’agit-il?
Pour bien le comprendre, souvenons-nous du contexte de cette parole, souvenons-nous que ce passage nous entraîne dans une vive polémique entre partisans et adversaires de Jésus. Ces adversaires accusent Jésus d’avoir parti lié avec le diable, il murmure et susurre que ce qui l’inspire ce n’est pas Dieu, mais le chef des démons, Béelzébul. Ce faisant, ils cherchent à dénier toute crédibilité aux paroles et actes de Jésus. Face à un peuple qui est impressionné par le personnage, touché par ses paroles, marqué par les actes qu’il pose, les adversaires ne contestent pas la réalité de ses pouvoirs, ils ne remettent pas en cause la justesse de ses propos, ni de son charisme; mais ils scient tout cela à la base en affirmant que ce que Jésus fait ne vient pas de Dieu, mais du Malin.
Nous sommes ici au coeur d’une polémique, d’une polémique forte qui a avoir avec la question centrale pour les chrétiens, de l’identité de Jésus, de son lien avec Dieu. Jésus vient de Dieu: cette affirmation, cette confession de foi est un marqueur d’identité des chrétiens, à travers les âges. Il y a là, oui une limite, une forme de point central, de point focal pour la foi chrétienne.
Aujourd’hui alors, le défi pour les chrétiens, les intéressés par la figure de Jésus, est de maintenir une identité claire parce que nous croyons que Jésus vient de Dieu, sans pour autant rompre le dialogue, exclure, refuser la main tendue de ceux qui doutent, cherchent, refusent ou ignorent Jésus.
Ah, une dernière chose encore à propos du pardon: n’oublions pas qu’au bout du compte, le pardon appartient à Dieu. Il ne me revient pas de lui dire: « Seigneur pardonne à lui » ou « Seigneur ne lui pardonne pas à lui ». Il est Dieu et Il est libre d’user de son pardon. Et je crois qu’il veut en user pour le bien.
L’enjeu n’est donc pas de dire : « Dieu pardonne aux autres ». L’enjeu est de dire: « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés », et qu’en toute chose, « que ton règne vienne, que ta volonté soit faite ».
Amen