Écouter le culte :
« Nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion. » Dans ce petit Psaume, une terrible concentration de tristesse, de douleur, de colère contre l’oppresseur, de défiance face à celui qui a pris le pouvoir sur nos vies, de sentiment d’injustice et d’impuissance. Autant d’émotions, d’expressions que je reconnais dans des trajectoires d’hôtes accueillis à Point d’Appui. Oui, il y a des douleurs et parfois des traumatismes terribles dans certains chemins de migration. Alors par moments, on ne voit pas grand-chose d’autre à faire que s’asseoir et pleurer. C’est la face sombre de la migration, reflet de la face sombre de notre monde où des humains s’acharnent à faire souffrir d’autres humains.
Un dialogue pourtant s’établit à l’intérieur de la Bible déjà, et la parole revient. Les déportés qui s’expriment dans le Psaume sont une partie de la population de Jérusalem emmenée de force à Babylone, sur ordre d’un empereur qui voulait étendre son influence. Ce sont eux qui pleurent et qui crient. C’est à eux que le prophète Jérémie, membre du même peuple mais resté à Jérusalem, s’adresse avec une idée toute nouvelle : là où vous êtes, vous n’avez pas tout perdu. Vous demeurez vous-mêmes, vous pouvez demeurer fidèles au Dieu de vos pères, qui continue de vouloir votre bonheur. Alors vivez ! Et même, élargissez la paix à laquelle vous aspirez au-delà des frontières de votre terre d’origine et de votre religion. Vous pouvez inventer un nouveau vivre-ensemble là où vous avez été déportés. Vous pouvez créer des liens de paix avec le peuple au sein duquel vous vous trouvez, et votre paix commune s’en trouvera augmentée.
Cette proposition du prophète s’enracine dans sa foi : « Ainsi parle le Seigneur : Je sais, moi, quels sont les projets que j’ai formés pour vous. Projets de vie, non de malheur. Je veux vous donner un avenir, une espérance. »
Aujourd’hui, je fais mienne cette foi. Ainsi parlait le Seigneur alors, ainsi parle-t-il aujourd’hui pour toutes les femmes, tous les hommes, tous les enfants dont l’existence a été bouleversée, déracinée ; pour qui tout s’est écroulé et qui doivent recommencer la vie ailleurs : « Projets de vie, non de malheur. Je veux vous donner un avenir, une espérance. »
Osera-t-on le croire, le dire, à l’adresse de familles terrorisées en Afghanistan ? De femmes, hommes et enfants coincés dans des camps sur les îles grecques, de familles séparées par le service militaire en Érythrée, poussées à l'exil ? De travailleuses et travailleurs précaires qui connaissent la vie dans la rue avant de, peut-être, retrouver un travail et une maison ?
Le chemin est ténu – il faut pourtant le prendre. Quoi d’autre que l’espérance, minuscule étincelle ou grand feu dans le coeur, donnera le courage pour continuer la route jusqu’à un lieu de refuge ? Quoi d’autre que l’espérance donnera la créativité et l’ouverture pour accueillir et élargir l’alliance de la paix ? L’espérance ne nous laisse pas tranquilles, une fois qu’elle a nous a atteints. Il faut nous mettre à l’œuvre !
L’une des dernières fois que j’étais ici dans le Temple de Chailly, c’était pour l’adieu à François de Vargas, infatigable témoin à l’œuvre dans bien des engagements. Un petit texte de lui qu’on nous a lu ce jour-là m’a beaucoup inspirée. Il disait : « J’ai essayé de mettre ma vie au service de ceux qui souffrent le plus. Je me suis engagé pour que le monde évite les grandes catastrophes, hélas prévisibles. J’ai connu quelques succès, beaucoup de déconvenues aussi. Mais j’ai surtout connu cette alliance avec celles et ceux qui luttent pour diminuer la souffrance du monde. Et ça, c’est une force extraordinaire. »
Alors je parlerai maintenant de la face lumineuse des exilées et exilés dont je croise le chemin. J’ai une immense admiration pour le courage, la patience, la persévérance et la bonté que je rencontre au quotidien chez elles et eux. En passant la porte de Point d’Appui, ce n’est pas seulement un besoin, une demande d’aide qu’elles viennent déposer, c’est aussi leur énergie et leur espérance. Ce sont elles qui sont les meilleurs expertes et experts de leur propre existence. C’est donc dans la collaboration que nous devenons aidants. Nous essayons de la commencer par un accueil suffisamment bienveillant et non-jugeant pour que les personnes se sentent la liberté d’être elles-mêmes. Alors le lien de confiance peut se tisser et il devient possible de résoudre un problème, trouver le pas suivant à faire, ou simplement redonner courage pour tenir le coup dans l’adversité et l’incertitude.
Aider les autres, essayer de diminuer la souffrance du monde, c’est toujours une collaboration. Plus elle est large, plus elle est belle. Avec les personnes concernées, avec les collègues et les bénévoles, avec les membres d’autres collectifs et associations. Avec les artistes dont la musique, les œuvres chantent le monde et nous rappellent sa beauté. Oui, dans une telle alliance de bonnes volontés, il y a une force extraordinaire, et il y a aussi beaucoup de joie.
Cette joie qui rejoint Zachée. Il était pourtant en mauvaise posture, placé dans le mauvais camp, celui des riches sur le dos des autres, et unanimement jugé en-dehors de la fidélité à Dieu et du peuple des enfants d’Abraham. Comment en est-il arrivé là ? Par sa fonction vraisemblablement, fonctionnaire assez bien placé de l’administration romaine dans sa ville de Jéricho : en tant que tel, il collabore avec un gouvernement mal-aimé car gouvernement d’occupation.
Mais Zachée le percepteur des impôts est tout prêt à bouger. Il fallait juste l’interpeller, comme Jésus le fait. Alors dans une situation tendue et entachée d’injustice, où les fronts auraient pu continuer de se durcir, et la division s’installer dans l’indifférence la plus totale à l’égard des pauvres et des faibles, Zachée trouve comment changer les choses.
Il prend le chemin ténu de la solidarité et de la justice. Il retrouve comment être relié et solidaire dans le peuple et la société qui l’entourent. Ainsi un peu de paix est créée, très concrètement, dans la ville de Jéricho, par un homme qui avait beaucoup de moyens, et a enfin retrouvé la liberté de les consacrer au bien commun et à davantage de justice.
Tiens, cela me fait penser que j’ai oublié de mentionner les serviteurs de l’État, fonctionnaires et politiciennes, politiciens, dans celles et ceux avec qui nous pouvons être en alliance pour travailler à essayer de diminuer la souffrance du monde. Ils sont pourtant des acteurs essentiels !
Ne revient-il pas à toute personne qui prend une responsabilité sociale, économique, spirituelle vis-à-vis de ses semblables de chercher le chemin ténu de la solidarité et de la justice ? De réinterroger régulièrement son engagement pour la société, à l’aune du bien-être du plus faible de ses membres, comme dit notre Constitution ? De ne jamais perdre de vue le souci du plus fragile et du pauvre dans l’exercice de ses fonctions ?
Ainsi ce récit interpelle à mon sens quiconque exerce ses responsabilités en interaction avec ses semblables. Que l’on soit fonctionnaire, pasteur, banquier, travailleur social ou politicien, le déplacement opéré par Zachée peut nous transporter nous aussi – sans besoin de grimper dans un arbre, mais simplement en se posant les bonnes questions : est-ce que le sens de la solidarité qui est au fond de mon coeur trouve à s’exprimer ? Sans être empêtré dans les obligations de la fonction, les faux semblant ou les modes politiques ? Est-ce que mon sens de l’équité et de la justice trouve à tenir plus ferme que les égarements du « système » ? Sans se contenter d’un « la loi est dure, mais c’est la loi » devant les souffrances des plus vulnérables ? Des questions loin d’être faciles, des sources de débats, incontournables pourtant.
Je termine en citant un autre François, Pape de son état, puisque l’Église catholique marque aujourd’hui la journée mondiale du migrant et du réfugié. Il écrit : « Plaise au ciel qu’en fin de compte il n’y ait pas ‘les autres’, mais plutôt un ‘nous’ ! Les migrations contemporaines nous offrent l’opportunité de surmonter nos peurs pour nous laisser enrichir par la diversité du don de chacun et créer un ‘nous’ toujours plus grand, toujours plus co-responsable. »
Il s’agit d’un engagement personnel et collectif, un engagement qui ne fait aucune distinction entre autochtones et étrangers, entre résidents et hôtes, car il s’agit d’un trésor commun : recomposer la famille humaine, pour construire ensemble notre avenir de justice et de paix, en veillant à ce que personne ne reste exclu.
Amen