Écouter le culte :
« Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu. »
Mais alors pourquoi avons-nous parfois le sentiment que Dieu est absent ? Qu’il est loin de nous ?
C’est une expérience spirituelle intime que nous sommes nombreux à avoir connu et à connaître, peut-être aujourd’hui encore ? Et cette expérience n’est pas que celle des incroyants, mais elle fait aussi partie de l’expérience des croyants et des croyantes. On me dit parfois : toi qui es croyant, tu as de la chance, tu ne peux pas connaître le doute ou les questions. Mais moi ce que je vis, c’est bien sûr la joie que me procure la présence de Dieu. Mais parfois, je dois bien l’avouer, tout croyant que j’essaie d’être, je ressens le doute et les questions, je ressens aussi douloureusement l’absence de Dieu, le sentiment qu’il se tient loin de moi, peut-être même plus douloureusement que celui ou celle qui dit ne pas croire, en tout cas au moins aussi intensément.
Et pourtant : rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, nous dit la Bible. Mais la Bible n’est pas qu’un recueil de belles pensées, aussi réconfortantes soient-elles. Car, si elle comporte de nombreuses phrases qui soutiennent la vie de la foi, la Bible comprend aussi des récits de l’expérience du doute et de l’absence. Oui, l’expérience de l’absence de Dieu fait aussi partie des textes bibliques. Car cette question de l’absence de Dieu n’est pas une question moderne uniquement. Je pense même pouvoir dire que la question de l’absence de Dieu est aussi vieille que la question de Dieu elle-même. Voilà des générations que les croyants sont confrontés à cette expérience de l’absence. Et les textes bibliques sont très nombreux à nous transmettre leurs expériences et leurs réponses.
Je n’ai pas vraiment le temps d’en dresser ici l’inventaire exhaustif. Mais souvenez-vous par exemple du livre de Job. On peut dire que 60% du livre est composé de plaintes de Job à cause de ce qu’il expose comme un éloignement de Dieu, éloignement qui est la cause de son malheur. Rappelez-vous de certains Psaumes qui expriment dans des termes, parfois crus, la douleur des croyants devant l’absence de Dieu. D’ailleurs, les malheurs qui frappent le croyant sont presque toujours compris comme des signes d’un Dieu qui se retire. Mais là aussi, ce n’est pas que les anciens qui pensent comme cela. Certains modernes continuent à le croire. Qui d’entre nous n’a pas entendu cela : si Dieu existait, tel ou tel malheur ne devrait pas arriver ? Les Psaumes donc qui sont remplis des plaintes, souvenez-vous :
Comme un cerf altéré brame
Après le courant des eaux,
Ainsi soupire mon âme, Seigneur, après tes ruisseaux ;
Elle a soif du Dieu vivant,
Et s'écrie en le suivant :
Ô mon Dieu, quand donc sera-ce
Que mes yeux verront ta face ?
Douloureuse plainte contre l’absence de Dieu.
Et puis, il y a le Psaume 22, celui que Jésus hurle sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Au cœur-même de ce qui est le pivot de la foi chrétienne, un cri est poussé par Jésus lui-même, un cri qui exprime la conscience d’un Dieu dramatiquement absent.
C’est dire si cette question de l’absence de Dieu est prise en compte dans les textes bibliques, mais avec cela on trouve aussi des tentatives de réponses à cette question de l’absence. Grosso modo, on peut y lire trois types de réponses.
D’une part, on trouve l’idée – qui est fermement combattu – on y trouve l’idée que l’absence de Dieu implique sa défaite contre les dieux des autres peuples, voire le fait qu’il n’existe pas.
Puis on trouve l’idée que l’absence de Dieu signifie que Dieu s’est retiré par colère envers son peuple, comme une forme de punition. Mais cette explication, bien que présente dans la Bible, est aussi vertement contredite par d’autres textes qui proposent une dernière explication. C’est celle-ci qui retient mon attention ce matin.
Pour ces auteurs bibliques, si nous avons le sentiment que Dieu est absent, Dieu n’en demeure pas moins présent, mais c’est nous qui ne le voyons plus ! Pourquoi ? Parce que nous avons une image erronée de Dieu et que du coup nous le cherchons là où il n’est pas. Nous regardons dans une direction, persuadé que Dieu doit s’y trouver, alors qu’il se tient là à nos côtés, mais où nous ne le cherchons pas.
C’est pourquoi les textes bibliques multiplient les histoires où Dieu semble se comporter de manière totalement déroutante pour les personnages de son temps. Et cela culmine dans les récits de Noël où Dieu vient en Jésus de Nazareth dans une étable à la périphérie de Bethlehem alors que le Messie était attendu au cœur de Jérusalem.
C’est pourquoi les textes bibliques nous invitent à convertir notre regard pour le tourner vers Dieu, là où il se trouve présent. Et pour cela, les textes bibliques nous invitent à tourner notre regard vers des choses visibles pour y découvrir la trace de l’Invisible.
Ce que la Bible nous propose, c’est une forme d’apprentissage de lecture de signes. Un peu comme apprendre à lire les panneaux du code de la route. Si je n’y connais rien, je ne vois qu’une pièce de métal triangulaire au sommet d’un poteau. Le triangle est blanc bordé d’un filet rouge et au milieu se trouve une sorte de X. Si je sais lire les signes, alors je comprends que dans un moment j’arriverai vers un carrefour. Alors je commence à ralentir pour passer ce carrefour sans accident.
Mais apprendre à lire un panneau, ce n’est pas seulement comprendre ce que chaque panneau veut dire, c’est aussi intégrer que l’ensemble des panneaux renvoient à un univers de valeurs et de vivre ensemble. Apprendre à lire les signes, c’est passer de l’immédiat au non immédiat, du visible à l’invisible. Au moment où je vois mon panneau triangulaire, je ne vois pas encore le carrefour et encore moins les autres véhicules qui peut-être s’en approchent et avec lesquels il va falloir que je fasse avec pour passer le carrefour sans encombre. Le panneau me fait signe et sa présence rend présent des choses qui ne sont pas visibles, ou pas encore. Je ne vois pas encore le carrefour quand je vois le panneau qui me l’annonce, mais le fait de savoir lire ce panneau fait que je sais que le carrefour est là, devant moi, et que sa présence, même invisible à mes yeux, va rendre nécessaire que j’adapte ma conduite.
Alors d’accord, tout cela paraît un peu compliqué et pardon si je vous embrouille un peu l’esprit. Si jamais vous avez envie de reprendre mon raisonnement, n’hésitez pas : commandez le texte de cette prédication auprès de RTSreligion ou allez le retrouver sur le site de célébrer.ch !
Mais revenons-en à nos textes du jour. Parce que, ce que je viens de vous décrire, c’est exactement ce qui se passe dans le livre du prophète Esaïe que nous avons entendu tout à l’heure.
Pour les anciens (dont le prophète Esaïe fait partie), la fascination devant l’univers, sa beauté, sa puissance, était un moyen d’ouvrir les yeux pour retrouver Dieu présent. Il voyait dans spectacle de la nature autant de signes de la présence de Dieu. Plus précisément, Esaïe constate la permanence extraordinaire de la vie qui ne cesse de se maintenir malgré les menaces, le chaos, la mort. C’est dans cette permanence qu’il nous invite à découvrir la présence de Dieu à nos côtés.
Certes, le raisonnement du prophète est moins convaincant aujourd’hui à cause des progrès de la science. Nos connaissances scientifiques nous fournissent des explications rationnelles sur le cycle de la vie où Dieu n’a plus sa place. Encore que, j’en suis certain, le spectacle de la vie qui veut vivre demeure un signe pour beaucoup d’entre nous.
Un détail encore, du temps du prophète Esaïe, c’était la force qui était cherchée (contre la fatigue et le découragement), la force qui permet à la vie de se poursuivre.
Pour Paul par contre, c’est l’amour qui est au cœur de la recherche de Dieu. Mais il ne faut pas opposer l’amour et la force. Les deux sont liés. L’amour est une force et la force s’enracine dans l’amour. Pour Paul, ouvrir les yeux sur la présence de Dieu à nos côtés, c’est regarder les traces d’amour autour de nous.
Durant le confinement que nous venons de traverser, j’ai été témoin de nombreuses traces d’amour et de solidarité (des jeunes font les courses pour les aînés de leur immeuble, des entraides pour garder les enfants se mettent en place, dans les paroisses on découvre une créativité merveilleuse pour garder le lien, proposer des temps de prière et de réflexion, etc…).
Peut-être en avez-vous été bénéficiaires ?
Peut-être en avez-vous été les auteurs ?
Chacun de ces gestes est un signe de la présence agissante de Dieu. Quand vous en êtes bénéficiaires, vous êtes bénéficiaires de l’amour de Dieu. Quand vous en êtes auteurs, c’est l’Esprit de Dieu, le Saint-Esprit, qui agit en vous.
Mais ouvrons encore les yeux : un rassemblement en plein été d’hommes et de femmes qui prient, qui chantent, qui écoutent et méditent dans une petite chapelle au bord d’un lac de montagne, une communauté d’auditrices et d’auditeurs qui partagent ce même rassemblement à distance grâce aux soins d’un technicien compétent et d’une présentatrice attentive et souriante, tout autant de signes de présence agissante de Dieu.
Ouvrons les yeux ! Et rendons grâces !
« Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu. »
Amen