Écouter le culte :
Qu’est-ce que vous attendez de Dieu – si vous en attendez quelque chose bien sûr ?
Et qu’est-ce que vous attendez de Jésus ?
Il y pourrait y avoir des réponses multiples. Certaines qui concernent le monde : que Dieu fasse disparaître toutes les maladies, à commencer par le Coronavirus ; qu’il élimine la pauvreté et les injustices ; qu’il arrête les guerres ; qu’il empêche les catastrophes naturelles.
Il peut aussi y avoir des réponses plus personnelles : la guérison – pour soi ou pour un proche ; la sécurité matérielle, notamment par le travail ; la réconciliation avec ceux et celles qui vous sont chers ; la protection contre les épreuves de la vie ; la paix intérieure, le réconfort dans les moments de tempête. La liste n’est pas exhaustive !
Oui, qu’attendons-nous de Dieu ? Et qu’êtes-vous prêts, qu’êtes-vous prêtes, à lui offrir? Une vie bien rangée ? Des prières ? Des privations ?
Dans le récit que nous venons d’entendre, les protagonistes ont eux aussi des attentes à l’égard de Dieu et de son messie. Chacun attend de Dieu qu’il protège son peuple et qu’il envoie le messie qu’il l’a promis.
Les foules attendent du messie la guérison de leurs maux physiques, mais aussi une libération sociale et politique qui rétablisse le peuple d’Israël comme maître de sa destinée. Elles attendent de lui qu’il soit un roi puissant et juste comme David et Salomon.
Les disciples de Jésus attendaient cela aussi, et, en plus, ils espéraient une place de choix dans le royaume qu’il allait instaurer : on les voit dans les chapitres précédents s’interroger sur la place qu’ils auront et qu’ils espèrent privilégiée, au vu de leur état de service.
Les autorités de Jérusalem aussi attendent le messie, un messie vainqueur qui mette en avant l’importance de leur service et qui utilise l’institution du temple comme base de reconquête politique et religieuse.
Pour que ces attentes se réalisent, tous ces gens étaient prêts à respecter plus strictement les nombreuses règles de la Torah, à faire des sacrifices d’animaux, à prier selon les règles prescrites.
Des attentes et des offrandes pas si éloignées des nôtres au fond, malgré les siècles qui nous séparent ! Parce que Jésus fait face, hier comme aujourd’hui, à des attentes plus ou moins contradictoires, plus ou moins fondées, et à des offrandes... qui tombent si vite dans le marchandage. Et toujours il cherche à faire comprendre que Dieu précède nos attentes, gratuitement. Parce que les explications les meilleures ne sont pas toujours des discours, il essaie ici de le faire comprendre par un geste symbolique qu’il nous faut examiner d’un peu plus près.
Après avoir réquisitionné un âne – puisqu’il n’en possède pas – Jésus se met en route à travers les villages et les faubourgs en prenant presqu’exactement le chemin qu’avait suivi Salomon pour se faire couronner successeur légitime de David. Il s’inscrit ainsi dans la tradition des rois bibliques, et assume pleinement la dimension royale de son ministère. On souligne parfois le côté humble de cette entrée sur un âne, mais Jésus a toujours voyagé à pied ! S’il avait voulu faire acte d’humilité il valait mieux continuer, non ? D’ailleurs, la plupart des pèlerins faisaient le voyage vers Jérusalem sur un cheval ou un âne, et en signe d’humilité le laissait à l’entrée de la ville sainte pour y entrer à pied. Jésus ici fait précisément l’inverse : il voyage à pied, il entre sur un âne. En prenant une monture, en suivant le chemin de Salomon, Jésus ne fait pas un acte d’humilité, il assume son statut royal.
Par contre, en montant un âne, et pas un cheval comme les conquérants romains, il incarne une royauté pacifique, qui se propose plutôt qu’elle ne s’impose. Il se présente comme un roi pour qui régner ne justifie ni la violence ni la conquête. Un roi qui ne prétend pas gouverner contre ses sujets ou au-dessus d’eux, mais avec eux et depuis le milieu d’eux. Il ne vient pas conquérir une ville hostile, il vient s’offrir à elle.
Plus encore, Jésus se présente à l’entrée de Jérusalem entouré de la foule de celles et ceux qui le suivent, de celles et ceux qu’il a guéri.e.s, de celles et ceux qu’il a réintégré.e.s dans leur pleine dignité humaine. En se présentant à l’entrée de Jérusalem entouré de cette foule bigarrée, mélangée, sans barrière, il se pose comme un roi accessible sans condition, attentif à chacun et à chacune, quelle que soit sa situation et son statut social.
En fait, la royauté qu’incarne Jésus, c’est une royauté messianique. Mais quand ses contemporains attendaient un messie guerrier, chef politique et militaire, Jésus est un messie qui soigne d’abord de la dimension spirituelle, parce qu’elle est le fondement de tout le reste. C’est pour cela que son premier geste, en entrant dans Jérusalem, n’est pas d’aller mettre Ponce Pilate à la porte de son palais pour s’emparer du pouvoir politique, mais de se rendre au Temple pour en chasser avec vigueur les marchands d’animaux pour les sacrifices, qui entretiennent une relation avec Dieu qui relève du marchandage, du donnant-donnant. « Je te sacrifie un pigeon, tu protèges mes récoltes. » Aujourd’hui on dirait plutôt : « Je te fais une prière tous les soirs, tu guéris ma mère. »
Est-ce à dire que de bonnes récoltes ou la guérison ne sont pas des préoccupations légitimes selon Jésus ? Bien sûr que si elles le sont ! Mais ce que Jésus veut nous dire, c’est que nous n’avons pas besoin d’en convaincre Dieu ! Il est le premier convaincu, il y œuvre avant même que nous le lui demandions.
Est-ce à dire que la prière n’est pas importante ? Bien sûr qu’elle l’est ! Mais parce qu’elle ouvre notre cœur et nos mains à l’action de Dieu, pas parce qu’elle va le convaincre de traiter notre demande en priorité.
En fait, la royauté qu’incarne Jésus est si loin de ce que se représentent les gens qui sont là – de ce que nous nous représentons – que leur première réaction est ambiguë. Les disciples, puis les foules, déposent devant Jésus leurs manteaux, un geste courant pour honorer un roi. C’est un geste de respect et d’humilité, pour lui éviter les pierres, la poussière ou la boue, fut-ce au prix de son propre inconfort. C’est aussi un geste pour se faire bien voir : si Jésus est bien un roi, mieux vaut être parmi les premiers à le regarder comme tel.
Bien sûr, donner de l’importance à Jésus est souhaitable pour grandir en humanité, mais à aucun moment cela n’exige de nous humiliation ni inconfort, au contraire ! Il est celui qui va à la rencontre des exclus, des marginaux, celui qui touche celles et ceux que personne ne veut toucher, précisément pour restaurer leur dignité et leur capacité à vivre. Jésus n’est pas non plus celui qui punit ses adversaires : il combat leur enseignement, leurs actes s’il le faut, mais il ne les foudroie pas.
Il y a donc un sacré malentendu dans ce geste de déposer les manteaux sur le chemin de Jésus, mais on peut comprendre ces gens : la gratuité qu’offre Jésus est si inhabituellement gratuite qu’elle fait peur. Elle engage tellement celui qui l’offre et celui qui la reçoit, que le donnant-donnant est bien plus rassurant ! Nous sommes loin encore aujourd’hui, 2000 ans après la venue de Jésus, de vivre cette gratuité, dans notre relation à Dieu comme entre nous.
Dans ce geste maladroit, il y a pourtant – et c’est là l’ambiguïté – le germe d’une relation à Dieu plus féconde. Le manteau, c’est un vêtement que tout le monde portait, à la fois fonctionnel – il protège du vent, de la poussière, du froid – et marqueur social : du manteau usé jusqu’à la corde des plus pauvres au manteau chatoyant des plus riches. Ôter son manteau devant Jésus, c’est donc aussi se débarrasser d’un marqueur de classe sociale. C’est symboliquement se présenter à lui sans barrière, sans carapace. En se dépouillant ainsi devant le Christ, en acceptant la vulnérabilité qui en découle, on peut s’ouvrir plus vite à son regard d’amour qui est un nouveau manteau. Alors la promesse du Psaume peut s’accomplir, qui dit : « Nos ombres tomberont de nous comme des écorces » et nous pourrons vivre une véritable communion avec Celui qui est source de toute vie et de tout amour. Ce n’est pas confortable, ce n’est pas plein de certitude, c’est vivant.
Si nous pouvons oser ce dépouillement, c’est que Dieu le premier s’est dépouillé pour s’offrir à nous, vulnérable. Avant que nous déposions nos manteaux, réels ou symboliques, il a ôté son manteau de puissance. C’est bien le créateur, celui qui tient dans sa main l’univers, qui ose s’offrir à nous, vulnérable, dans l’enfant de la crèche, dans l’homme qui meurt sur la croix d’une mort infamante. Oui, Dieu le premier ôte son manteau de gloire si impressionnant pour nous montrer que sa puissance qui suscite la naissance des étoiles est aussi celle qui soutient la vie, celle qui soigne, qui relève.
Revenons à notre récit. La rencontre entre Jésus et la foule à l’entrée de Jérusalem est un malentendu : quelques jours plus tard la même foule réclamera à Pilate la mort de Jésus. Mais peu importe, c’est à cette foule que Jésus se présente : à cette foule avec ses mauvaises compréhensions, ses peurs, ses retours en arrière, ses doutes, ses trahisons même – et non pas à une foule de gens parfaits qui ont tout compris.
Quand Jésus entre dans Jérusalem, la foule doute, se demande s’il est un maître parmi d’autres, un prophète de plus. A qui se fier ?
A qui se fier ? N’est-ce pas aujourd’hui aussi notre question ? Nous passons notre temps confinés, à lire et relire les informations. Nous ne savons pas ce que seront l’état du monde et de notre vie dans quelques mois. Changés c’est sûr, mais pour du meilleur ou pour du pire ? A qui choisissons-nous de faire confiance en ces temps troublés ? Sommes-nous, comme les foules d’alors, au seuil d’un bouleversement de nos vies, de nos manières d’être ensemble, de nos images de Dieu ?
Aujourd’hui comme au jour des Rameaux, Jésus se propose, étrangement silencieux. Il est là. Il entend le besoin d’un Dieu magicien. Il entend le questionnement de cette dame à Bergame, qui, pour donner du sens à cette mort qui s’abat sans répit partout autour d’elle, ne peut que penser que Dieu est fâché et qu’il nous punit à cause de tout ce qui se passe dans le monde.
Jésus entend, et il offre à notre confiance un Dieu qui accepte la vie jusqu’à la mort, un Dieu dont la puissance n’est pas celle des armes mais celle des larmes partagées, un Dieu dont la puissance n’est pas celle de la destruction, mais celle de la vie qui se tisse dans le sein d’une mère qui porte son enfant à venir, celle contenue dans la minuscule graine qui donnera un immense séquoia. Un Dieu qui a renoncé à la puissance du déluge pour offrir celle de la goutte d’eau qui fait fleurir le désert, un Dieu qui a renoncé à la vengeance jusqu’à ouvrir les bras sur la croix. Un Dieu dont la puissance est celle du matin de Pâques : un tombeau vide, parce que la mort ne peut pas enfermer la vie.
Il nous demande de nous fier à cette puissance-là. Le pouvons-nous ?